Soucis procéduriers

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 21 décembre 2001 - 524 mots

Le rapport entre les artistes et la propriété intellectuelle n’est pas uniquement un sujet de débat juridique. En analysant l’œuvre d’Yves Klein et les travaux des artistes conceptuels, Didier Semin livre une étude où le « modèle déposé » devient une source d’inspiration.

L’art conceptuel n’est-il pas un art de la propriété ? Brevets, certificats et autres titres sont légion pour accompagner des œuvres qui n’ont souvent aucune autre matière à donner que celle grise et immatérielle que leur confère leur auteur. Si, depuis quelques années, la figure de l’artiste entrepreneur est à l’honneur, le dernier ouvrage de Didier Semin, Le Peintre et son modèle déposé, fait la part belle à l’artiste inventeur et ingénieur. Premier d’entre eux, Yves Klein, qui a inscrit à l’Institut national de la propriété intellectuelle (Inpi) le procédé des Anthropométries et aussi – ce n’est pas une légende – l’International Klein Blue (IKB). Cette dernière invention a fait l’objet d’un enregistrement à l’aide d’une enveloppe Soleau, formalité moins solennelle et sûre que le brevet, mais tout aussi légale. Suivront les principes des “Jets d’eau et de feu mêlés sur un bassin”, du “Tube d’aluminium volant ou plutôt lévitant”, du “Toit d’air soufflé”, de la “sculpture aéro-magnétique” (invention concurrencée par celle voisine de Takis), de la “Rocket pneumatique”, sans oublier un procédé “pour améliorer la résistance du papier d’imprimerie dans les rotatives au moyen du liant fixatif de l’IKB”.

Autant de démarches administratives qui prouvent, outre l’obsession procédurière de Klein, l’assimilation de cette démarche dans son travail. À partir de 1959, cet intérêt avait déjà été marqué par la cession de Zones de sensibilité picturale immatérielle. C’est à partir de cet acte, où seule la transaction a réellement valeur d’art, que Didier Semin glisse vers les programmes utilisés dans les années 1960 par les représentants de l’art conceptuel. L’œuvre a dès lors une valeur “allographe” (transmise par un code) et non plus autographe. Dans ce cadre, l’auteur prend soin d’établir une distinction entre les œuvres “où l’écrit se suffit à lui-même et celles où l’écrit assure le passage entre la conception et la réalisation”. “On a beaucoup glosé sur les premières [...] moins sur les secondes, qui ne remettent pas en cause l’existence d’un objet visuel constitutif de l’œuvre et sont donc à la fois moins séduisantes sur le plan logique et plus complexes dans leurs implications à long terme”, ajoute-t-il, avant de s’emparer d’exemples où voisinent à des degrés divers George Brecht, Lawrence Weiner ou encore Sol LeWitt. Selon ses termes, le brevet fait figure de protection, mais aussi de procédure de délégation de l’exécution à une tierce personne. Son usage introduit alors des problématiques proches de celles de l’interprétation musicale ou théâtrale. Ancien conservateur au Musée national d’art moderne, Didier Semin ne manque pas de traquer les ambiguïtés et les faiblesses du musée classique, temple de l’unique, face à ces travaux. La seconde moitié de l’ouvrage, où sont regroupés des documents, brevets, modes d’emplois et autre “contrat de cession d’œuvre d’art”, apparaîtra peut-être comme l’esquisse d’un nouveau “musée imaginaire”.

- Didier Semin, Le Peintre et son modèle déposé, éditions du Mamco, 2001, 152 p., 140 F, ISBN 2-940159-20-3.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°139 du 21 décembre 2001, avec le titre suivant : Soucis procéduriers

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