Les Rothschild mettent le feu aux enchères

La fondation a finalement entériné la vente irrationnelle du 14 décembre, à Drouot

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 8 février 2002 - 700 mots

Le 14 décembre 2001, une vente d’objets de la Fondation Salomon de Rothschild, organisée dans des conditions particulières, a mis le feu aux enchères. Contestée d’abord par le baron Éric de Rothschild, la vacation, qui a rapporté 5,2 millions d’euros, a finalement été approuvée par le conseil d’administration de la fondation au grand dam de Mme Pinault.

PARIS - Une “banale” vente de mobilier et d’objets d’art a créé l’événement à Drouot le 14 décembre. Très modestement estimés à quelques milliers de francs chacun, des lots d’orfèvrerie et des meubles ont trouvé preneurs pour dix fois, cent fois leur prix et jusqu’à quatre cents fois pour une verseuse en bronze patiné emportée plus de 3 millions de francs (488 000 euros) contre une estimation de 8 000 francs (1 220 euros). Si, lors de ventes peu documentées, il n’est pas rare que la salle s’enflamme pour des pièces remarquables proposées à des prix très inférieurs à leur véritable valeur, jamais on n’avait vu des acheteurs s’emballer dans de telles proportions. L’explication de ce délire collectif tient à plusieurs choses. Aux prix ridiculement faibles des lots, il faut ajouter une provenance prestigieuse, Roths-child, volontairement omise dans le catalogue de vente mais apparemment connue des enchérisseurs. “C’était un secret de Polichinelle qui a bien fonctionné”, confie le commissaire-priseur Paul Renaud. “En effet, confirme Philippe Serret qui a expertisé les pièces d’orfèvrerie, les organisateurs de la vente (en l’occurrence le cabinet Daguerre) ont bien précisé d’être prudent sur les estimations, de ne pas mentionner l’origine des lots tout en veillant à bien conserver les étiquettes et les numéros d’inventaires des collections Rothschild.” Une vente organisée mystérieusement dans des conditions aussi exceptionnelles a évidemment porté l’excitation à son comble. Même les plus grands antiquaires ont été victimes de l’euphorie ambiante. Pourquoi victimes ? Parce que, quand ils repèrent des pièces importantes dans une vente, ils ont l’habitude de se concerter pour pratiquer la “révise”, un procédé illégal qui consiste à ne pas enchérir les uns sur les autres pour acheter à moindre coût des lots qu’ils se redistribuent entre eux contre dédommagement financier.
De l’aveu de l’un d’entre eux, non seulement ils n’ont pas fait de “révise” pour cette vente, mais encore, ils se sont complètement lâchés en salle au point de surpayer une marchandise qui n’était pas toujours en bon état de conservation ou d’époque. “Deux buires en argent exécutées dans le style médiéval sont parties à 500 000 francs (76 000 euros), soit le prix d’une paire d’époque !”, précise Philippe Serret.

Le coup de la table
Maryvonne Pinault a également payé cher ses achats, notamment une table en marqueterie Boulle d’époque Louis XVI qui valait a priori 70 000 francs (10 671 euros) et qui s’est envolée à 8,7 millions de francs (1,3 millions d’euros). Cette enchère demeure l’une des plus délirantes. Les marchands, qui détestent que des collectionneurs viennent miser dans la cour des grands, ont dûment fait monter les enchères sur la femme du propriétaire de Christie’s. Mme Pinault ont acquis en tout pour 15 millions de francs de marchandises, près de la moitié du produit total de la vacation, qui s’élève à environ 37 millions de francs (5,7 millions d’euros). Au lendemain de la vente, Éric de Rothschild, président de la fondation, furieux de n’avoir pas été averti de la dispersion des biens, a d’abord voulu demander la nullité de la vente, décidée par la directrice administrative de la fondation qui n’avait pas pris soin de suivre la procédure, c’est-à-dire un vote préalable du conseil d’administration. Mais il n’a pas été suivi par les administrateurs de la fondation qui ont, après coup, approuvé la vente. Les enchérisseurs ont donc dû payer leurs folies, sauf Mme Pinault qui refuse de régler sa table Boulle qu’elle juge abîmée et non authentique. Mais, au regard du descriptif du catalogue qui mentionne des “accidents et restaurations”, son combat semble perdu d’avance. Paul Renaud s’est indigné : “Imaginez le précédent juridique si à chaque fois que l’on a payé une pièce trop cher on pouvait la rendre !”
D’après plusieurs experts en mobilier, la table en question vaudrait au mieux 1,5 million de francs (228 600 euros). Mme Pinault a été bien mal conseillée...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°142 du 8 février 2002, avec le titre suivant : Les Rothschild mettent le feu aux enchères

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