Visions mélomanes

Le Journal des Arts

Le 8 février 2002 - 663 mots

De Schönberg aux développements les plus récents de l’environnement sonore à Francfort, en passant par une manifestation consacrée à John Cage et ses amitiés, trois expositions allemandes envisagent les rapports entre l’art et la musique.

Francfort (de notre correspondant) - À la Schirn Kunsthalle de Francfort, “Les visions d’Arnold Schönberg” se composent pour leur majeure partie des 150 œuvres appartenant au cycle que Kandinsky définissait comme des “visions”. Le maître de l’abstraction avait saisi en elles une force visionnaire, qui a valu au compositeur viennois la publication de certaines de ses œuvres dans l’Almanach du Blaue Reiter. Il s’agit principalement de visages et, dans de nombreux cas, d’autoportraits. Influencés par l’Expressionnisme de Munch et Kokoschka, ils sont suspendus dans une lumière indéfinie qui souligne l’inquiétude intense des regards. Dans un texte paru dans l’Almanach, Schönberg définissait d’ailleurs la “musicalité pure” comme l’effet d’un “regard sans filtres sur le monde”. Entendre et voir les sons étaient pour lui deux faces d’une seule et même médaille, musique et peinture étant deux supports absolument parallèles. L’activité picturale la plus intense de Schönberg correspond parfaitement à l’époque du bouleversement qu’il introduit dans la composition tonale entre 1908 et 1912. Quant à son retour à la peinture du début des années 1920, il intervient quand le musicien définit les critères de la méthode dodécaphonique.
L’exil d’Arnold Schönberg en 1933 pour les États-Unis opère un passage dans l’histoire de l’art. À Los Angeles où il enseigne la composition avant de mourir en 1951, il compte John Cage parmi ses élèves. Hasard du calendrier, la Kunsthalle de Brême commémore le dixième anniversaire de la mort de ce dernier avec une exposition ensuite reprise par le Glass Museum de Tracoma (États-Unis) et la Fondation Beyeler de Riehen. “Sons de l’œil intérieur. Mark Tobey, Morris Graves, John Cage. Une amitié pacifique” analyse les rapports entre art et musique à la lumière d’une amitié de plus de dix ans, entre deux peintres et un compositeur, trois personnes qui s’influencèrent et se soutinrent à tour de rôle. Du trio, Morris Graves, connu pour ses sujets animaliers, reste le moins célèbre en Europe. De Tobey, nous connaissons bien les tissages serrés de ses écritures blanches dont une vingtaine sont exposées ici. Prenant chacun des orientations différentes dans leur création, les trois personnages ont néanmoins partagé nombre d’éléments déterminants, à l’instar de leur amour pour l’Orient. Influencés par des voyages au Japon, c’est nourris par la philosophie zen qu’ils fondèrent la conception du vide comme état latent de toute chose, jusque dans l’art et la musique, unis par une matrice commune. L’exposition fait d’ailleurs une large place à la biographie croisée des trois hommes et le catalogue rapporte nombre d’anecdotes les concernant. Pendant une promenade à Seattle en 1937, Tobey apprit ainsi à Cage, en désignant les déformations de l’asphalte, à donner de l’importance aux choses apparemment marginales.
Enfin, comme pour adjoindre un volet contemporain à ces passages entre art et musique, la Schirn Kunsthalle de Francfort tient, parallèlement à l’exposition sur Schönberg sus-citée, une manifestation intitulée “Frequenzen (HZ)”. Nouveau directeur de l’institution, Max Hollein a en effet voulu inaugurer son mandat avec une exposition réunissant les principaux représentants de l’“art sonore”. Peu précise, cette mouvance accueille des artistes qui, entre environnement et multimédia, ont abattu – en manipulant le son, l’espace et la lumière – les frontières entre les arts visuels et le son. Carsten Nicolai, Angela Bulloch, Daniel Pflumm, Franz Pomassl, Mika Vainio, Ultra Red, entre autres, symbolisent une nouvelle figure de l’artiste global, capable de rénover le rapport entre l’œuvre et le visiteur.

- Les visions d’Arnold Schönberg. Ses années de peinture, du 15 février au 18 avril et Frequenzen (HZ), jusqu’au 28 avril, Schirn Kunsthalle, Römberg, Francfort, tél. 49 69 299 88 20, tlj sauf lundi 11h-22h ; Sons de l’œil intérieur. Mark Tobey, Morris Graves, John Cage. Une amitié pacifique, du 10 février au 14 avril, Kunsthalle, Am Wall 207, Brême, tél. 49 421 31 90 80, tlj sauf lundi 10h-17h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°142 du 8 février 2002, avec le titre suivant : Visions mélomanes

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