Zones pavillonnaires

Une rétrospective de Dan Graham au Musée d’art moderne de la Ville de Paris

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 31 août 2001 - 686 mots

Après Porto et avant Otterlo et Helsinki, la rétrospective de Dan Graham fait étape à Paris. Consacrée à une œuvre entamée au milieu des années 1960 entre Art minimal et Pop’Art, l’exposition fournit une lecture chronologique d’un travail complexe où se mêlent sculpture, architecture, rock et sociologie.

PARIS - Pris entre les vitres et les miroirs de Two Cubes/One Rotated 45° (1986) ou de Triangular Solid with Circular Inserts, Variation B (1989-1991) – les deux sculptures disposées par Dan Graham dans le hall d’accueil du Musée d’art moderne de la Ville de Paris –, le visiteur voit autant qu’il est vu. À mi-chemin entre la maquette et la folie architecturale, ces structures d’aluminium aux angles aigus renvoient inévitablement aux immeubles de multinationales appliquées à prouver leur efficacité et leur transparence par des façades vitrées aux reflets implacables. C’est pourtant avec le projet Home for America (1966), tentative d’analyser par la logique sérielle de l’Art minimal la banlieue américaine de la fin des années 1960, que s’ouvre la rétrospective de l’artiste américain. Entre l’enseignement du Bauhaus et le dévergondage de Venturi, l’Art minimal et le Pop, Dan Graham n’a jamais choisi. Quant à Rock my Religion (1982), documentaire de cinquante-deux minutes sur l’essence mystique du rock, qui fait un parallèle entre les rites shakers (communauté chrétienne du XIXe siècle) et les transes adolescentes du punk, il ouvre une porte de plus vers la contre-culture. Dan Graham est un habitué des contrastes, des écarts qu’il finit toujours par réconcilier. Un pied sur le paillasson des Simpsons, l’autre dans la Farnworth House de Mies Van der Rohe, l’artiste a livré en 1978, avec Alteration to a Suburban House, une fiction domestique de premier ordre : remplacée par une paroi de verre, la façade avant d’un pavillon de banlieue donne à voir l’exacte moitié d’un foyer, l’autre étant cachée derrière un miroir. “La répartition traditionnelle de l’espace familial est transformée. Le reflet dans le miroir révèle aussi les relations du pavillon avec son environnement social, et met en évidence la position de regardeur du spectateur”, postulait Dan Graham en 1981 à propos de ce projet dans Building and signs. L’étude de la culture middle-class, le rôle social de l’architecture et la mise en place de dispositifs visuels complexes font de ces trois travaux un condensé de l’œuvre de l’Américain.

En alignant chronologiquement une soixantaine de pièces, l’exposition parvient à donner une vision d’ensemble d’un travail trop souvent perçu de façon fragmentaire – de par la diversité même des formes auxquelles il recourt. Elle n’en fournit pas moins un découpage propre à souligner des “périodes” au sens classique du terme : propositions conceptuelles, travaux vidéo, maquettes et pavillons. Detumescence (1966) – description clinique des “phénomènes affectifs et physiologiques éprouvés normalement par un homme après l’orgasme” – précède par écrit les expérimentations cinématographiques telles que Roll et Body Press (1970). La caméra, pensée comme un prolongement du corps, devient alors un outil d’étude de la perception, avant que la vidéo et les disjonctions qu’il autorise fournissent un nouveau support à cette quête phénoménologique. À l’aide de mises en abyme, les dispositifs vidéo permettent au spectateur d’expérimenter l’acte du regard – Two viewing rooms (1975), Opposing Mirrors and Video Monitors on Time Delay (1974) – par la déconstruction du médium, exercice cher aux années 1970. Réalisées à partir de la fin de cette décennie, les constructions de verre et autres projets architecturaux opèrent sur des bases comparables. Ils n’en fournissent pas moins une voie de sortie à des installations souvent trop “littérales”, produites pour le seul cadre muséal. Las, que cela soit le Skate-Park Pavilion (1989) muni d’une pyramide digne du “Grand Louvre”, ou le Pavillon des enfants (1989) réalisé en collaboration avec Jeff Wall, nombre de ses projets les plus ambitieux sont restés à l’échelle réduite. Mais est-ce vraiment important ? “L’architecte construit ; l’artiste détruit”, écrivait Dan Graham en 1983 au sujet de Gordon Matta-Clark.

- DAN GRAHAM, ŒUVRES 1965-2000, jusqu’au 14 octobre, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tlj sauf lundi, 10h-17h30, sam. et dim. 10h-18h45, cat., 420 p., 345 F, www.paris-france.org/musees

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°131 du 31 août 2001, avec le titre suivant : Zones pavillonnaires

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