Le « beau feu » de Brebiette

Le Journal des Arts

Le 7 décembre 2001 - 728 mots

Figure méconnue du premier XVIIe siècle et proche du courant « précieux », Pierre Brebiette (1598 ?-1642) fut un graveur et un dessinateur plein de verve. En revanche, la plus grande partie de sa peinture a disparu, et seuls quelques tableaux ont pu être récemment identifiés. Le Musée d’Orléans invite à redécouvrir l’ensemble de son œuvre, dans une exposition malheureusement peu didactique.

ORLÉANS - En 1993, la restauration du Rapt de Proserpine, conservé au Musée de Châlons-en-Champagne, révèle la signature de Pierre Brebiette, alors que ce tableau était traditionnellement prêté à Claude Vignon. C’est la première fois qu’une peinture a pu être attribuée avec certitude à l’artiste, dont l’activité de graveur et de dessinateur était en revanche mieux connue depuis les travaux de Jacques Thuillier. Par un curieux hasard, dans cette même ville de Châlons, l’église Notre-Dame-en-Vaux abrite une Crucifixion de Brebiette, vue en 1997 dans l’exposition “Jean Senelle” à Meaux. La reconstitution de son œuvre peint n’en est qu’à ses débuts, mais il est peu probable qu’il s’enrichisse de façon spectaculaire dans les années à venir. À voir l’état d’usure de certaines peintures, il semble que la postérité ait été sans égard pour un artiste qu’elle a surtout retenu pour ses estampes. “Que Brebiette ait beaucoup gravé tout au long de sa vie est un fait acquis et Mariette n’a pas manqué de le rappeler : par disposition fondamentale de son esprit et de son goût, bien sûr, parce que de grands éditeurs et amis lui assurèrent la constante publication des planches, mais aussi parce que le travail à l’eau-forte s’accordait parfaitement, chez lui, à cette exigence primordiale de dessin à laquelle sa formation maniériste l’amenait tout naturellement”, note Paola Pacht Bassani dans le catalogue.

À Rome, où il arrive en 1617, il regarde certes avec attention les maîtres, notamment le Cavalier d’Arpin, et les antiquités, mais ses premiers dessins et gravures relèvent d’une veine naturaliste, voire triviale, proche des Nordiques. L’aspect humoristique de ses scènes de genre, on le retrouve dans les douze frises à l’antique – d’inspiration bachique – qui constituent le sommet de sa production romaine. Sur l’une de ses planches apparaît une figure calquée sur le plus célèbre des antiques, l’Apollon du Belvédère, qui se voit pourvu... d’un calice ! Comme l’écrivait Jacques Thuillier il y a vingt ans, “Brebiette ne cherche pas dans l’antiquité l’approfondissement d’une leçon morale et l’exaltation de la maîtrise de soi ; il y voit plutôt un lieu de liberté et de rêve, un monde délivré du péché originel, où les ébats sensuels peuvent trouver leur juste mesure de grâce et de gaieté.”

De retour à Paris en 1626, il persévère dans cet esprit fantaisiste, faisant de Silène l’objet de toutes sortes de vexations. Là, un Bacchus malicieux lui subtilise son âne pendant son sommeil, ici, deux amours perchés sur une branche se soulagent sur le faune et une nymphe profondément endormis. Il invente également de curieuses fantaisies, à l’instar des Victimes de l’amour, une procession dans laquelle Adam et Ève côtoient Polyphème, Hercule et Samson ou encore Narcisse.

Toutefois, le talent de Brebiette ne se résume pas à ce versant mythologique. En épousant Louise de Neufgermain, fille d’un poète proche du cercle de Mme de Rambouillet, il entre en contact avec le courant précieux, avec lequel sa peinture, comme celle de Jean de Saint-Igny ou Jean Senelle, présente d’incontestables affinités. “L’art désinvolte, ardent et déréglé de Brebiette appartient à un courant profond de la culture et de la sensibilité de l’époque : un courant qui compte dans ses rangs des poètes comme Saint-Amant et des peintres comme Vignon”, rappelle Paola Pacht Bassani. Il reste aussi un artiste éminemment religieux. S’il retrouve dans ses figures de saints gravées la monumentalité romaine, une toile comme la Crucifixion, avec sa “lumière violemment contrastée” et sa “perspective abrégée”, est à cent lieux de la plénitude classique. Elle témoigne en tout cas de l’ambition de peintre de Brebiette, qui, sur son autoportrait gravé de 1638 – un an après la mort de son épouse –, porte cette inscription latine : Animum Pictura pascit inani, la peinture nourrit le cœur de celui qui est anéanti.

- PIERRE BREBIETTE, jusqu’au 20 janvier, Musée des beaux-arts, place Sainte-Croix, 45000 Orléans, tél. 02 38 79 21 55, tlj sauf dimanche matin et lundi 10h-12h15 et 13h30-18h. Catalogue, 112 p., env. 100 ill., 120 F (18,29 €).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°138 du 7 décembre 2001, avec le titre suivant : Le « beau feu » de Brebiette

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