Les fils du Nil

Tissus coptes au Musée Dobrée de Nantes

Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2001 - 755 mots

Un an après l’exposition de l’Institut du monde arabe, les Coptes sont de retour. À Nantes cette fois, où le Musée Dobrée exhume de ses réserves de précieux tissus de lin et de laine remontant au début de l’ère chrétienne. À la différence de l’exposition parisienne, « Au fil du Nil » centre son propos sur les textiles coptes et leurs techniques, approfondissant la connaissance d’une Égypte encore méconnue, entre périodes pharaonique et islamique.

NANTES - En 1998, à l’occasion d’un récolement des collections égyptiennes du Musée Dobrée, Marie-Hélène Santrot déniche deux caisses et deux cartons relégués dans les réserves depuis plusieurs dizaines d’années. À l’intérieur, une centaine de pièces de tissus “brutes de fouille”, entassées pêle-mêle avec quelques éléments en cuir et des vestiges osseux. Soupçonnant la présence de tissus coptes, la conservatrice alerte aussitôt ses collègues du Louvre, Marie-Hélène Rutschowscaya et Dominique Bénazeth. Dépêchées sur place, ces dernières confirment la haute antiquité des étoffes (IVe-VIIIe siècles) et leur caractère d’exception. “Cet ensemble présente des caractères tout à fait inédits sur le plan des modèles et des techniques de tissage”, affirme Dominique Bénazeth. Une tunique de bébé, par exemple, dont l’envers est douillettement recouvert de fines petites bouclettes en lin restituant l’aspect d’une fourrure. Ou encore une coiffe à deux longs pans, en toile ajourée préfigurant la dentelle. Une partie ligaturée enserrait le front alors que les deux bandeaux étaient remontés sur la tête et noués comme un turban. Un exemplaire similaire, mais réalisé selon une autre technique, est conservé au Musée égyptien du Caire. “Le Musée Dobrée peut aussi se vanter de posséder la plus grande collection au monde de chaussettes antiques égyptiennes, ajoute Dominique Bénazeth. Trois paires complètes, tricotées pur laine !”

Comment ces pièces étonnantes sont-elles parvenues au Musée Dobrée ? Une grande partie proviendrait d’un dépôt du Musée de Cluny au Musée des arts décoratifs de Nantes en 1909. Les caisses, sans doute jamais déballées, ont été transférées par la suite au Musée Dobrée sans mention de leur origine. Leur contenu correspond à une période pionnière de l’archéologie copte, lorsque l’archéologue Albert Gayet fouillait la nécropole d’Antinoé. Devant l’intérêt de cet ensemble, le conseil général de Loire-Atlantique a accepté de financer la restauration d’une vingtaine de tissus et le montage d’une exposition où ils sont mis en perspective avec des chefs-d’œuvre du Musée des tissus de Lyon, de Cluny ou du Louvre. Ce dernier n’a d’ailleurs pas lésiné sur ses prêts, avec des pièces phares du département copte : le châle de Sabine, la tenture aux poissons ou encore la Vierge de l’Annonciation, cette petite sculpture en bois de figuier représentant Marie filant la pourpre du voile du Temple de Jérusalem. Cette dernière ouvre le parcours de façon doublement symbolique en évoquant l’Égypte chrétienne mais aussi le propos même de l’exposition. Au rez-de-chaussée du Manoir de la Touche sont en effet successivement présentés les modes de fabrication des textiles (filage, teinture, tapisserie “Gobelins”, bouclé...), leur utilisation quotidienne à travers les vêtements et l’ameublement, ainsi que l’iconographie.

Outre les pièces de lin et de laine, terres cuites, bronzes et éléments architectoniques restituent le cadre de vie des premiers chrétiens d’Égypte tout en tissant un utile dialogue avec les textiles. Ici, deux lampes grenouilles, rapportées au XIXe siècle par le voyageur nantais Frédéric Cailliaud, côtoient des scènes nilotiques tissées dans la laine. Là, un candélabre en cuivre et une stèle calcaire figurant un défunt en position d’orant sont placés en regard d’un bouclé de laine juxtaposant ces deux thèmes. Dans la salle consacrée à l’iconographie, frises et chapiteaux du monastère de Baouit campent un décor à échelle humaine ; les rinceaux et pampres de vigne eucharistique qui les animent font écho aux petits tableaux de tapisserie librement inspirés de scènes dionysiaques.

Au terme du parcours, le visiteur peut rejoindre le sous-sol du Musée d’archéologie pour s’exercer à tisser sur une réplique d’un métier antique, rentrer dans le détail des techniques de restauration ou encore admirer les productions actuelles de la coopérative d’Akhmîm, l’un des plus anciens centres de tissage égyptiens. Soutenues par l’Association des amis de la Haute-Égypte, chrétiennes et musulmanes y font revivre une tradition séculaire de tissage et de broderie, selon une inspiration populaire où se glissent parfois quelques motifs empruntés aux premiers chrétiens d’Égypte.

- Au fil du Nil, Couleurs de l’ÉGYPTE chrÉtienne, jusqu’au 20 janvier, Musée Dobrée, 18 rue Voltaire, 44000 Nantes, tél. 02 40 71 03 50, du mardi au vendredi 9h45-17h30, 14h30-17h30, fermé lundi et jours fériés. Catalogue, éd. Somogy, 206 p., 30 euros (196,80 F).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°136 du 9 novembre 2001, avec le titre suivant : Les fils du Nil

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