La vente Goldet conforte la prééminence de Paris

Cette collection d’art africain, une des plus importantes depuis les années 1960, a doublé son estimation à 88 millions de francs

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 31 août 2001 - 1321 mots

On attendait 40 millions de francs, les héritiers en ont obtenu plus de 88 millions. La collection d’art africain d’Hubert Goldet, mise en vente les 30 juin et 1er juillet par François de Ricqlès à la Maison de la Chimie à Paris, avec le concours d’Alain de Monbrison, Pierre Amrouche et Jacques Blazy, a connu un formidable succès auprès des collectionneurs. Daniel Hourdé et Philippe Ratton, marchands et experts parisiens, commentent cette vente qui fera date.

Cette collection serait l’une des plus importantes sur le marché depuis la dispersion de celle des Rubinstein ?
C’est en effet la plus importante collection à passer sur le marché depuis les ventes Rubinstein en 1966 et Rasmussen en 1979. Cet ensemble est important d’abord en raison du nombre des objets présentés (640 numéros) mais aussi de par sa qualité.

Qu’en a-t-il été des estimations ?
Elles ont été très raisonnables. Des estimations élevées auraient risqué d’effrayer les acheteurs. La vente ne comprenait pas de prix de réserve. Très peu d’objets ont été repris.

Quelles étaient selon vous les plus belles pièces de la vente ?
L’un des objets majeurs est incontestablement la statuette Anyi de Côte d’Ivoire (lot 194), estimée 250-350 000 francs et vendue 700 000 francs ; cela est dû à son ancienneté et à sa qualité. Elle forme une synthèse entre un art classique venu des Baoulés et un style plus baroque propre aux Alengoas. Le masque Kpan Baoulé de Côte d’Ivoire est une autre pièce exceptionnelle. Elle s’est vendue 1,7 million de francs dans la fourchette de son estimation. C’est un objet sans nul doute plus important que le masque Baoulé vendu par François de Ricqlès en mai 2000. On connaît peu de ces masques à collerettes comme celui-ci, peu en tout cas qui datent du XIXe siècle. C’est une pièce emblématique de l’art Baoulé. Le masque Atyé de Côte d’Ivoire (lot 209, 1,4 million de francs), d’un aspect très moderne, est aussi très intéressant.
Les masques de divertissement Dan ont réalisé des prix relativement raisonnables. Très appréciés il y a vingt ans, ces pièces se vendent moins bien depuis quelques années. Ils sont, sans doute, un peu passés de mode, et donc plus accessibles. Les prix atteints dans cette vente (260 000 francs pour un masque de divertissement Dan, lot 218) ne diffèrent pas vraiment beaucoup de ceux d’il y a vingt ans.
La cuiller cérémonielle Dan de Côte d’Ivoire a, elle, au contraire, réalisé un prix exceptionnel (lot 230). Elle a doublé son estimation à 1,6 million de francs. Le prix est compréhensible car il s’agit sans doute d’un des plus beaux objets connus de ce type. Une autre cuiller Dan de Côte d’Ivoire de forme très moderne (lot 231) était tout à fait remarquable. Cette pièce abstraite est merveilleusement sculptée et pourvue d’une très belle patine. La rigueur ajoute au luxe d’un objet cérémoniel. Estimée 100 000 à 150 000 francs, elle est partie à 500 000 francs. La cuiller à jambes est également intéressante avec son côté surréaliste ( lot 233) qui la rapproche des créations de Max Ernst. La pièce, estimée très bon marché (de 100 à 150 000 francs), a plus que quintuplé son estimation à 660 000 francs.
Hubert Goldet avait constitué une très belle collection de poulies. Ces objets, autrefois très prisés, sont aujourd’hui moins demandés. Les plus connus – comme l’étrier de métier à tisser Gouro de Côte d’Ivoire – ont obtenu des prix très élevés (lot 241, 280 000 francs). Achetés à un prix déjà relativement élevé il y a une quinzaine d’années, ils ont vu leurs prix doubler entre temps. Le reliquaire Loumbo (lot 269) a, quant à lui, plus que quadruplé son estimation basse à 1,4 million de francs. C’est un objet vrai, sain dont on connaît l’histoire. Il a été acheté chez Michel Huguenin qui est un bon professionnel. Il est rare de trouver une pièce aussi cohérente.
La figure de reliquaire Bwété, Kota est une des pièces Bakota les plus belles (lot 270). Le prix (2,2 millions de francs) peut paraître très élevé, mais ce n’est pas une première. Il y a dix ou douze ans, chez Ader-Picard-Tajan, un Bakota de même qualité avait été cédé plus de trois millions de francs à Drouot. La statue reliquaire Ambété a obtenu le prix le plus élevé de la vente : 14 millions de francs pour une estimation haute de 6 millions. C’est une pièce exceptionnelle. On n’en connaît que sept au monde. Le sujet est certes un peu difficile, mais quand on aime l’art africain, on ne peut qu’être séduit par ce côté magique, puissant et sauvage. Toutes les pièces équivalentes se trouvent dans des musées. Son prix a connu une spectaculaire progression. En décembre 1979, cet objet avait plafonné à 700 000 francs dans la vente Rasmussen organisée par Libert, Castor, Loudmer, Poulain. Hubert Goldet n’avait pu l’acquérir et en était malade. Il l’a racheté quelques années plus tard au collectionneur. Ce prix très élevé ne constitue pas pour autant un record pour l’art africain. En 1990 chez Sotheby’s, dans la collection Harry-A Franklin, une figure Bangwa s’était envolée à 3,1 millions de dollars.
Autre pièce formidable, le masque Punu (lot 278) est l’un des plus beaux au monde de ce type. Il conjugue à la fois grande beauté et grande ancienneté. On ne peut pas rêver mieux, c’est l’archétype du masque Punu (3,4 millions de francs). Il a tout pour lui : son expressivité remarquable, la qualité de la ciselure. J’aime beaucoup aussi la table rituelle Tshokwe. C’est un objet extraordinaire, d’une grande présence. On ne connaît qu’une seule pièce de ce genre, d’où ce prix élevé de 7,5 millions de francs, qui a quadruplé son estimation. Autre prix surprenant (1,3 million de francs), celui réalisé par la statue d’ancêtre Hemba (lot 305). Cette enchère apparaît d’autant plus étonnante que la statue était fragmentée, amputée de ses bras et de ses jambes. Prix étonnant aussi pour l’appuie-nuque Yaka (lot 315), une pièce magnifique qui a décuplé son estimation à 2,1 millions de francs. Dans la vente de l’après-midi, là aussi, la plupart des objets ont trouvé preneurs souvent au-dessus de leur estimation. Il y avait de belles pièces comme ce bracelet Bamoun du Cameroun qui s’est envolé à 320 000 francs, un prix très élevé pour ce type de parures.

