Le taureau par les cornes

À Martigny, Picasso revisite les grands mythes

Le Journal des Arts

Le 14 septembre 2001 - 548 mots

L’exposition organisée par la Fondation Gianadda réunit plus d’une centaine d’œuvres du maître espagnol autour du thème du taureau. De nombreux objets, chefs-d’œuvre préhistoriques et antiques, accompagnent cet ensemble, établissant ainsi de judicieux parallèles.

MARTIGNY - “Des dizaines d’expositions sont consacrées, chaque année, à Picasso, explique Gérard Régnier, directeur du Musée Picasso de Paris et commissaire de la manifestation. Il ne s’agissait pas d’en réaliser une de plus, mais de créer une exposition qui fasse sens dans le contexte spécifique de la Fondation.” Cette recherche de sens s’est incarnée dans la pièce maîtresse des collections archéologiques de la Fondation : une tête de taureau tricorne en bronze d’époque romaine, découverte en 1883 à Martigny. Animal mythique, le taureau, qui est – depuis l’Antiquité – au centre d’une riche iconographie, apparaît également de façon récurrente dans l’œuvre de Picasso. Le traitement thématique, basé sur un simple rapprochement formel, n’aurait sans doute pas suffi à contenter les amateurs si la découverte inopinée, en 1993, d’un mithraeum à quelques mètres de la Fondation n’avait donné une dimension supplémentaire à l’exposition. Le culte de Mithra, dont les origines se situent en Inde et en Iran durant le deuxième siècle de notre ère, se répand largement en Europe. Reposant sur le sacrifice d’un taureau que l’on égorge, et dont le sang se répand sur le visage de l’initié, il était censé procurer une force immortelle. Acte créateur qui abolit la mort, l’immolation de la bête par le dieu Mithra – incarnation de la lumière – est devenue l’image fondamentale du culte. Alliant le culturel au cultuel, l’exposition réunit des œuvres de Picasso s’inscrivant dans cette tradition iconographique, mais aussi des objets d’art d’époques et de civilisations différentes qui consacrent l’effigie taurine. L’étonnant Mithra sacrifiant le taureau, datant des IIe-IIIe siècles, conservé au Musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, présente, en effet, de troublantes correspondances formelles avec la série du Minotaure aveugle, où l’animal, tête renversée en arrière et gorge offerte, se laisse conduire par une fillette. Tantôt victime ou bourreau, le taureau chez Picasso est une figure complexe et ambivalente. Fasciné par sa puissance et sa force, l’artiste l’introduit dès ses premières œuvres avec les séries traitant de la corrida, puis le convoque de façon quasi obsessionnelle jusqu’à sa mort. Le duel qui oppose l’homme à la bête s’enrichit au fil du temps de nouveaux éléments : la présence du cheval et de la femme torero qui se substitue peu à peu à celui-ci. Transcendant le caractère purement bestial de son sujet, Picasso y ajoute une dimension symbolique essentielle. Il revisite dans un syncrétisme assumé les grands mythes de l’humanité, le plus évident d’entre eux étant celui du Minotaure. Incarnation de la puissance virile du peintre, il devient le reflet de sa conscience, apparaissant blessé ou mourant pendant ses périodes de doute, notamment les années 1930 où il tente d’échapper à ses problèmes personnels et au conflit qui secoue l’Espagne.

- Picasso sous le soleil de Mithra, jusqu’au 4 novembre, Fondation Pierre-Gianadda, 1920 Martigny, Suisse, tél. 41 27 722 39 78, ouvert tlj, 9h-19h. Catalogue, 294 p., 45 FS (env. 180 F) ; www.gianadda.ch. L’exposition sera visible également à Paris du 28 novembre au 4 mars 2002, au Musée national Picasso, 5 rue de Thorigny, 75003 Paris, tél. 01 43 54 87 71.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°132 du 14 septembre 2001, avec le titre suivant : Le taureau par les cornes

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque