Penser par le dessin

Première monographie en français sur Federico Barocci

Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2001 - 743 mots

Peintre essentiel de la seconde moitié du XVIe siècle, Federico Barocci (1528 ou 1535-1612) fut non seulement un coloriste étonnant, mais aussi un dessinateur de génie, qui pensait chaque aspect d’une œuvre par le dessin. C’est ce que s’attache à montrer Nicholas Turner dans cette première monographie en français consacrée à un artiste, qui fut l’un des meilleurs interprètes de la sensibilité religieuse issue de la Contre-Réforme.

Il faut d’abord saluer l’éditeur Adam Biro qui, un an après Domenico Beccafumi, nous offre une nouvelle monographie sur un peintre italien du XVIe siècle, dont la renommée demeure trop modeste de ce côté-ci des Alpes. Federico Barocci, ou le Baroche comme l’ont surnommé les Français, fut pourtant un artiste important dont les inventions n’ont laissé indifférent ni les Carrache ni Caravage. Originaire, comme Raphaël, d’Urbino, il y effectuera l’essentiel de sa carrière après une expérience malheureuse à Rome où, lors de son second séjour, il fut victime, semble-t-il, d’une tentative d’empoisonnement. Il travaillait alors au décor du Casino de Pie IV. Bien des années plus tard, il peindra pour la Chiesa Nuova à Rome deux de ses chefs-d’œuvre, la Visitation et la Présentation de la Vierge au Temple.

En 1563, il est donc de retour définitivement dans sa ville natale, où il bénéficiera de la protection et de l’appui du duc d’Urbino Francesco Maria II della Rovere. Dès cette époque, il pose les bases de son art identifiable entre tous, grâce à “son sfumato, ou, si l’on préfère, un flou de la définition picturale, qui lui permit de rendre l’apparence naturelle de la forme dans l’espace”. Dans la Madone de saint Jean, vers 1565, “s’exprime pour la première fois une piété sincère et touchante qui se retrouvera dans son œuvre religieux ultérieur”. S’y manifeste également l’influence de Corrège, dont il partage non seulement cette incomparable douceur dans l’expression mais aussi un exceptionnel talent de coloriste. Toutefois, la gamme des tons qu’il emploie, roses, bleus, verts, assortis à des jaunes acides, lui est propre, et, malgré son caractère volontiers artificiel, elle n’ôte rien à sa quête du naturalisme, à laquelle contribue de façon décisive la pratique du dessin.

Ancien conservateur des dessins au British Museum et au J. Paul Getty Museum, Nicholas Turner a choisi de mettre l’accent sur le travail dessiné de Barocci, au détriment parfois de l’interprétation des œuvres et de l’analyse de leur contexte : celui de la Contre-Réforme. L’année de son retour à Urbino, 1563, voit en effet la fin du concile de Trente, qui marque le renouveau spirituel de l’Église catholique. Il en sera l’un des meilleurs interprètes, contribuant à fixer des schémas iconographiques promis à une longue fortune, par exemple dans un retable comme la Circoncision (1590), conservé au Louvre.

Peintre religieux avant tout, Barocci “s’était spécialisé presque exclusivement dans les sujets dévots, domaine où il connut un succès inégalé, note l’auteur. Ce qui, chez lui, plaisait tant à ses contemporains est, paradoxalement, ce qui nous touche le moins aujourd’hui. Il ne faudrait cependant pas taxer de sentimentalisme son art de représenter des personnages saisis par la ferveur religieuse”. Le naturalisme de la représentation n’est pas étranger à l’émotion provoquée par ses tableaux. Lorsque Barocci travaillait, nous dit son biographe du XVIIe siècle, Giovan Pietro Bellori, “il ne se permettait pas d’inscrire le moindre détail sans d’abord le confronter au monde réel, ce qui explique le nombre considérable de dessins qu’il a laissés dans son atelier”. Deux mille d’entre eux nous sont parvenus. Ils offrent un appui précieux à l’auteur pour mettre en lumière “cette manière minutieuse de penser chaque aspect d’une œuvre par le dessin”.

L’analyse de la Mise au tombeau (1579-1582) de Senigallia illustre la démarche de Barocci. À côté des études de détail au fusain et à la craie comme pour le Christ mort, il réalise des esquisses préparatoires pour les couleurs mais aussi pour le clair-obscur. “Bellori note le caractère crucial de l’éclairage dans la production de nombreux effets naturalistes chez Barocci, rappelle Nicholas Turner. Quand l’artiste estimait satisfaisant l’ordonnancement de la composition, il en dessinait un modèle en grisaille (claire et sombre, ou en monochrome) spécialement consacré aux problèmes d’éclairage.” Néanmoins, “ses études de personnages à la craie de couleur (ses pastels comme les appelait Bellori et comme on les nomme aujourd’hui) constituent peut-être sa contribution la plus mémorable à cette technique”. Quand le dessin rejoint la peinture...

- Nicholas Turner, Federico Barocci, éd. Adam Biro, 2001, 210 p., 139 ill., 450 F, ISBN 2-87-660-290-3.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°136 du 9 novembre 2001, avec le titre suivant : Penser par le dessin

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