Quatre-vingt-huit millions de francs de produit pour une vente d’art africain. C’est du jamais vu ?
Oui, il s’agit du résultat le plus élevé jamais atteint. La vente Franklin en 1990 n’avait pas dépassé les 7 millions de dollars pour 431 lots.

Qui étaient les acheteurs ?
Essentiellement des collectionneurs, beaucoup d’Européens car le marché est très fort sur notre continent, mais aussi des Américains. Les prix étaient sans doute un peu élevés pour les marchands. Certains auraient aimé acheter mais les enchères étaient trop soutenues.

Quelles sont, selon vous, les clés du succès de cette vente ?
C’est l’esprit de cette collection qui a séduit les acheteurs, le travail d’un vrai collectionneur passionné. La formidable plus-value dont elle a bénéficié tient à la fois au goût et au cœur qui ont préludé à sa constitution. Elle n’a pas été réalisée dans un objectif spéculatif. La disparition d’Hubert Goldet a évidemment contribué à sanctifier cet ensemble. François de Ricqlès a, en outre, réalisé un admirable travail de marketing. La vente était très bien organisée et orchestrée.

Quelles conclusions peut-on tirer de cette vente ? Va-t-elle happer le marché français vers le haut ?
Cette vente permet de conforter Paris comme capitale mondiale du marché de l’art primitif. Elle demeure sans réelle rivale car, si des ventes importantes se déroulent à New York, il n’y a que peu de marchands spécialisés outre-Atlantique. Dans la vente organisée par Ricqlès, beaucoup d’enchères ont dépassé les prix jusqu’alors en vigueur sur le marché. Les objets se sont tous très bien vendus. Mais les marchands ne vont pas pour autant aligner leurs prix sur ces résultats.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°131 du 31 août 2001, avec le titre suivant : La vente Goldet conforte la prééminence de Paris

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