Le patriotisme pictural de Cuyp

Ses portraits et ses paysages symbolisent la fierté de la Hollande indépendante

Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2001 - 767 mots

Actif en Hollande au XVIIe siècle, Aelbert Cuyp (1620-1691) est connu pour ses portraits équestres exaltant la noblesse de Dordrecht. Si la National Gallery of Art de Washington se propose d’explorer cet aspect de son œuvre, elle met aussi en exergue, à travers une première grande exposition itinérante, un thème cher à l’artiste : les vaches.

WASHINGTON (de notre correspondant) - Des horizons infinis de plaines brumeuses piquetées de vaches en train de brouter, des bateaux à voiles glissant derrière un groupe de vaches en train de barboter, des cavaliers qui se reposent au milieu d’un troupeau de vaches couchées : ce n’est pas par hasard que Arthur Wheelock, commissaire d’exposition, a intitulé sa rétrospective “Aelbert Cuyp. Des vaches mais pas seulement”. Peintre de paysages et dessinateur, Aelbert Cuyp (1620-1691) était surnommé le “Claude Lorrain hollandais” pour ses effets atmosphériques lumineux et ses décors bucoliques italianisants. Outre les bovins, la National Gallery of Art de Washington présente quelques tableaux religieux dont Baptême de l’eunuque – qui n’est pas sans rappeler le style de Rembrandt – Orphée charmant les animaux, des portraits provenant essentiellement du Rijksmuseum d’Amsterdam et d’une collection privée américaine regroupés par pendants. Mais l’exposition réunit surtout des paysages – marines, scènes de villes et scènes bucoliques – comprenant souvent une vache. Depuis des siècles, les artistes dont Potter, Troyon, Dubuffet ou Warhol exploitent le motif de la vache. Elle symbolise, en effet, la générosité agraire, l’harmonie avec la nature ; la Hollande, à l’heure de son indépendance, en a fait un des fleurons de sa culture nationale. Au sein de l’exposition, Arthur Wheelock établit certains parallèles littéraires, en présentant des “hofdicht”, poèmes classiques, poèmes de cour ou encore poèmes contemporains qui célèbrent la vie à la campagne, ainsi que des descriptions en prose de l’Arcadie hollandaise “étonnamment comparables en style” aux paysages idéalisés de l’artiste. Mais le patriotisme pictural de Cuyp ne se limitait pas aux bovins. Il a notamment commémoré le rassemblement de la flotte hollandaise sur la rivière Maas peu de temps avant la signature du traité de paix avec l’Espagne, et peint des curiosités pittoresques comme le château Ubbergen, incendié par les citoyens afin qu’il ne tombe pas aux mains des Espagnols, ou encore l’aristocratique Huis te Merwede détruit durant le siège de Dordrecht.

Artistes de père en fils
Né dans une famille d’artistes de Dordrecht, Aelbert Cuyp s’est d’abord consacré à la peinture de décors locaux pour des habitants de sa ville natale, à laquelle il a rendu hommage dans de nombreuses œuvres (25 peintures et 10 dessins). S’il n’a jamais franchi la frontière des Pays-Bas, il a pourtant fait sien le mode de vie italianisant très populaire à Utrecht. Assistant son père qui réalisait des portraits bucoliques, il s’est par la suite lancé dans les portraits équestres grand format qui flattaient les prétentions aristocratiques des riches marchands protestants et des notables de la ville. La fin de sa carrière est trouble. Il n’existe aucune œuvre que l’on puisse dater sans réserve après 1658, année où il épouse une riche veuve et s’engage très activement dans des œuvres religieuses et civiques, devenant l’un des plus riches citoyens de Dordrecht. Admiré de Constable, Turner et Ruskin, Aelbert Cuyp est devenu “l’artiste bucolique par excellence”. Selon Alan Chong, conservateur au Gardner Museum de Boston qui a participé au catalogue, les paysages et les portraits équestres, qui flattaient “les prétentions audacieuses” des nouveaux riches hollandais, répondaient parfaitement à la “suffisance des nobles britanniques du XIXe siècle”. L’intérêt qu’il suscita aux États-Unis n’était qu’une “prolongation du goût anglais”. Des similarités politiques existaient également : “Aussi bien l’artiste que son mécène appartenaient à la faction royaliste conservatrice qui s’opposait aux forces parlementaires en Hollande. Il est tout de même remarquable que ce goût ait pu être inculqué, pratiquement sans adaptation, à la Grande-Bretagne de l’époque de la Régence et aux industriels américains, collectionneurs vers 1900.” Les noblesses française et britannique ont particulièrement apprécié les peintures de Cuyp dont, selon Alan Chong, il ne restait, dès 1800, pratiquement plus une seule œuvre importante en Hollande. Aujourd’hui, les plus grandes collections sont celles de la National Gallery de Londres, la collection de la reine Elisabeth II, et celle de la Dulwich Picture Gallery, dont le père fondateur, le marchand Noel Joseph Desenfans, possédait une dizaine d’œuvres.

- Aelbert Cuyp. Des vaches mais pas seulement, jusqu’au 13 janvier 2002, National Gallery of Art, 6th Street and Constitution Avenue, Washington, tel. 1 202 737-4215, tlj 10h-17h. Puis, du 13 février au 12 mai 2002 à la National Gallery de Londres ; du 7 juin au 1er septembre 2002 au Rijksmuseum d’Amsterdam.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°136 du 9 novembre 2001, avec le titre suivant : Le patriotisme pictural de Cuyp

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