Henri Loyrette prend la mesure du Louvre

Dans cet entretien, le nouveau directeur du musée revient sur l’achèvement des Grands Travaux

Le Journal des Arts

Le 29 juin 2001 - 1619 mots

Après avoir occupé le poste de directeur du Musée d’Orsay pendant sept ans, Henri Loyrette s’est vu confier la lourde tâche de succéder à Pierre Rosenberg à la tête du Louvre. Aux commandes de cet établissement prestigieux et complexe depuis deux mois, il dresse un premier bilan des chantiers à entreprendre.

Quels sont, dans les mois à venir, les principaux chantiers que vous souhaitez engager ou poursuivre ?
J’essaye depuis mon arrivée, qui remonte à deux mois, de prendre la mesure de cette maison, et de dresser un premier état des lieux. Avant mon entrée en fonction, je pensais que les travaux du Grand Louvre étaient plus achevés qu’ils ne le sont en réalité. Or, d’importants chantiers sont encore à réaliser. Parmi ceux-ci, deux projets me tiennent particulièrement à cœur. Il s’agit dans un premier temps de concevoir une nouvelle présentation des arts décoratifs du XVIIIe siècle français. Les salles actuelles ont été réalisées dans les années 1960, et jurent avec le magnifique travail fait par Jean-Michel Wilmotte dans le département des Objets d’art. La cour du Sphinx, lieu prestigieux du Louvre, qui accueille le département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, doit également faire l’objet d’une réhabilitation importante. Je souhaite que ces deux projets puissent être menés à bien dans un futur proche. Hormis les questions de réorganisation de salles, je voudrais aussi améliorer les espaces d’accueil du public, notamment le hall principal situé sous la pyramide : c’est un lieu emblématique du musée dans lequel se posent de réels problèmes de gestion de flux. Par ailleurs, les conditions de travail sont particulièrement difficiles pour le personnel. Une de mes autres préoccupations concerne la recherche et le personnel attaché à la documentation. Le musée doit être un centre de recherche, et ce secteur ne me semble actuellement pas assez développé.

Le Louvre, malgré sa relative autonomie due à son statut d’établissement public, continue de verser 45 % de ses droits d’entrée à la RMN, soit environ 65 millions de francs par an. Il récupère un tiers de ces versements par le biais des dotations pour les acquisitions, et des expositions temporaires. Êtes-vous satisfait de ce système “mutualiste” ?
Le système est certainement perfectible, et je crois que tous les interlocuteurs, en particulier Francine Mariani-Ducray, directrice des Musées de France, en conviennent. Nous sommes tous très attachés, et moi autant que d’autres, à la mutualisation. Encore faut-il savoir précisément ce que ce terme recouvre, étant entendu que les prélèvements effectués sur les musées ne peuvent contribuer qu’à des missions de service public ; et je suis très reconnaissant à Philippe Durey, administrateur général de la RMN, des efforts de transparence qu’il a récemment annoncés et qui répondent à mes vœux comme à ceux des parlementaires. Une réflexion sur la redevance doit donc être entreprise, ceci afin d’assurer au Louvre une réelle mise à niveau des moyens qui aujourd’hui ne permettent pas d’assurer un fonctionnement satisfaisant.
En effet, le musée souffre comme les autres institutions – et là, je crois qu’il n’est pas bon d’opposer les grands musées aux plus petits – de problèmes touchant ses personnels : plus de 20 % des salles sont fermées quotidiennement par manque d’effectifs, et l’année prochaine, ce taux atteindra 25 %. C’est, de mon point de vue, inacceptable vis-à-vis des 6 millions de visiteurs du musée. Il faut également rappeler que, alors que le Grand Louvre est sur le point d’être achevé, des charges importantes ont été transférées au musée comme l’entretien préventif et le renouvellement réguliers des équipements. Par ailleurs, la sécurité des œuvres dans un établissement, qui a vu ses surfaces d’exposition et son public multipliés par deux, doit être clairement renforcée.
À partir de là, il est normal de se poser un certain nombre de questions. Le problème n’est certainement pas la remise en cause de la mutualisation, mais il faut assurer par un plus juste équilibre le fonctionnement pérenne du musée. Revoir à la baisse la redevance, de manière à ce que le musée puisse garder une plus grande part de ses recettes doit permettre au Louvre, qui est l’institution culturelle française la plus visitée et celle qui atteint le mieux l’objectif de démocratisation culturelle, d’offrir à ses publics un accès plus large à ses collections et dans des conditions d’accueil plus satisfaisantes.

