Un conte cruel

Dennis Oppenheim expose à Arras

Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2001 - 609 mots

Le 11 septembre, comme tous les Américains, Dennis Oppenheim a regardé la succession d’images floues et ahurissantes, répétant la même scène de mort qui se déroulait à quelques centaines de mètres de son atelier new-yorkais. À peine quelques jours après les attentats et la destruction des tours de sa ville, il est venu installer son exposition monographique au Musée
des beaux-arts d’Arras, à l’invitation de deux commissaires indépendants, Luc Brévart et Céline Lange.

ARRAS - Cartographies issues du Land Art, mouvement auquel Dennis Oppenheim a adhéré à la fin des années 1960 ; photographies alliant le constat et l’action des années 1970 pour une déclinaison enjouée du Body Art ; sculptures naturalistes traitant des éléments du feu, de l’eau et de l’air ou installations mettant en scène des éléments plus complexes de poupées et mannequins actionnés par des moteurs ou des images vidéo réalisées au cours des années 1975-1985 ; ces œuvres sont exposées dans les salles du Musée d’Arras, dans un parcours qui offre aussi des pièces récentes, tel cet ange sculptural en plastique translucide, figure sectionnée en plusieurs parties, lévitant dans les airs.

Plus éclectique, plus discret sans doute, Dennis Oppenheim tient un rôle important dans la communauté des artistes du Land Art, aux côtés de Michael Heizer, Walter de Maria ou Robert Smithson qui placèrent, en rupture par rapport au Pop’Art et par volonté d’échapper (temporairement) aux conditions du marché de l’art et du système d’exposition dans les galeries, leur énergie à la transformation d’un paysage. Ainsi, les assemblages de cartes et constats photographiques d’Oppenheim viennent-ils rappeler par exemple dans Annual Rings, en 1968, une méthodologie d’arpenteur et un art farceur de la référence esthétique : à l’aide d’un scooter de neige, il trace des cercles concentriques figurant les anneaux de croissance d’un arbre, sillons situés sur une rivière gelée à la frontière américano-canadienne qui peuvent être lus aussi comme une parodie des drippings de Pollock. L’humour de certaines œuvres n’échappe pas : dans Parallel Stress (1970), un homme – Oppenheim lui-même – s’accroche dans le vide entre deux pans de murs, tombe à bout de force, gît sur la terre. Ce stress, qui constitue l’un des ressorts du happening, de l’épuisement à la chute, se retrouve conjugué dans nombre de ses œuvres qui abordent, par le biais, l’art corporel : il n’y pas de scarifications morbides chez lui, mais plutôt une manière de conjuguer autobiographie et statut – y compris esthétique – de l’art. La très touchante œuvre Silde Dissolve, Sequence for Ground Gel propose une séquence de photographies tout droit sortie d’un scanner biologique ou d’un supertélescope. Or, il est le résultat d’une danse avec sa jeune fille Chandra, tenue à bout de bras par l’artiste, agrémentée des citations : “I can touch you out there... I can touch you now...” La polysémie des créations d’Oppenheim glisse sensiblement d’une mise en danger à un autre plus inquiétant – on songe à l’expressionnisme d’une Pina Bausch ou au théâtre de Kantor – lorsque l’artiste fabrique ses effigies, personnages de plomb manipulés par des fils, comme pour Theme for a major Hit, sosies de Fred Astaire qui frappent leur pied, ou Above the Wall of Electrocution (1988), un étrange cintre où des masques de carnaval de chats et d’animaux reliés à une soufflerie exposent leurs flasques enveloppes corporelles qui se gonflent lentement, dépérissent à l’état initial en silence, dans un simulacre de vie. Oppenheim, en Barbe Bleue de la civilisation américaine contemporaine, exploite un conte cruel à la limite de la catastrophe et de la fatalité.

- DENNIS OPPENHEIM, jusqu’au 31 décembre, Musée des beaux-arts, 22 rue Paul-Doumer, 62000 Arras, tél. 03 21 71 26 43.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°136 du 9 novembre 2001, avec le titre suivant : Un conte cruel

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