Hier pour demain

Les plans napoléoniens annonçaient déjà la Rome actuelle

Par Adrien Goetz · Le Journal des Arts

Le 26 octobre 2001 - 463 mots

De 1809 à 1814, Camille de Tournon, un jeune préfet qui ne ressemblait pas à un préfet mais posait, chemise ouverte et main sur le cœur dans la campagne romaine, aurait-il réinventé l’urbanisme de Rome d’une manière tellement géniale que ses intuitions auraient été mises en œuvre jusqu’au XXe siècle ? Exposant pour la première fois des documents inédits, de grands plans aquarellés, de superbes dessins d’architecture demeurés chez les descendants de cet administrateur visionnaire et déjà romantique, la bibliothèque Marmottan livre au public toutes les pièces de cet étonnant dossier.

BOULOGNE-BILLANCOURT - La postérité avait oublié Camille de Tournon (1778-1833), malgré la thèse de l’abbé Moulard parue en trois volumes de 1829 à 1832. Au mieux se souvenait-on de sa mère, au physique digne de Goya et qui réussit pourtant à se faire peindre par Ingres (Philadelphia Museum of Art). Napoléon ne se rendit jamais dans la seconde capitale de l’Empire. Les dessins commandés par Tournon montrent que la ville l’attendait, au Quirinal, dans de somptueux appartements qui sont aujourd’hui ceux de la présidence italienne, mais aussi au milieu des vestiges de la grandeur antique. Le meilleur résumé des entreprises du dynamique préfet se trouve sous la plume de Chateaubriand, dans les Mémoires d’outre-tombe (IIIe partie, IX, 13) : projets d’assèchement des marais pontins, dégagement du Colisée et du Forum, fouilles et aménagement des abords de la colonne Trajane, projets pour la place du Peuple, la place du Panthéon, jardins, cimetières... Tournon envisageait même un percement très élégant pour l’actuelle via della Conciliazione (une avenue qui s’amenuisait légèrement, là où les urbanistes mussoliniens ont tranché au cordeau). Toute la Rome du XIXe et du XXe siècle était en germe dans les portefeuilles personnels de Tournon – qui dormaient chez ses héritiers.

L’exposition rapproche intelligemment les dessins de l’album de Tournon des gravures de Piranèse – qui magnifient elles aussi les monuments – et de photographies du XIXe siècle rapportées par Paul Marmottan, dont certaines sont de vrais chefs-d’œuvre. Triple plaisir donc, avec celui de comprendre le rôle capital d’un homme dont l’importance a été sous-estimée par les historiens de l’urbanisme romain. L’exposition s’accompagne d’un catalogue qui, outre de passionnantes contributions signées d’Yves-Marie Bercé, de Pierre Pinon ou Bruno Foucart, directeur de la bibliothèque napoléonienne Paul-Marmottan, livre l’intégralité des Cahiers de voyages inédits de Camille de Tournon. On y sent constamment son regard – Parme, ville “vaste mais mal percée”. Le manuscrit de ses Mémoires, que l’abbé Moulard avait lus, semble dormir encore dans quelque bibliothèque familiale. On brûle désormais de le lire.

- Camille de Tournon, le préfet de la Rome napoléonienne, 1809-1814, jusqu’au 26 janvier, bibliothèque Marmottan, 7 place Denfert-Rochereau, 92100 Boulogne-Billancourt, tél : 01 41 10 24 70, du mercredi au vendredi 14h-18h, samedi 9h30-12h et 14h-17h. Catalogue, 200 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°135 du 26 octobre 2001, avec le titre suivant : Hier pour demain

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