Les ambitions de Sam Fogg

Le libraire londonien a ouvert une nouvelle galerie spécialisée sur l’Orient

Le Journal des Arts

Le 12 octobre 2001 - 989 mots

Le libraire londonien Sam Fogg, d’abord spécialisé dans les manuscrits médiévaux occidentaux, a élargi son champ d’intérêt aux manuscrits orientaux et aux œuvres d’art médiévales et islamiques. Il a ouvert, cette année, de nouveaux et somptueux locaux sur Clifford Street.

Pourquoi avez-vous élargi votre domaine d’activité ?
Au départ, je ne m’intéressais qu’aux manuscrits occidentaux, mais c’est un domaine très limité et les œuvres n’apparaissent que très rarement. Et des manuscrits médiévaux à l’art du Moyen Âge, il n’y a qu’un pas. Récemment encore, les manuscrits médiévaux étaient partie intégrante du commerce du livre, qui est ma première vocation, mais j’ai toujours essayé de les appréhender plus comme des œuvres d’art que comme des livres. S’intéresser aux manuscrits orientaux et aux œuvres d’art des deux cultures était une continuation logique.

Y a-t-il de nombreux points de rencontre entre les clients des deux domaines ?
J’essaie d’encourager mes clients à collectionner dans les deux domaines et je réussis parfois, mais je suis surpris de constater à quel point c’est difficile. Les gens qui collectionnent les manuscrits occidentaux rêvent de trouver un manuscrit séculaire traitant de la chasse ou de l’amour, tandis que les manuscrits islamiques enluminés traitent tous de ces thèmes. Les manuscrits antérieurs au XIeou au XIIe siècle en Europe sont vraiment introuvables, mais dans le domaine islamique on peut acheter des manuscrits du VIIIe siècle ou du IXe siècle. Tout comme l’art médiéval occidental, l’art de l’islam est très spirituel, et je pensais donc qu’il y aurait davantage de points de rencontre.

Vous pensiez qu’il y avait un créneau dans le marché des arts de l’islam et qu’il fallait profiter de sa bonne santé pour s’y intéresser ?
Le marché de l’art islamique se porte bien en ce moment, mais c’est un marché volatile qui connaît beaucoup de hauts et de bas. Les professionnels n’ont jamais de stocks importants, et c’est ce qui m’a plu. Nous voulons avoir la meilleure réserve d’œuvres de manuscrits islamiques au monde, et je pense que nous y parvenons. J’aimerais avoir davantage d’objets, mais c’est difficile.

Quel était votre chiffre d’affaires pour l’année dernière ?
Nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 10 millions de livres (100,4 millions de francs) l’année dernière, et tout porte à croire que nous sommes en progression cette année.

Le pouvoir d’achat de cheikh Al Thani au Qatar, et de cheikh Nasser au Koweït, a-t-il eu des répercussions sur le marché ?
Ce sont tous les deux de grands collectionneurs, mais il n’est pas impossible qu’on ait exagéré l’influence qu’ils ont pu avoir sur le marché.

Quelle est l’importance de la provenance pour les objets d’art islamique ?
La provenance est très importante. La plupart des beaux objets ont un pedigree. Certains, récemment apparus sur le marché, viennent du Moyen-Orient. Des pièces sont sorties d’Afghanistan depuis que les talibans sont au pouvoir, mais ce n’est pas une source d’approvisionnement essentielle. Les plus beaux objets appartiennent à des collections américaines et européennes ; ils ont été exportés à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. De nombreux objets ont également fait leur apparition après la guerre, et certaines de ces collections sont actuellement dispersées.

Que dire des articles de ferronnerie hispano-islamiques, et notamment du heurtoir que Christie’s a vendu en octobre 2000 ? Ce sont des articles inédits qui viennent tous de la même collection européenne, mais de nombreuses personnes estiment qu’ils ne sont pas authentiques.
Je pense que ce sont des pièces magnifiques et je ne discute pas la provenance annoncée par Christie’s. Il y a des choses superbes dont personne ne soupçonne l’existence. L’année dernière, j’ai trouvé une page provenant du plus beau manuscrit du bas Moyen Âge du monde, les Heures de Turin Milan, très célèbre depuis cent cinquante ans. Il y a deux ans environ, j’ai trouvé deux panneaux peints provenant des plafonds du palais de Westminster, qui sont à présent conservés au British Museum. Nous parlons ici de collections privées qui n’ont pas reçu la visite d’historiens de l’art ou de marchands depuis des générations.

Les faux sont-il un véritable problème ?
On trouve des faux à couper le souffle, surtout dans les domaines de la ferronnerie et de la céramique. Certains ont été fabriqués à notre époque, mais d’autres le furent il y a très longtemps.

Continuerez-vous à participer à des foires ?
Je n’en fais plus. Quand on dirige une galerie, on ne peut pas faire les deux. Nous voulons présenter plusieurs expositions chaque année, nous avons toujours beaucoup d’objets à montrer et faire tout cela en plus des foires représente un travail énorme. Ici, nous pouvons organiser des expositions très ciblées, ce qui est impossible dans les foires. Notre première exposition officielle à la galerie, consacrée à l’art éthiopien, montrait des œuvres que l’on n’a pas souvent eu l’occasion de voir à Londres.

Comment se porte le marché actuellement dans vos spécialités ?
Le marché de l’art médiéval occidental a pris son essor au cours de la dernière ou des deux dernières années, mais ce n’est pas comparable avec les autres domaines du marché, comme les maîtres anciens ou la peinture moderne par exemple. Le marché de l’art islamique a explosé il y a deux ou trois ans, mais pour certains types d’objets seulement. Les manuscrits islamiques et les miniatures indiennes n’intéressent pas grand monde en ce moment. Les miniatures indiennes particulièrement qui se vendent nettement moins cher qu’il y a quelques années. Un fossé sépare les générations de collectionneurs.

Ne craignez-vous pas d’avoir choisi le mauvais moment pour ouvrir une nouvelle galerie compte tenu du ralentissement de l’économie mondiale ?
Je suis un peu inquiet, mais concrètement, rien ne permet d’avancer que le marché va connaître une forte tendance à la baisse. Ce domaine du marché n’est motivé ni par l’investissement spéculatif, ni par un effet de mode. Les collectionneurs n’ont jamais été très nombreux. Ils ne sont pas venus sur un coup de tête, et ne devraient donc pas repartir sur un coup de tête.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°134 du 12 octobre 2001, avec le titre suivant : Les ambitions de Sam Fogg

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