Philippe Durey, administrateur de la RMN, évoquait dans un récent entretien (lire le JdA n° 129, 8 juin 2001) le nombre endémique d’expositions temporaires à Paris et la nécessité de redéfinir plus précisément le programme de celles-ci. Quelle sera votre politique en matière d’expositions temporaires ?
Il faut renforcer la concertation avec la RMN sur les expositions “Période Louvre” au Grand Palais dont la responsabilité scientifique incombe au musée et à ses départements, et je partage sur ce point le souci de Philippe Durey. Cela implique que la participation scientifique du Louvre soit mieux valorisée. La multiplication à l’intérieur des établissements de lieux d’exposition mérite une réflexion sur la cohérence des programmations à Paris. Au vu de l’accroissement très important des déficits du Grand Palais que Philippe Durey vient d’annoncer dans votre journal, on ne fera pas l’économie d’une réflexion approfondie sur l’avenir de ce lieu dont la RMN est le gestionnaire.
En ce qui concerne les expositions “internes”, un travail de réflexion doit être mené aussi bien sur les espaces que sur les contenus. Nous disposons d’espaces multiples, mais certains, comme celui de la chapelle, ne sont pas adaptés pour accueillir le public.
Un des axes de la politique d’expositions temporaires, qui avaient été définis par Michel Laclotte, s’est sans doute étiolé au fil des années. Les expositions ne devaient pas seulement refléter l’activité de tel ou tel département mais favoriser des projets transversaux et un travail en commun. Même s’il ne doit pas être systématique, je souhaite que ce souci de transversalité soit plus affirmé.

Les discussions sur l’application des 35 heures ont déclenché des grèves, et révélé certains dysfonctionnements. Les syndicats réclament des créations de postes. Que pensez-vous de ces revendications et des moyens de pression mis en œuvre ?
Le problème des sous-effectifs n’est pas lié à l’application des 35 heures, mais au déficit actuel de personnel de surveillance et de maintenance du bâtiment. Les problèmes sociaux récents ont été accentués par cette situation. Il faut donc appréhender cette question de façon plus globale. Le Louvre s’est beaucoup développé : ses surfaces d’exposition ont doublé, et atteignent un total d’environ 70 000 m2. Notre ambition est de parvenir à un taux d’ouverture qui pourrait avoisiner les 90 %, ce qui nécessiterait 180 postes supplémentaires. Nous espérons pour cela obtenir des moyens en personnel suffisants. Il serait paradoxal que la collectivité, qui a consenti à beaucoup d’efforts pour l’ouverture de nouvelles salles, ne mette pas tout en œuvre pour les rendre accessibles au public.

Il est question d’ouvrir prochainement le poste de directeur du Musée d’Orsay à des fonctionnaires qui ne possèdent pas le statut de conservateur, mais qui, par leurs qualités, sont susceptibles d’intégrer le corps des conservateurs généraux. Qu’en pensez-vous ?
Je suis favorable à toute mesure susceptible d’ouvrir ces postes. Je regrette toutefois que ces mesures se décident au coup par coup. Elles devraient s’inscrire dans une réflexion plus large sur le statut et l’avenir des conservateurs. La question de l’ouverture des postes à l’Europe, qui me semble inéluctable, va également se poser dans les années à venir.

Quelque 21000 œuvres appartenant au Louvre sont déposées dans des musées territoriaux. Que pensez-vous de l’article de la nouvelle loi musées concernant les transferts de propriété d’œuvres depuis longtemps déposées par des musées nationaux dans des musées territoriaux ?
Certains dépôts sont désormais intégrés dans les collections des musées qui les accueillent, et il n’est pas question de les remettre en cause. Le problème que nous soulevons tous, c’est la date de 1910. Les œuvres déposées avant cette date seraient affectées aux musées de région, mais pas celles inscrites après. Cela peut établir des différences de statut entre des œuvres d’une même série et séparer des ensembles scientifiquement et historiquement cohérents. Des aménagements sont donc à faire. Je trouve, et c’est une bonne chose, que cette mesure entraîne une responsabilisation des musées et permet de constater un état de fait.

Le débat sur la gratuité des musées est ancien. Le Louvre a été gratuit tous les dimanches jusqu’en 1990, puis le premier dimanche de chaque mois à partir de 1996, ce qui a entraîné une hausse de 60 % du taux de fréquentation. Christophe Girard, dans un entretien (lire page 6), souhaite élargir la gratuité à l’ensemble des établissements. Qu’en pensez-vous ?
Je n’ai pas à juger la politique de la municipalité en matière de culture, mais je souligne bien volontiers l’effort de démocratisation que cela implique. Il est bon de rappeler que le Louvre a été à cet égard exemplaire, appliquant le premier la gratuité le premier dimanche de chaque mois. Il faut également noter que 35 % des visiteurs entrent tous les ans gratuitement au Louvre dont un million de jeunes de moins de dix-huit ans.
La gratuité est une excellente chose, mais le principal problème n’est pas la hausse de fréquentation des musées. Il faut savoir quels sont les publics que l’on souhaite toucher. Cette proposition doit être comprise comme une vraie mesure de démocratisation qui vise à faire venir au musée des publics qui n’y viendraient pas.  Il ne s’agit pas simplement de travailler à l’audimat. L’essentiel est de savoir si les objectifs de ces opérations de démocratisation sont atteints. Le Louvre et Orsay ont été des établissements pionniers en matière d’accueil et de fidélisation des publics, notamment des jeunes. Un de nos principaux axes réside dans la fidélisation d’un public de proximité, car 65 % de la clientèle des musées parisiens demeure étrangère.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°130 du 29 juin 2001, avec le titre suivant : Henri Loyrette prend la mesure du Louvre

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