Manfredi della Gherardesca : Un expert au service des riches collectionneurs

Dans un entretien, Manfredi della Gherardesca témoigne de son rôle de conseiller et donne son avis sur le marché actuel

Le Journal des Arts

Le 11 janvier 2002 - 992 mots

Autrefois président de Sotheby’s Italie, Manfredi della Gherardesca s’est installé à St James’ Place, à Londres, comme consultant artistique indépendant. Également employé au service consultatif artistique de la Citibank Private Bank pendant huit ans, il se chargeait des collectionneurs d’art les plus riches du monde, et notamment des Américains.
Il nous donne son expertise de l’état actuel du marché de l’art moderne et contemporain.

Pourquoi avez-vous décidé de quitter Sotheby’s et de vous installer à votre compte ?
J’allais avoir quarante ans et j’ai décidé que le moment était venu de voir si je pouvais réussir tout seul. Milan est trop isolé et je ne voulais pas continuer à diriger Sotheby’s Italie qui ne souhaitait pas investir sur le marché local bien que cette branche de la maison de vente soit énormément dépendante des acheteurs italiens basés à Londres. Depuis que Phillips s’est repositionné sur le marché, bon nombre de gens ont quitté Sotheby’s. La situation a changé et cette dernière se retrouve avec une nouvelle génération de gens plus jeunes. Beaucoup sont très brillants, mais on sent qu’ils n’ont pas la solidité que certains de leurs aînés ont apportée à Sotheby’s.

Croyez-vous que le rôle du consultant artistique va se développer ?
À mon avis, il diminue. Les gens se trompent en pensant qu’ils peuvent trouver eux-mêmes des œuvres d’art simplement parce qu’il est facile d’accéder aux informations. Les maisons de vente sont à l’origine de l’idée selon laquelle on n’a plus besoin du marchand. Le collectionneur privé peut obtenir une estimation et un rapport sur l’état de l’œuvre, l’expert de la maison de vente sachant le renseigner sur tout, et il peut ensuite enchérir pour lui-même. Le collectionneur-connaisseur a disparu. La plupart des gens ont très peu de temps pour faire des recherches sur ce qu’ils collectionnent, à l’exception des Américains  : lorsqu’ils s’intéressent à un domaine, ils ont tendance à se documenter à fond sur le sujet.

Mais de plus en plus de marchands ne travaillent-ils pas comme consultants ou sur commission, au lieu de gérer des galeries de façon traditionnelle ?
Il est difficile d’avoir du stock aujourd’hui à cause des fonds que cela demande. Les marchands ont besoin des commanditaires, et leurs marges ont beaucoup diminué. Si l’on achète une œuvre connue, on a une marge de seulement 10 %. Un marchand contemporain qui s’occupe d’un artiste indépendant ne gagne pas 50 %, mais 20 ou 30 %. Si c’est Brice Marden, son pourcentage est de 10 %.

A-t-il été facile de vous constituer une clientèle ?
 Je travaille pour six collectionneurs, presque tous américains et très intéressés par l’art du XXe siècle et l’art contemporain. J’interviens dans les ventes aux enchères pour acheter des œuvres impressionnistes, modernes et contemporaines. Aujourd’hui, les amateurs s’adressent à tout le monde et ne se cantonnent pas à un seul marchand ; ils aiment obtenir des informations ici et là. Il m’arrive d’avoir un client américain qui n’utilise mes services qu’en Europe. Je préfère travailler sur un taux fixe annuel qui comprend non seulement la constitution d’une collection mais aussi sa gestion et son suivi.

êtes-vous collectionneur ?
Ma collection va des natures mortes italiennes du XVIIe siècle aux œuvres du lauréat du Prix BP-Portrait de l’année dernière. Je suis très ouvert et je m’intéresse à des choses très différentes. Collectionner est un exercice de style autant qu’une question de connaissances. Cela repose sur différents éléments, dont le facteur social et le facteur culturel. Mon rôle n’est pas seulement de trouver ce que les clients veulent mais qu’ils comprennent ce qu’ils achètent et pourquoi ils veulent faire cette acquisition.

Comment le marché tient-il le coup et quelles sont vos prévisions pour l’année à venir ?
Les prévisions financières sont épouvantables. Les Américains annoncent une grande récession du marché financier vers mars-avril. Ce qui s’écroulera tout de suite, ce sera le marché de moyenne ou de faible importance, qui pratique des prix excessifs pour des œuvres que les gens ne veulent pas particulièrement, ou dont ils n’ont pas besoin. Au cours des ventes de la dernière saison, les œuvres remarquables se sont encore très bien vendues, mais le marché de moyenne importance se resserre de plus en plus vite. Ce processus va s’accélérer. À Maastricht, cette année, les tableaux de 2 à 3 millions de dollars (2,2 à 3,3 millions d’euros) se vendront, mais pas ceux de 100 000 à 200 000 dollars (de 111 173 à 222 347 euros).

Qu’en est-il du marché de l’art contemporain ?
Personne ne va se battre pour acheter aujourd’hui ce qui pourra s’acheter demain. Il est difficile de vendre une œuvre si elle n’est pas vraiment représentative de l’artiste. Les prix ont grimpé de façon tellement phénoménale ces dernières années que le marché ne suit pas, surtout en ce qui concerne la photographie. Pendant trois ans, New York n’a voulu que des œuvres britanniques. Maintenant, l’équilibre a changé et je pense que le marché se répartira plus équitablement entre les différents centres de l’art contemporain.

Quelles sont les nationalités qui sont les plus actives sur le marché ?
Les collectionneurs les plus importants sont les Américains, avec quelques Européens, c’est-à-dire essentiellement les grands industriels français et italiens. Les Anglais comptent peu de grands acheteurs. Les Allemands interviennent plus dans le domaine contemporain : leur marché est solide et ils pratiquent des prix élevés. Les Kiefer, Polke et Richter s’exportent bien en Amérique. Le marché italien du XXe siècle se porte très bien, surtout dans le Nord, où l’on demande plus de Fontana qu’il n’en existe. En ce moment, c’est Aligherio e Boetti qui plaît. Mais, il n’y a pas de marché pour les plus jeunes artistes, et ils ne font pas encore l’objet de collections. Cette situation va bientôt affecter les ventes de Londres, parce qu’en Italie, on a besoin d’un permis d’exportation pour tout ce qui a plus de cinquante ans. Cela deviendra de plus en plus difficile de trouver des bons tableaux de Fontana, de Severini et des futuristes italiens.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°140 du 11 janvier 2002, avec le titre suivant : Manfredi della Gherardesca : Un expert au service des riches collectionneurs

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