Katrin Bellinger - Le marché du dessin s’est déplacé vers New York

Un entretien avec Katrin Bellinger, courtier en dessins anciens qui exerce son activité à Munich

Le Journal des Arts

Le 29 juin 2001 - 932 mots

Katrin Bellinger s’est lancée dans le métier de courtier en dessins anciens après des études de gestion commerciale, des cours chez Sotheby’s et un intermède dans une maison de vente munichoise. Cette Allemande a créé sa propre société en 1985, en plein boom du marché de l’art. Elle évoque dans l’entretien qu’elle nous a accordé l’état et les perspectives d’évolution du marché du dessin et l’importance des places que sont Londres et New York.

Quel était l’état du marché de l’art lorsque vous vous êtes lancée dans les années 1980 ?
C’était un moment très propice pour commencer car j’ai rencontré à Munich un petit groupe de collectionneurs dont faisaient partie Wolfgang Ratjen et Hinrich Sieveking. En Allemagne, j’ai trouvé de très beaux dessins car, avant-guerre, il y avait une forte tradition de la collection. Plus tard, les petits-enfants de ces collectionneurs se sont rendu compte que certains des dessins en leur possession pourraient avoir de la valeur. C’est ainsi que le marché a vu apparaître de belles œuvres.

Dans quelles circonstances vous êtes-vous associée au Metropolitan Museum of Art de New York ?
J’ai été amenée à rencontrer George Goldner lorsqu’il travaillait au Getty Museum et je lui ai vendu quelques dessins. En 1994, il m’a demandé d’organiser une vente aux enchères pour la Sainte Famille de Michel-Ange, que le Getty a acquis par la suite. Lorsqu’il a rejoint le Metropolitan, notre collaboration est devenue de plus en plus régulière. Quant à la National Gallery à Washington, son conservateur, Andrew Robinson, était un des premiers à venir me voir à Munich. En fait, je travaillais essentiellement avec les musées américains. Il a fallu quinze ans pour vendre notre premier dessin au Louvre ; les cabinets d’art graphique allemands, quant à eux, n’achètent que rarement par manque de fonds.

Comme de nombreux marchands, vous ne vous encombrez pas d’une galerie. Pourquoi ?
Si je n’avais pas deux enfants en bas âge, peut-être aurais-je une galerie, mais je préfère participer aux foires de Paris, New York et Munich – villes dans lesquelles j’expose également depuis le début des années 1990.

Dans quel but avez-vous organisé la Semaine des dessins de maîtres, qui se tient en juin à Londres ?
Le marché s’est déplacé là où sont les clients : à New York. Avec la Semaine des dessins de maîtres, nous espérons retrouver l’effervescence du marché qui existait autrefois à Londres.

Y a-t-il plus de marchands à Londres ou à New York ?
Environ 80 % des collectionneurs résident aux États-Unis, donc nous y exposons tous, mais rares sont ceux d’entre nous qui demeurent à New York. Nous souhaitons qu’à l’instar de la Semaine asiatique, cet événement londonien se développe car il n’y a pas ici que des marchands mais aussi de grands musées, des collections et des spécialistes.

Est-il encore possible, dans l’état actuel du marché, de constituer une collection de dessins cohérente ?
On pense toujours qu’aucun nouveau dessin ne fera surface et pourtant, au cours de ces dernières années, on a découvert une série d’œuvres merveilleuses de Bronzino, Lorenzo di Credi et Salviati, principalement en provenance de France. En effet, il existe une longue tradition française de la collection et un certain nombre de dessins sont vraisemblablement encore entre les mains de particuliers.

Plus jeune, vous aviez entrepris une collection de dessins. Continuez-vous de l’enrichir ?
Je me concentre sur un thème en particulier : “les artistes à l’œuvre”. Collectionner autour d’un sujet évite le conflit qui apparaîtrait si je collectionnais ce que je traite. Je peux ainsi acquérir des dessins qui ne sont pas forcément très chers mais tout de même de grand intérêt.

Pensez-vous que le marché a récemment changé ?
Depuis la vente du Michel-Ange à l’été 2000, les dessins italiens anciens semblent s’être déplacés vers un tout autre niveau de prix. Un dessin d’un artiste inconnu aurait eu un marché très limité il y a quelques années alors que maintenant, si son sujet fait appel à l’esthétique actuelle, il peut rapporter une belle somme. Le sujet a toute son importance. On peut encore faire de bonnes affaires, en achetant à l’encontre de ce goût, et si l’on n’est pas gêné par un sujet difficile ou religieux.

Pensez-vous que les prix vont continuer à augmenter ?
Il a fallu environ deux ans pour que la dernière récession atteigne le marché. Dans les années 1990 les prix n’ont pas baissé, ils sont restés au même niveau.

Les collectionneurs américains achètent-ils pour faire don à des musées ?
Oui, très souvent, ces collectionneurs, à la fois dévoués et discrets, sont conseillés par un conservateur. Leurs collections rejoindront des musées et ne reviendront probablement pas sur le marché.

Qu’en est-il des œuvres d’art volées : y a-t-il un index des dessins disparus comme pour les tableaux ?
C’est un domaine beaucoup plus problématique que celui de la contrefaçon. On m’a proposé des dessins dans le passé, mais leur statut était tellement épineux que je n’avais pas envie de m’y mêler. Des collections de musées comme celles de Dresde et de Rotterdam sont enregistrées, mais il n’y a pas de catalogue central des œuvres d’art manquantes dans les petites collections privées. Certaines collections privées seraient en Russie, donc il est peu probable qu’elles feront surface. Il faut vraiment vérifier la provenance avec soin, ce qui peut être difficile. Toutefois, les bases de données informatiques seront probablement de plus en plus utiles. Un autre problème distinct est celui de la restitution aux familles juives, comme le dessin de Van Gogh l’année dernière et les dessins de Klinger cet été. Nous allons probablement voir apparaître sur le marché plus de pièces de qualité exceptionnelle.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°130 du 29 juin 2001, avec le titre suivant : Katrin Bellinger - Le marché du dessin s’est déplacé vers New York

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