Tour de France (part I)

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 13 février 2008 - 1695 mots

Quels sont les principaux enjeux culturels des élections municipales dans les grandes villes de France ?
- Tour d’horizon

Bordeaux
Un consensus de circonstance
Le virage aura été pris trop tard. Si, depuis quelques mois, Alain Juppé (UMP) et son équipe tentent de redresser le tir, en soutenant notamment la candidature de leur ville au titre de « Capitale européenne de la culture 2013 », l’effort n’aura pas été suffisant pour effacer une atonie de longue date. Bordeaux consacre certes 276 euros par habitant à la culture (soit 18 % de son budget de fonctionnement), mais la capitale girondine pâtit d’un rayonnement culturel pâlichon et d’une relative faiblesse de ses équipements. Elle est notamment la dernière grande ville dépourvue de Zénith. Pourtant, l’affrontement aux municipales ne se fera pas sur le terrain de la culture. « Toute tension sur ce secteur pourrait avoir un effet négatif sur le dossier de candidature de Bordeaux, porté par l’ensemble des collectivités », confirme Dominique Ducassou, l’adjoint au maire chargé de la culture. Alain Rousset, candidat socialiste et principal rival du maire sortant, qui est aussi président du conseil régional Aquitaine, se garde donc d’attaquer sur ce sujet et se contente de déplorer le déficit d’image de la ville. Bordeaux reste en effet une cité patrimoniale à l’excès, comme l’a confirmé l’inscription de son centre historique au Patrimoine mondial de l’Unesco en 2007. Or, depuis son retour à l’Hôtel de Ville en août 2006, Alain Juppé a préféré miser sur l’architecture et l’urbanisme. Il vient notamment de confier à l’architecte Didier Fiuza Faustino le lancement d’un nouvel événement sur le thème de « La ville en devenir ». C’est donc dans le domaine des arts plastiques que le bât blesse. La Ville malmène depuis une dizaine d’années le capcMusée d’art contemporain, un équipement de notoriété internationale. Trois de ses directeurs sont en effet partis en mauvais termes avec leur tutelle. Et la mise en examen d’Henry-Claude Cousseau, directeur de 1996 à 2000, à la suite de la plainte déposée par une association pour l’exposition « Présumés innocents » (2000), alourdit encore l’ambiance.

Marseille
La culture en jachère
Ville de tous les paradoxes, Marseille l’est aussi en matière culturelle. Si la métropole affiche un réel dynamisme, celui-ci est davantage le fruit de l’action du réseau associatif que d’une politique volontariste pilotée par la Mairie. Les choses pourraient – devront – néanmoins changer si la cité phocéenne raflait la mise pour l’obtention du titre « Capitale européenne de la culture 2013 ». Son dossier, parmi les plus lourds en termes financiers – 100 millions d’euros –, est aussi l’un des favoris et a déjà passé avec succès le cap de la présélection. Pour l’heure, le bilan de l’action municipale n’est cependant pas glorieux, même si Jean-Claude Gaudin (UMP) se targue, comme il l’a déclaré au quotidien La Provence, « d’aider la culture sans jamais rien demander en échange ». Une liberté toute relative vu le faible niveau d’implication financière : 8,9 % du budget municipal en 2007. Si des grands projets sont annoncés de longue date, tel le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) – dossier bloqué par l’État, à la décharge de la Ville –, ou encore l’installation d’un lieu à la mémoire de Marcel Pagnol dans le château de la Buzine, tout le monde est contraint à la patience. Et les Marseillais ont de quoi se désoler de l’état de leurs douze musées, laissés pour certains littéralement à l’abandon, comme l’illustre avec éloquence le Musée d’histoire de Marseille. Avec seulement 2,5 millions d’euros alloués à ces établissements, la Ville n’a pas de quoi mener une réelle politique et la programmation d’expositions temporaires, quasiment inerte, en est un bon indicateur. Sur ce point, le maire admet que la ville « manque de visibilité » et met en avant son projet du « grand Longchamp » autour du Musée des beaux-arts. Or, si le musée est intégralement fermé depuis 2005, le dossier est toujours au point mort. Son principal adversaire, Jean-Noël Guerini (PS), n’est pourtant pas très pugnace sur ces sujets. Il faut dire qu’à Marseille, ville la plus pauvre de France, les thèmes sensibles sont nombreux. Et comme à Bordeaux, le consensus est de mise.

