Design

Objets inanimés, le design américain au quotidien

Par Joyce Caruso Corrigan · Le Journal des Arts

Le 8 février 2002 - 696 mots

Feux arrière de voitures, tapis de souris, brosses à dents ou avions furtifs sont quelques-uns des objets présentés au Wexner Center for the Arts de l’université d’État de l’Ohio, et au Art Museum de Denver. “Mood River” et “US Design : 1975-2000” consacrent le design comme esprit d’une époque.

NEW YORK (de notre correspondant) - Si vous aviez encore des doutes sur le fait que le design exprime l’esprit de son époque, sachez que la pièce maîtresse choisie pour l’exposition “Mood River” au Wexner Center for the arts est une spectaculaire pale de turbine industrielle de 24 mètres de long, provenant d’une éolienne du siège social de la Enron Corporation. Celle-ci a toutefois été sélectionnée longtemps avant la faillite de la société américaine (lire le JdA n° 141, 25 janvier 2002). Commissaire de l’exposition, Jeffrey Kipnis ne peut s’empêcher de voir dans cette coïncidence un présage de mauvais augure. Autre sujet d’inquiétude pour ce dernier, le regard que le public posera sur le bombardier furtif Lockheed Stealth Fighter. “À présent que tout le monde peut le voir survoler l’Afghanistan, les gens ne vont pas réellement s’intéresser à sa géométrie ni à ses effets de couleur”, explique-t-il.

Réponses et réactions
Nul doute que Philip Johnson est le principal responsable de ces contradictions. Présentée en 1934 au MoMA de New York, son exposition “Machine Art”, qui traquait l’art où on l’attendait le moins, est à l’origine de “Mood River”. Six décennies plus tard, le Wexner center ravive ses recherches dans les domaines du mobilier contemporain, de la mode à la recherche de “la trame émergeante de la sensibilité qui fait qu’aujourd’hui ressemble à aujourd’hui”. Avec plus de deux mille objets, ce quotidien pourrait bien avoir l’air un peu surchargé. L’époque a changé, et, là où “Machine Art” faisait l’éloge du simple, “Mood River” adore le complexe, la symphonie des sensibilités. Le titre, lui-même, qui évoque la chanson de Mancini, compare le design à une bande-son visible.

Les aspects les plus fascinants de cette exposition sont les connexions esthétiques entre les différents champs, celles établies, par exemple, entre le croquis pour Untitled (Airport Study), œuvre de métal et de plastique de Frank Stella, et la lampe Le Klint de Poul Christensen. Frank Stella était au départ réticent à cette idée, jusqu’à ce qu’il avoue être en possession de cet objet, fasciné par la manière dont le designer manipulait les matériaux. L’influence de la silhouette sombre du Stealth Fighter, qui n’est pas sans évoquer les manières de Serra, est, elle, clairement visible dans la chaise en zigzag de Giovanni Pagnotta, ou dans les dessins de l’architecte Peter Eisenman.

Si elle se consacre exclusivement aux productions américaines, “US Design : 1975-2000” au Denver Art Museum est, par son sujet, voisine des propos développés par “Mood River”. Enfin, son commissaire, Craig Miller, précise qu’il s’agit de la première exposition qui reconnaisse l’impact de l’ordinateur sur le design. “Le Guggenheim Bilbao n’aurait jamais pu être construit sans ordinateur”, juge ce dernier. Outre les travaux de célébrités telles Gehry ou Karim Rashid – dont sont exposées les poubelles sexy aux couleurs acidulées en polypropylène –, la manifestation comprend aussi de petits bijoux du design réalisés par des maîtres de la première heure comme Robert Venturi et Michael Graves, avant qu’ils ne soient trop occupés à construire des immeubles. “Le design américain a connu une crise dans les années 1960. Les grands noms étaient morts et l’Italie a réellement pris le contrôle”, poursuit Craig Miller. Son accrochage vise pourtant à démontrer que, depuis le milieu des années 1970, on note une résurgence du talent américain. Celui-ci se divise en deux grandes catégories fortement liées : la réaction des années 1970 contre la décennie précédente avec le postmodernisme de Robert Venturi, Michael Graves et le déconstructivisme de Gehry, suivie par la réponse contre cette tendance et le nouveau modernisme de Maya Lin et Karim Rashid.

Mood River, jusqu’au 26 mai, Wexner Center for the Arts, Ohio State University, 1871 North State University, Columbus, tél. 1 614 292 3535, tlj sauf lundi 10h-16h et US Design : 1975-2000, jusqu’au 26 mai, Art Museum, 100 West 14th Avenue Parkway, Denver, tél. 1 720 865 5000, tlj sauf lundi 10h-17h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°142 du 8 février 2002, avec le titre suivant : Objets inanimés

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