Une activité limitée, peu soutenue par des collectionneurs encore peu nombreux

Malgré la richesse et le dynamisme de la seconde ville de France, le marché de l’art lyonnais souffre de l’insuffisance des achats privés et publics

Le Journal des Arts

Le 31 août 2001 - 1464 mots

Pourquoi la deuxième ville de France après Paris en termes de puissance économique, la seconde aussi d’un point de vue fiscal si l’on tient compte du nombre d’assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), ne jouit-elle pas d’une aura équivalente sur le marché de l’art ? Comment se fait-il que malgré des institutions nombreuses et variées, Lyon n’attire pas plus de galeries et ne suscite pas davantage de vocations de collectionneurs ? C’est qu’en ce domaine, la ville cultive sa différence, teintée de discrétion : loin d’être atones, les ventes se font à l’abri des regards curieux et, dans le domaine de l’art contemporain, en cherchant à renouveler le rôle traditionnel du marchand.

LYON (de notre correspondant) - De prime abord, la question d’un marché de l’art à Lyon suscite un sourire légèrement ironique. Mais passées les rituelles jérémiades et les clichés sur la discrétion en forme de spécialité locale, les langues se délient et le regard change. Car s’il n’y a pas de grosses galeries, pourvues d’un réseau international, des dispositifs inventifs et souvent efficaces se mettent en place. S’agissant par exemple du marché des antiquités, Lyon a acquis une place enviée. Sans jamais miser sur le grand public et la presse, mais en se spécialisant sur les marchés professionnels. Ainsi, les trois ou quatre déballages annuels organisés à Eurexpo attirent-ils la crème des marchands européens et américains. Cette situation profite aux antiquaires de la rue Auguste-Comte, car ces acheteurs internationaux y font aussi une visite.

Ce socle commercial important ne devrait cependant pas évoluer en “foire grand public”, tant les réticences des antiquaires de la place sont grandes. Ils redoutent que leurs clients n’aillent faire leurs courses à Eurexpo, mais remarquent aussi que les provinciaux ne sont pas des flambeurs : il n’est pas question pour eux d’acheter vite au vu et au sus de tous dans une foire, ils “préfèrent une officine discrète où ils trouveront un conseil personnalisé”, note Jean Rey, un antiquaire de la rue Auguste-Comte. De fait, les bonnes affaires qui se traitent dans cette rue et celles de la Cité des antiquaires (100 boutiques sur 4 000 m2) semblent conforter cette tendance à l’achat de gré à gré.

Ventes aux enchères
Une analyse partagée par Me Anaf qui estime que 80 % de sa marchandise est enlevée par des enchérisseurs venus du monde entier (plus de 150 appels pour les grandes ventes), même si l’essentiel de l’approvisionnement se fait en Rhône-Alpes et en Provence. “La richesse de la province en objets et tableaux est proprement stupéfiante, mais les Lyonnais achètent peu”, s’enflamme Me Anaf, installé depuis vingt-cinq ans à Lyon. Il annonce cependant 240 millions de chiffre d’affaires en 2000 et a hissé son étude parmi les cinq premières de France, en faisant flèche de tout bois (ventes judiciaires, volontaires et véhicules). Ayant massivement investi dans l’immobilier, il dispose d’un hôtel des ventes rutilant, installé dans l’ancienne gare des Brotteaux. Un choix judicieux, puisque la visibilité ainsi acquise et le recours à la publicité assurent à l’étude une clientèle venue de loin. 

Curieusement, ses confrères ont préféré maintenir une attitude traditionnelle avant de jouir à leur tour des retombées d’un investissement dans la pierre. L’hôtel des ventes Lyon-Presqu’île, qui abrite trois études, a été récemment rénové pour 4,5 millions de francs. Le chiffre d’affaires de l’étude Chenu, Scrive, Bérard a, depuis, crû d’environ 10 %, passant de 40 à 45 millions de francs, “ce qui est supérieur à la moyenne nationale”, précise Me Bérard. Cependant, le marché des ventes publiques est encore largement dominé par l’étude Anaf, faute d’essayer de vendre autrement. Un choix que revendiquent plusieurs commissaires-priseurs. “C’est une certaine conception du métier, il n’y a pas à en avoir honte”, estime Me Chenu.

Le développement d’une galerie tournée vers l’art contemporain demande des capitaux importants (voir encadré p. 30). La seule galerie locale qui soit parvenue à trouver un financier convaincu – galerie Metropolis soutenue par ArtPrice – n’a pas souhaité répondre à nos questions. Mais, pour pallier ce déficit capitalistique chronique, la plupart des galeristes qui ont choisi de s’intéresser à l’art contemporain ont imaginé des formules originales, qui les mettent en marge d’une conception traditionnelle de la vente, mais qui leur permettent d’exister avec exigence.

