Ange Leccia : « La pédagogie peut venir de l’acte artistique »

Un entretien avec Ange Leccia, directeur du programme du Pavillon au Palais de Tokyo

Le Journal des Arts

Le 26 octobre 2001 - 1110 mots

En novembre prochain, six jeunes artistes et un commissaire d’exposition intégreront le Pavillon, l’unité pédagogique du Palais de Tokyo. À l’initiative du programme, l’artiste Ange Leccia nous détaille dans cet entretien son souhait d’offrir à ses participants une formation directement liée à la vie d’un centre de création contemporaine.

Quelle a été la genèse de ce projet ?
En 1999, lorsque le ministère de la Culture a voulu créer un centre d’art, le futur Site de création contemporaine du Palais de Tokyo, j’ai rencontré Guy Amsellem, délégué aux Arts plastiques, pour lui faire part de mon projet. J’étais à l’époque professeur à Cergy, et l’expérience que j’avais acquise notamment lors de mon passage à Grenoble m’avait conforté dans l’idée de développer les complicités entre les jeunes artistes et les structures de diffusion, en les plaçant à l’intérieur de celles-ci. Je trouvais intéressant le fait que le Palais de Tokyo puisse avoir des habitants naturels en plus de l’équipe dirigeante proprement dite. Tous les interlocuteurs, parmi lesquels Jérôme Sans, Nicolas Bourriaud, responsables du Site de création, et Jacques Imbert, inspecteur général de l’enseignement artistique, sont tombés d’accord sur la pertinence du projet, et le programme a pu être lancé.

Aviez-vous un modèle d’organisation en tête ?
J’avais vu fonctionner l’école du Magasin à Grenoble, qui est un établissement qui forme des médiateurs, et j’avais pu juger de sa richesse et de son originalité, notamment dans les liens qui s’étaient développés entre les étudiants et les artistes de l’École des beaux-arts. Mais dans ce cas précis, il s’agissait d’une école de “curateurs” intégrée à un centre d’art, et pas d’une école pour les artistes. Avec le Pavillon, des contacts pourront se faire entre les jeunes artistes, le commissaire d’exposition associé à la promotion (qui amènera un débat intellectuel et philosophique), les enseignants, mais aussi toutes les personnes qui seront appelées à intervenir au Palais de Tokyo, critiques, artistes... Tous les créateurs qui viendront exposer seront automatiquement invités à venir travailler avec ces jeunes artistes en résidence. Des réunions sont prévues pour que tous les participants soient au fait de la programmation. Il doit y avoir une interactivité constante.

Comment l’enseignement doit-il se dérouler ?
L’année est divisée en trois “saisons”. J’invite pour chacune d’entre elles un artiste ou un groupe d’artistes. Dominique Gonzales-Foerster inaugure le programme avec un projet, qui se déroulera en partie au Mexique, axé sur la définition d’un art du futur en partant de l’architecture des sites précolombiens. Pierre Joseph interviendra ensuite, suivi des graphistes Michael Amzalag & Mathias Augustyniak (M/M) qui travailleront sur l’idée de la diffusion et de la mise en page au sens large. Des artistes étrangers seront également invités chaque semaine, à mon initiative, ou sur proposition des étudiants. Le programme a été élaboré avec la volonté de laisser au groupe une certaine liberté d’improvisation. Les étudiants seront eux-mêmes porteurs de demandes, or celles-ci n’apparaîtront qu’une fois le groupe constitué. C’est une façon de les responsabiliser. J’ai trop souffert dans les écoles d’art de devoir présenter un projet pédagogique un an à l’avance, et finalement de me retrouver devant un groupe pour lequel ce programme était inadapté. Cette attitude pédagogique rassure le corps enseignant et l’administration, mais elle est complètement inapte face aux aspirations des jeunes artistes d’aujourd’hui. Je veux absolument éviter cela.
En termes de logistique, les jeunes artistes – je préfère ce terme à celui d’étudiants, car les participants ont déjà acquis une certaine expérience à travers d’autres cursus – bénéficient d’un espace pour travailler dont l’aménagement évoluera en fonction des besoins du groupe. Ils disposent également d’un équipement technologique pour faire du montage vidéo, même si, je tiens à le préciser, nous ne sommes pas dans une école spécialisée dans l’audiovisuel, mais aussi de toute l’infrastructure du Palais de Tokyo pour fabriquer leurs pièces : atelier de menuiserie, par exemple.

Comment se situe le Pavillon par rapport aux écoles d’art ?
Nous sommes complémentaires. Mon expérience d’enseignant me fait penser que c’est la solution idéale.

L’expérience ne concerne qu’un très petit nombre de personnes. Pensez-vous que ce projet puisse être développé à grande échelle ?
Le programme devrait s’étendre à une quinzaine de participants dans l’avenir. Est-ce applicable à grande échelle ? Je ne sais pas, mais cela peut sans doute être multipliable. L’école d’art doit casser le cocon et l’isolement dans lesquels elle se trouve pour des raisons de confort et de géographie. Une réoxygénation et un renouvellement doivent se produire aussi dans les équipes pédagogiques. Les enseignants que j’ai sollicités sont avant tout des artistes. Ils trouvent dans cette expérience un lieu pour affiner leur pensée artistique, et un moyen de rebondir sur leur propre démarche. Je vis ce projet comme un acte artistique à part entière, c’est aussi important pour moi qu’une invitation à la Documenta, par exemple. On demande souvent aux artistes de déposer sur le seuil de l’école d’art leurs habits de créateur pour endosser ceux de pédagogue. Je veux démontrer que la pédagogie peut venir de l’acte artistique et non d’un discours coupé de toute réalité.

L’année au Pavillon est-elle assortie de contraintes particulières pour les étudiants ?
Il n’y a pas d’examen qui sanctionne l’année, seulement des contraintes de présence programmées selon la série d’activités prévues. De même, la traditionnelle exposition de fin d’année n’est pas au programme, car ce qui nous importe davantage, c’est d’insérer les jeunes artistes dans de vrais projets d’exposition. Trois d’entre eux sont déjà présents à l’Arc, dans l’exposition “Traversées” organisée par Hans Ulrich Olbrist. Ce qui importe, c’est de les placer dans des débats réels. Ils seront, par ailleurs, amenés à participer à des expositions spécifiques au Palais de Tokyo, mais pas forcément en tant que groupe du Pavillon.

L’ouverture du Site de création contemporaine a été reportée, elle devrait avoir lieu à la fin du mois de janvier. Cela remet-il en cause le calendrier du Pavillon qui doit accueillir sa première promotion dès novembre ?
Les travaux du Pavillon sont terminés, les jeunes artistes arriveront donc, comme prévu, le 5 novembre. Mais le Pavillon est actif depuis plusieurs mois. Une phase de préfiguration a eu lieu pendant laquelle deux workshops ont été réalisés, l’un au Maroc en lien avec le Fresnoy, qui a débouché sur un film présenté à la Femis, et l’autre en Corse fondé sur l’idée du paysage et de la nature qui s’est finalisé par une exposition au Frac Corse.

Quel est le montant du budget ?
Il s’élève à 1,5 million de francs par an, ce qui inclut les bourses de 50 000 francs offertes aux jeunes artistes.

- Le Pavillon, unité pédagogique du Palais de Tokyo, 2 rue de la Manutention, 75116 Paris, tél. 01 47 23 54 01 (www.palaisdetokyo.com).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°135 du 26 octobre 2001, avec le titre suivant : Ange Leccia : « La pédagogie peut venir de l’acte artistique »

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque