Patrimoine

L’art d’être chrétien en Corse

L’exposition révèle un patrimoine méconnu

Par Jean-François Lasnier · Le Journal des Arts

Le 31 août 2001 - 994 mots

CORSE

Si le christianisme n’a pas tout à fait deux mille ans en Corse, il a laissé sur l’île un patrimoine aussi remarquable que méconnu, dont l’exposition du Musée de Corte invite à découvrir la richesse. Du haut Moyen Âge à l’époque baroque, la région se peuple en effet d’églises et de chapelles, de sculptures et de tableaux, sous l’ascendant incontestable de l’Italie et de ses artistes.

Deux mille ans de christianisme en Corse ? La formule, fédératrice, apparaît pourtant présomptueuse. Insularité oblige, la région n’est évangélisée que tardivement, et le premier réseau d’églises n’apparaît pas avant la première moitié du VIe siècle. Dépendant alors du royaume vandale installé à Carthage, l’île est christianisée par des évêques – sans doute exilés – venus d’Afrique du Nord. Mais, après cet épisode “africain”, toute l’histoire de la Corse chrétienne, jusqu’à l’orée du XIXe, restera liée, intellectuellement et artistiquement, à l’Italie : Rome d’abord, puis Pise et Gênes. Comme pour souligner ces affinités, les commissaires de l’exposition de Corte, confrontés à l’absence de témoignages corses pour les premiers siècles, ont sélectionné des œuvres trouvées à Rome pour ouvrir la visite. La stèle funéraire de Licinia Amias (IIIe siècle), sur laquelle a été gravée l’une des premières inscriptions chrétiennes, constitue une des pièces introductives. Plus tardifs, les objets exhumés en Corse rappellent l’origine nord-africaine de l’évangélisation, avec par exemple des carreaux en terre cuite destinés au décor des plafonds dans les basiliques. Ces vestiges constituent l’une des productions les plus originales d’Afrique du Nord.

L’état de la recherche archéologique en Corse, pour l’Antiquité classique et tardive, explique en grande partie la faiblesse des témoignages sur cette période fondatrice. À Mariana (commune de Lucciana), première cité romaine fondée sur l’île par Marius au Ier siècle av. J.-C., les fouilles sont interrompues depuis la fin des années 1960. Dans ce contexte, la mise en place, l’an dernier, du Projet collectif de recherche (PCR) Mariana et la Basse vallée du Golo devrait ouvrir des perspectives nouvelles à la recherche archéologique, pour l’Antiquité et le Moyen Âge. Regroupant trente chercheurs et vingt centres de recherche, cette entreprise est dirigée par Philippe Pergola du CNRS, par ailleurs commissaire de l’exposition. Une première fouille est d’ores et déjà programmée à Mariana sur une zone de 300 m2 au sud de la basilique. Ce site est d’autant plus intéressant qu’il est occupé de façon à peu près continue du Ier siècle av. J.-C. au XIIIe siècle. Le haut Moyen Âge n’est guère mieux connu malgré la découverte de sites tels Bravone et Rescamone. Si la cathédrale de Mariana a livré de belles mosaïques à motifs géométriques, un des témoignages essentiels de l’iconographie insulaire vient de Brescia, et plus précisément du monastère San Salvadore : il s’agit d’un chapiteau représentant le martyre de sainte Julie, patronne de la Corse, crucifiée à Carthage vers 250.

Sous le pontificat de Grégoire VII, l’église corse semble enfin prendre son essor. En 1077, le pape revendique sa souveraineté sur l’île, et confie à l’évêque de Pise la mission de la christianiser en profondeur, l’évangélisation étant restée superficielle. Cette reprise en main va s’accompagner de nombreuses constructions d’églises, sous la houlette de maîtres d’œuvre et de maçons itinérants, venus pour l’essentiel d’Italie. À San Giovanni de Venaco (fin du XIe), près de Corte, le décor extérieur de l’abside renvoie à la Lombardie et à la Catalogne. Mais, dès le XIIe siècle, le modèle toscan s’impose partout, et marque profondément le paysage : on recense environ 800 églises et chapelles de style roman en Corse. L’art gothique est, lui, resté strictement cantonné à Bonifacio. À l’exception de quelques photographies, l’exposition du Musée de la Corse n’évoque cette floraison que par des éléments de décor architectural et des moulages, qui révèlent le caractère rustique de cet art roman insulaire. Tout en restant fidèle à la tradition romane jusqu’au XIXe siècle, la Corse devait s’ouvrir aux raffinements de l’art baroque, témoignant une fois de plus de son attachement à la romanité. Encore une fois, les artistes italiens viennent offrir leurs services sur l’île, à l’instar de Domenico Baina, architecte, sculpteur et stucateur natif de Côme. Il est l’auteur notamment de l’église de La Porta et de son spectaculaire clocher.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, de nombreuses commandes sont passées aux artistes génois, et non des moindres. Ces tableaux venus de la péninsule devaient exercer une puissante influence sur les peintres corses. Ainsi, Les Âmes du Purgatoire (1680) du Bastiais Farinole s’inspirent ostensiblement d’une toile de Domenico Piola conservée à Bastia. Quant à la Sainte Conversation (1628) de Nicolao Castiglioni, elle a un temps été considérée comme une œuvre génoise, soulignant, si besoin est, la communauté entre la métropole et sa province. Malheureusement, les artistes insulaires, qu’ils soient d’origine italienne ou autochtone, échouent à égaler leurs modèles, et n’offrent bien souvent qu’une version maladroite et provinciale de la grande peinture baroque. Ce qui n’empêche pas d’adapter les conventions à la sensibilité corse. Dans une Décollation de saint Jean-Baptiste, le bourreau est remplacé par un sarrasin, personnification contemporaine de l’ennemi de la Foi, tandis que Salomé et sa servante sont travesties en femmes barbaresques. Mais, c’est certainement dans la statuaire religieuse que le génie local s’exprime avec le plus de vigueur, dans des brancards de procession, tel celui de Saint Érasme de Bastia, alliant franchise de l’expression et sincérité de la dévotion. Au-delà des considérations artistiques sur la valeur intrinsèque des œuvres, l’exposition révèle l’existence d’un patrimoine religieux, souvent plus important que dans d’autres régions françaises, et pourtant largement méconnu. Signes de cette opulence encore insoupçonnée, de somptueux vêtements liturgiques (chapes, chasubles, dalmatiques...) ont par exemple été exhumés des sacristies, et se déploient en une suggestive procession.

- À VOIR : CORSICA CHRISTIANA, 2000 ANS DE CHRISTIANISME, jusqu’au 31 décembre, Musée de la Corse, Citadelle de Corte, 20250 Corte, tél. 04 95 45 25 45, tlj 10h-20h jusqu’au 20 septembre, puis 10h-18h sauf lundi (et dim. du 1er novembre au 31 décembre). Catalogue, 2 vol., 450 F.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°131 du 31 août 2001, avec le titre suivant : L’art d’être chrétien en Corse

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