À Londres, la galerie Alex Reid & Lefevre jette l’éponge

Le Journal des Arts

Le 25 janvier 2002 - 713 mots

Alex Reid & Lefevre, la plus grande galerie londonienne spécialisée
dans l’Impressionnisme, et l’une des dernières grandes galeries d’art ayant eu des contacts directs avec les postimpressionnistes, va fermer ses portes. Elle avait été fondée en 1926
par l’Écossais de Glasgow Alex Reid qui, en tant qu’ami de Van Gogh, avait introduit son œuvre en Grande-Bretagne, mais l’avait aussi fait connaître
à son principal rival d’alors, le marchand londonien Lefevre.

Londres - La fermeture d’Alex Reid & Lefevre est un coup dur pour la scène artistique londonienne, ce que déplorent aussi bien les maisons de vente que les marchands. Depuis sa création, la galerie n’avait appartenu qu’à deux familles : Gerald Corcoran l’avait rachetée en 1949, avant d’être rejoint en 1961 par son fils Desmond, puis par son petit-fils Alexander il y a quatre ans.
Cette fermeture résulte d’une décision de l’actionnaire majoritaire, Desmond Corcoran. “Tout d’abord, je voudrais dissiper la rumeur selon laquelle je serais en phase terminale d’une longue maladie, nous a-t-il déclaré. Je suis plein de vie et très alerte, et je ne prends pas ma retraite non plus, mais la nature de notre activité a tellement changé qu’on n’a plus besoin d’une galerie qui coûte beaucoup d’argent. Les gens ne passent plus de temps à Londres comme ils en avaient l’habitude. Les riches collectionneurs n’organisent plus de grands séjours pour faire les boutiques et acheter des peintures, il y a tellement de foires que ce sont les marchands qui vont vers leurs clients. La législation européenne et les taxes sur les produits d’importation y sont aussi pour quelque chose. Les frais généraux, les tâches administratives et les coûts d’exploitation étaient considérables. J’avais déjà pensé à fermer la galerie, mais c’était impossible tant que mon père était en vie : cela lui aurait brisé le cœur.”
Vendre la galerie aurait pu être une solution, mais il n’en fut pas question. “Nous n’avions pas besoin de vendre l’enseigne, nous a déclaré Desmond Corcoran. Nous sommes tous très fiers de ce nom et plutôt que de le voir discrédité, nous avons préféré l’euthanasier en douceur.”
Desmond Corcoran et son fils Alexander vont devenir associés d’une nouvelle société. Alexander Corcoran a décidé d’abandonner définitivement la section contemporaine de son activité et de se consacrer, à titre privé, au XXe siècle. Desmond Corcoran continuera de conseiller ses anciens clients, mais aussi de nouveaux, depuis son poste d’expert-conseil au sein de la nouvelle société.

“L’époque du lèche-vitrine est révolue”
Martin Summers, qui a rejoint Alex Reid & Lefevre en tant qu’associé en 1967, se consacrera, indépendamment de la nouvelle entreprise, au commerce de l’art des XIXe et XXe siècles. “Je serai toujours présent pour m’occuper des œuvres majeures”, a expliqué Desmond Corcoran. Il est convaincu que 50 % environ des grandes peintures impressionnistes changent de main par transactions privées et que la qualité des œuvres proposées par les maisons de vente à Londres ne cesse de décliner. “Nous participerons toujours aux foires, mais je n’aurai plus à organiser d’expositions, ni à payer de loyer, ni à consacrer du temps aux tâches administratives. Outre les musées, nous avons une dizaine de grands clients privés et l’on n’a pas besoin d’une grande galerie pour s’occuper de dix clients. Les collectionneurs d’aujourd’hui sont bien informés et ils ont tendance à rechercher les marchands qui pourront les intéresser. L’époque du lèche-vitrine est révolue”, poursuit-il. Desmond Corcoran espère à présent passer beaucoup plus de temps à l’étranger et se partager entre la Suisse, la France et Londres.
La fermeture de la galerie est symptomatique des changements qui se sont opérés sur le marché et de la position des maisons de vente qui ont pris le dessus sur les marchands en vendant directement à des collectionneurs privés, surtout dans le domaine du haut de gamme.
James Roundell, qui est un autre grand marchand londonien spécialisé dans l’Impressionnisme, nous a par ailleurs déclaré : “Il est de plus en plus difficile de tenir son rôle de conseiller. Avec la prolifération des données informatiques, les collectionneurs ne regardent plus les tableaux, mais ne s’intéressent qu’aux prix. La fermeture de Lefevre est une grande tristesse. Même si cela nous ouvre d’autres horizons, j’aurais préféré assister à la prolifération de marchands haut de gamme à Londres et, avec cette galerie, le marché londonien perd beaucoup.”

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°141 du 25 janvier 2002, avec le titre suivant : À Londres, la galerie Alex Reid & Lefevre jette l’éponge

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque