François Loyer

Historien de l’architecture

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 11 janvier 2002 - 1081 mots

Historien de l’architecture et directeur du Centre des Hautes Études de Chaillot, François Loyer est l’auteur de nombreux ouvrages dont l’Histoire de l’architecture française de la Révolution à nos jours. Il vient également de publier Ville d’hier, ville d’aujourd’hui en Europe (Fayard/Monum), actes des Entretiens du Patrimoine qu’il avait présidés en janvier 2000. Il commente l’actualité.

Le Palais de Tokyo ouvre ses portes le 21 janvier. La reconversion de ce bâtiment en centre d’art vous semble-t-elle être un projet pertinent ?
Je suis content que la symétrie du Palais soit conservée. Le lieu est aujourd’hui pleinement rendu à la création contemporaine, ce pour quoi il a été construit. Car, c’est un des risques de la dualité entre l’État et la Ville de Paris. Le Petit Palais et le Grand Palais n’ont ainsi pas connu le même sort. Ensuite, je trouve qu’il est temps de séparer la création contemporaine de la conservation des collections publiques et de ses effets de consécration, de s’éloigner de Beaubourg. Le Louvre a donné naissance au palais du Luxembourg, puis à la colline de Chaillot. Sur le plan architectural, la solution d’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal est certainement la plus habile par rapport à ce qui avait été fait auparavant. Le bâtiment est connoté par son style années 1930, mais l’intérieur révélait un sens de la scénographie et de la muséographie indéniable que les destructions récentes ont fait perdre de manière (probablement) irréversible. Le réaménagement a fait le pari de la légèreté, le lieu pouvant ensuite se transformer à vue, ce qui me semble être un bon choix muséographique. Enfin, les passerelles sur l’avenue du Président-Wilson ne constituent pas à mon sens une atteinte au bâtiment. Elles révèlent peut-être un besoin fonctionnel d’une façon un peu emphatique mais sont loin d’être une verrue insupportable.
 
Le Conseil de Paris entend réviser le règlement local de publicité pour limiter un affichage de plus en plus envahissant. À l’heure où la réflexion se pose sur l’amélioration du cadre urbain, est-ce un préliminaire indispensable ?
Sur ce sujet, je suis complètement “réac” et traditionaliste. Je rejoins les mouvements de protection du paysage des années 1900 et suis fortement opposé à l’envahissement du visuel. L’espace public doit être protégé de la marchandisation. Les États-Unis ont une culture de la concurrence que nous admirons mais que nous ne partageons pas. Nous supportons déjà les signes de l’État, la présence de la Police, de la Mairie, du Palais de justice... Que les autres se taisent au moins. L’idée d’une ville “moderne” avec ses réclames et affiches appartient au XXe siècle et celui-ci est fini et bien fini.

Que pensez-vous du mouvement de grève entamé par le personnel du Musée de l’Homme pour protester contre le départ des collections d’ethnologie vers le Musée du quai Branly ?
Ce cas répète ce qui se produit depuis vingt ans. Le Palais de la découverte a laissé place à La Villette, mais il n’a pas complètement fermé et la Bibliothèque nationale est désormais coupée en deux sites. Le manque de courage politique à ce sujet est évident. Ceci dit, je comprends parfaitement le personnel du Musée de l’Homme ait peur de voir son musée mis en caisse. Avant-guerre, un épisode similaire s’est produit avec le Musée des Ponts et Chaussées qui se réduit dorénavant à quelques réserves à la Défense. Le temps de la politique est très court, toutes les institutions ont fermé leurs écoutilles en prévision de l’avis de tempête annoncé pour mars ! Pourquoi déménager alors que le bâtiment n’est pas encore construit ? C’est peut-être un réflexe petit-bourgeois, mais quand je suis sur le pallier avec mes valises, j’aime bien savoir où je vais dormir le soir. Il serait dommage que le Musée de l’Homme se perde au milieu du gué.

Une disposition visant à réduire le pouvoir de contrôle des architectes des Bâtiments de France a été introduite dans la loi sur la démocratie de proximité. Cela ne remet-il pas en cause le système de protection des monuments historiques mis en place par la loi de 1913 ?
Cette disposition vise plus les extensions établies tout au long du XXe siècle pour protéger les monuments historiques : la loi de 1943 sur les abords ou la loi des secteurs sauvegardés. Ces dispositions marquent un passage d’une conception monumentale de l’édifice à une vision globale de l’environnement. Sur ces points, l’État est contesté au niveau local, territorial. L’autorité de la Région, du Département, de la Ville s’est affirmée mais l’État doit conserver un pouvoir régalien. Notre pays a toujours eu une forte culture réglementaire – il y avait des règlements urbanistiques sévères dès le XIIIe siècle. Elle nous a permis de construire des villes cohérentes, c’est une chance, continuons ! La disposition dont vous parlez engendrera une commission qui sera ingérable, une véritable usine à gaz. On remplacera l’avis contestable de l’architecte des Bâtiments de France par une architecture de commission.

Le recours à la symbolique architecturale a été choisi pour orner les billets d’euros. Qu’en pensez-vous ?
C’est touchant. Cela me rappelle les vœux des Pères de l’Europe, la construction. Mais le patrimoine architectural est évidemment identitaire et l’on a dû se rabattre sur des éléments neutres, inventés. Vous remarquerez aussi que plus on avance dans le temps, plus c’est cher ! On aurait pu mettre des fleuves ou des grands hommes. Mais imaginez Voltaire en Allemagne et Goethe en France. J’aurais préféré quelque chose de plus surréaliste, peut-être les lettres de l’alphabet.

Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
Je dois avouer que je suis relativement ancré dans mon champ, l’histoire de l’architecture, et que les expositions récentes qui s’y rattachent ne m’ont pas réellement marqué. Le système de consécration qui est celui de Beaubourg depuis vingt-cinq ans s’applique désormais à l’architecture. Je ne suis pas sûr que cela soit si bénéfique pour les intéressés. J’apprécie beaucoup Jean Nouvel et son travail, mais son exposition est plus de l’ordre de la promotion institutionnelle qu’elle n’apparaît comme une tentative de donner des repères à un public souvent peu instruit en la matière. Il faudrait plus d’architecture et moins de célébrité. L’exposition d’Henri Gaudin à l’Institut français d’architecture le prouve. Malgré son succès, Gaudin a su rester à l’échelle artisanale, familiale, cela donne une bonne exposition et un bel ouvrage. Enfin, dans un autre domaine, j’ai été frappé par Strindberg à Orsay. Böcklin m’a par contre beaucoup déçu alors que j’appréciais beaucoup ce peintre il y a trente ans. Il est d’une sensibilité qui n’est plus la nôtre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°140 du 11 janvier 2002, avec le titre suivant : François Loyer

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