Et vogue la Fondation

Tadao Ando construira la Fondation Pinault sur l’île Seguin

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2001 - 984 mots

François Pinault a annoncé le 25 octobre qu’il reviendra à Tadao Ando
de construire sur l’île Seguin sa Fondation pour l’art contemporain. Le projet de l’architecte japonais montre un bâtiment imposant mais à la silhouette rassurante. Si une partie du mystère est levée sur un projet privé dont l’ampleur est encore inédite
en France, la nature de la collection, qui doit être déposée à la Fondation par
le président d’Artémis, et la programmation du lieu, qui doit ouvrir à l’horizon 2006, restent encore inconnues.

BOULOGNE-BILLANCOURT - “Il est de mon devoir d’entrepreneur d’annoncer ce projet”, a lancé François Pinault avant de rendre public le choix de Tadao Ando pour mener à bien la construction du bâtiment de la “Fondation François-Pinault pour l’art contemporain”. Prévue pour la rentrée, la nouvelle aurait dû précéder la Fiac, mais elle a été retardée au 25 octobre à la suite des événements du 11 septembre. Loin du geste médiatique qu’attendaient les promoteurs d’un “effet Bilbao” sur les berges de la Seine, c’est un projet apaisant qui occupera l’aval de l’île Seguin à l’horizon 2006. L’engagement estimé par son principal intéressé à un milliard de francs hors taxes n’en est pas moins de taille. “Dans le domaine de l’art, toute décision est subjective. Aussi mon choix exprime-t-il une sensibilité personnelle. Je suis ému par la force et la beauté du geste architectural de Tadao Ando. Il réunit la vision artistique, le rayonnement spirituel, et la rigueur fonctionnelle indispensables à la réussite d’un tel projet”, a expliqué le président d’Artémis.
Sans doute a-t-il aussi le mérite du consensus. À voir sa silhouette, la construction est prompte à s’intégrer sans heurts dans le plan de réaménagement qui a été dévoilé le 23 octobre par Jean-Pierre Fourcade, maire de Boulogne-Billancourt et président du syndicat intercommunal du Val-de-Seine.

Un vaisseau spatial
Pilotée par le groupe G3A, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, l’opération sur le triangle de Boulogne-Billancourt est désormais divisée entre l’équipe constituée par Jacques Ferrier et Patrick Chavannes pour les rives, et Devilliers pour le quartier du Pont-de-Sèvres. Quant à Tadao Ando, repoussé au profit de Jean Nouvel pour la construction du Musée du quai Branly, il a trouvé en descendant le fleuve un projet plus ambitieux qui lui offre sa première réalisation en France – exception faite de l’espace de méditation réalisé pour l’Unesco en 1995. Méditatif, il s’agit sûrement d’un des adjectifs les plus adaptés à l’architecture du maître récompensé par le Pritzker Prize en 1995, et qui a déjà déployé ses lignes épurées pour de nombreux musées japonais (Musée d’art contemporain de Naoshima en 1995, Musée de la littérature à Himeji en 1992...). S’il emploie, à l’exception notable du Musée du bois de Mikata Gun, un béton neutre mais monumental, la maquette présentée préfigure un usage majoritaire du verre. À la vue des projets des autres concurrents (Manuelle Gautrand, Steven Holl, Rem Koolhaas, MVRDV, Dominique Perrault), le projet d’Ando qui occupe la quasi-totalité des 32 hectares acquis auprès de Renault (un tiers de la surface totale de l’île), s’est sûrement imposé comme un choix “raisonnable”. Tout en développant son bâtiment sur trois strates, dont la plus haute s’élève à 75 m de haut, il adopte l’asymétrie de l’île, et suit sa ligne sur 300 mètres. Si l’identité originelle du site est respectée avec la conservation de la dalle de bâti, l’aval est rasé au profit d’un large escalier qui s’achève sur une place arrondie. À l’autre extrémité, le bâtiment sera relié au reste de l’île par un parc de 4 hectares. Qualifié par son auteur de “vaisseau spatial posé sur l’eau”, le bâtiment se décompose en trois parties : “un microcosme de galeries flottant au-dessus du sol, le socle de la Fondation et un jardin sur l’eau, entre les deux” et entend délivrer un message d’harmonie pour dépasser la suprématie de l’économie. S’il joue pleinement la fusion avec les éléments, le projet peut toutefois faire regretter le plateau proposé par les Néerlandais de MVRDV, qui, “posé” sur les bâtiments existants, conservait la chaufferie en aval, ou le dynamisme du projet de Manuelle Gautrand, lequel, avec son bâtiment en trapèze, inversait les lignes “génératrices” du site.

Chapelle romane et cathédrale gothique
Pour les volumes intérieurs, desservis par une rotonde et un vaste escalier, l’ensemble répond parfaitement aux souhaits de recueillement artistique de François Pinault, qui veut développer un lieu propice à la contemplation des œuvres, “entre une chapelle romane et une cathédrale gothique”. Riche d’un millier de pièces, la collection, pour l’heure encore enrobée d’une aura de mystère, reste en effet au cœur du projet. Ce seront 15 000 m2 qui seront dévolus aux collections permanentes, 7 000 m2 pour les expositions temporaires, et des commandes spécifiques sont envisagées. Mais la Fondation ne sera pas qu’un musée et le programme prévoit un lieu dédié à la création numérique (6 000 m2), des espaces pédagogiques, un plateau de télévision, une médiathèque, une bibliothèque... Quant à la programmation du lieu, elle lorgne vers celles de grandes institutions si l’on en croit l’équipe consultative. Regroupée autour de François Barré, ancien directeur de l’Architecture et du Patrimoine au ministère de la Culture, elle comprend outre des personnalités telles que les architectes Jean Nouvel et Dominique Lyon ou le galeriste Michel Durand-Dessert, Marie-Claude Beaud, directrice artistique du Musée Grand-Duc-Jean au Luxembourg, Jean-Hubert Martin, directeur du Museum Kunst Palast de Dusseldorf, Suzanne Pagé, directrice du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, et Jean-Louis Froment, fondateur et ancien directeur du capc/Musée d’art contemporain de Bordeaux. Si François Pinault se refuse pour l’instant à nommer un directeur, il souhaite pour sa Fondation, dont les statuts ne sont pas encore déposés, un fonctionnement sur le modèle des musées américains. Il faudra encore attendre pour voir à quoi peut ressembler une institution privée de cette importance en France.

- Exposition des projets de l’ensemble des concurrents du 9 au 19 novembre chez Christie’s, 8 avenue Matignon, 75008 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°136 du 9 novembre 2001, avec le titre suivant : Et vogue la Fondation

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