Nice
Les promesses d’une renaissance
À Nice, recalée au titre de « Capitale européenne de la culture 2013 », la bataille pourrait se jouer sur le terrain de la culture. Christian Estrosi, candidat adoubé par l’UMP, est le principal rival du maire sortant, Jacques Peyrat (76 ans), un ancien frontiste lâché par la majorité présidentielle. Il a choisi de frapper fort en organisant, le 18 janvier, une grande convention sur le rayonnement culturel. Objectif : annihiler le bilan culturel de l’édile, que l’inauguration du tramway et ses commandes publiques venaient de ragaillardir. Dans un discours de clôture enflammé, le secrétaire d’État à l’Outre-Mer et président du conseil général des Alpes-Maritimes n’a pas mâché ses mots, dénonçant l’« abandon du patrimoine », rappelant l’urgence d’une rénovation du Muséum, promettant a contrario une « renaissance culturelle » de la 5e ville de France. Outre un événement consacré à l’architecture et l’urbanisme et confié à Jean Nouvel, cette renaissance pourrait s’appuyer sur de grands travaux : « fondation d’art contemporain » en front de mer, « cité des sciences et de l’espace » à l’Observatoire, « centre du patrimoine » au couvent de la Visitation, mais aussi « centre de création »... à la gare du Sud. Ce lieu patrimonial représente en effet un symbole de la précédente mandature, le maire ayant tenté d’y construire, à marche forcée, une nouvelle mairie, en dépit de plusieurs interventions du ministère de la Culture. Face à ce programme pharaonique, l’opposition a pris le parti de la modestie. Si Patrick Allemand (PS) n’a pas encore détaillé ses propositions sur le sujet, il s’est toutefois rallié la comédienne Sophie Duez, éligible en 4e position sur sa liste, et qui s’est déclarée favorable à l’instauration d’une tarification des musées à un euro. Il faudra aussi compter avec le socialiste dissident Patrick Mottard, et sa liste « Nice autrement », qui propose de lancer « une movida à la niçoise », en référence au renouveau culturel espagnol des années 1980, et bénéficie du soutien du galeriste Christian Depardieu, cofondateur d’Art Jonction.

Saint-Étienne
La fin de l’ère des grands travaux
Saint-Étienne, l’ancienne cité industrieuse, a aujourd’hui de quoi faire pâlir plus d’une métropole en matière culturelle. Elle peut notamment se targuer d’être devenue la ville du design grâce à sa biennale lancée en 1998, son École supérieure d’art et de design et sa future « Cité du design ». L’échec de sa candidature au titre de « Capitale européenne de la culture 2013 » aurait toutefois pu plomber le bilan. Mais son sénateur maire, Michel Thiollière (UMP), qui brigue un troisième mandat, préfère croire que c’est la modestie du financement (50 millions d’euros) qui n’a pas séduit le jury. « En termes de contenu culturel, notre projet a été considéré comme l’un des meilleurs », défend-il. Élu en 1994, le premier magistrat mise depuis 2004 sur le renouvellement urbain et l’offre culturelle pour redynamiser sa ville, très affectée par la désindustrialisation. 14 % du budget municipal y sont consacrés. Les grands projets se sont donc multipliés, au grand dam des défenseurs du patrimoine : construction d’une Cité du design dans l’ancienne manufacture d’armes (2008), d’un Zénith (2009), d’une Scène de musiques actuelles (le Fil) inaugurée un mois avant les élections. Le tout en faisant appel à des pointures de l’architecture, tels Finn Geipel ou Norman Foster. C’est donc sur cette politique, jugée dispendieuse, que comptent l’attaquer ses adversaires. Pour le candidat socialiste, Maurice Vincent, il faut en effet rompre avec cette culture de l’événementiel promue par un maire dont il dénonce les « décisions autocratiques ». Son programme envisage de renouer avec une « culture en partage » et propose notamment, en matière d’arts plastiques, de valoriser les plasticiens en ouvrant des artothèques. Maurice Vincent souligne également que le Musée d’art moderne – qui dépend néanmoins de la communauté d’agglomération présidée par le maire de Saint-Étienne – attend toujours des travaux d’agrandissement. Ils sont désormais inscrits au contrat de projet État-Région (2007-2013).

Tours
Le baroud d’honneur de RDDV
Comptant 136 600 habitants, la paisible capitale du Val de Loire n’a jamais bénéficié d’une réelle notoriété culturelle. Avec l’engagement de Renaud Donnedieu de Vabres (UMP), la culture y est pourtant propulsée au premier plan de cette campagne. Après son échec aux municipales en 2001 puis aux législatives de 2007, l’ancien ministre de la Culture tente donc un dernier pari : rafler la Mairie à Jean Germain (PS), dont le troisième mandat est en jeu. Son credo est de proposer une nouvelle ambition culturelle à une ville dont le budget en la matière atteint péniblement les 11 %. Le bilan du maire sortant est en effet en demi-teinte. Si la ville pêche en matière d’équipements pour la musique et n’affiche qu’un faible soutien à son Musée des beaux-arts – qui ne dispose pas de salles d’expositions temporaires –, elle n’a jamais négligé les arts plastiques. Vingt-cinq ans après sa naissance, le Centre de création contemporaine (CCC) bénéficie d’un rayonnement national et quelques événements récents ont marqué les esprits (exposition Daniel Buren au château en 2005, sculpture monumentale de Xavier Veilhan en 2004, festival Rayons Frais). Néanmoins, le projet de création d’une « fondation Olivier-Debré » n’a toujours pas abouti. De son côté, l’ancien locataire de la Rue de Valois voudrait faire de Tours la nouvelle capitale culturelle et touristique du Val de Loire. Ses projets foisonnent : création d’un « musée de la soie », d’une « cité des arts et des artistes », d’un « festival consacré aux arts de l’Italie », de « rencontres internationales du dessin d’enfant »... Ambition démesurée ? Certains reprochent déjà à l’ancien ministre de trop se focaliser sur la culture, mais aussi d’avoir la tête ailleurs. La rumeur fait état d’une nomination, dès juin 2008, à un poste d’ambassadeur culturel dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne. De son côté, le maire sortant vient de perdre des points avec le départ de son adjoint à la culture, Jean-Pierre Tolochard, pour le conseil régional.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°275 du 15 février 2008, avec le titre suivant : Tour de France (part I)

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