Militants autant que marchands
Ainsi, la galerie Le Réverbère s’est-elle constituée en association, fonctionnant uniquement de manière bénévole, le seul salaire versé l’étant à un emploi jeune récemment créé. Ce mode de fonctionnement particulier ne l’a pas empêchée d’acquérir ses murs et de présenter quatre à cinq expositions annuelles d’artistes reconnus (William Klein, Denis Roche), comme d’autres en passe de l’être (Jacques Damez, Laurent Dejente ou Bernard Descamps). “Nous vendons environ deux photos par semaine, ce qui couvre nos frais de fonctionnement”, précise Catherine Derioz, sa directrice dont la réussite doit sans doute beaucoup à sa ténacité souriante. Par ailleurs, la galerie fait tourner ses expositions et participe à des foires, ce qui la fait gagner en visibilité. Son challenger local, la galerie Vrais Rêves, fonctionne sur un mode similaire et remarque qu’il “n’y a que dix galeries spécialisées en photographies en France, dont deux sont installées à Lyon”.

Sortir des murs est un enjeu important pour tous les marchands lyonnais. Olivier Houg a choisi de “dépenser 350 000 francs en cinq jours pour la Fiac, soit un an de frais de fonctionnement ici” et espère ainsi profiter des 100 000 visiteurs, “l’équivalent du public de la galerie en dix ans”, estime-t-il. Installée dans un superbe local du second arrondissement, la galerie Houg présente des artistes travaillant le plus souvent sur des supports traditionnels mais intéressés par des interrogations sociales. Se présentant “comme un marchand qui doit vendre pour survivre”, Olivier Houg bénéficie néanmoins de son travail d’expert près la cour d’appel, qui lui permet de s’abstraire de la difficulté d’obtenir un équilibre financier immédiat.

Le double métier est en effet un moyen largement usité pour faire vivre sa passion. Transformant ainsi des contraintes matérielles en atout de différenciation, Fabrice Treppoz, qui enseigne dans le secondaire, expose chez lui des artistes allant de Yan Pei-Ming à Christian Lhopital. La galerie (Domi Nostrae), qui existe depuis plus de dix ans, s’étend aujourd’hui sur 300 m2, ce qui prouve qu’on peut non seulement vivre mais encore se développer en usant de stratégies originales. C’est le cas aussi de l’atelier de lithographie de l’Urdla (Union régionale et départementale de la lithographie d’art), qui a initié une politique éditoriale de livres d’artistes tout en préservant des presses lithographiques uniques et en organisant des expositions comme celle de Frédéric Leconte qui s’est tenue chez l’encadreur ébéniste José Martinez.

Frictions entre institutions et galeries
Le seul vrai point d’inquiétude demeure le curieux déphasage entre les institutions et les galeries. En effet, rares sont les galeristes qui ne prennent pas à partie les acheteurs publics qu’ils disent avoir du mal à séduire. “Nous n’avons qu’une reconnaissance verbale et non sonnante et trébuchante”, déplore Fabrice Treppoz. Pourtant, plusieurs d’entre eux ont conclu des ventes. Mais ces dernières ne sont ni régulières, ni fréquentes. Une situation qu’assument les acheteurs publics. “Nos critères sont avant tout artistiques, j’achète à Lyon si la pièce me paraît intéressante et correspond aux axes définis pour la collection, jamais parce que c’est en vente ici”, précise Françoise Lonardoni, directrice de l’Artothèque de Lyon.

Un point de vue partagé par Jean-Louis Maubant, directeur de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne : “le métier de galeriste est difficile, mais nous ne pratiquons ni ostracisme ni privilège. Mon regard est davantage tourné vers la collection, on ne peut pas à la fois défendre une politique artistique et un marché local”. Pourtant, l’activité publique provoque une importante affluence de clients potentiels dont bénéficient certains galeristes. “Avec l’exposition Georges Rousse, présentée simultanément à la Biennale, j’ai fait en un mois, deux ans de chiffre d’affaires”, se félicite la galeriste Geneviève Mathieu.

Par ailleurs, peu de marchands s’intéressent aux installations ou ont les moyens de les produire alors qu’elles seraient susceptibles d’attirer les institutions. Seul, l’un d’entre eux a mis au point une stratégie originale, qui lui permet de soutenir ce type de production au sein de son entreprise de communication. “Pour moi, la galerie est notre secteur recherche et développement, cela rejaillit sur toute l’entreprise. Nous avons maintenant atteint un point d’équilibre et dégageons 3 millions de francs de marge brute, sur lesquels il reste entre 5 et 10 % de bénéfices, détaille le galeriste Georges Verney-Carron. Et en effet, Art Entreprise développe des projets d’art dans l’espace public, qui rencontrent l’intérêt des décideurs et des artistes. Cela permet de développer des installations dans la galerie et de financer un espace à Paris (Site Odéon° 5, un showroom situé place de l’Odéon), preuve que de Lyon, on peut aller vers la capitale sans en partir tout à fait.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°131 du 31 août 2001, avec le titre suivant : Une activité limitée, peu soutenue par des collectionneurs encore peu nombreux

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