Centre d'art

Palais de Tokyo, un premier tour du propriétaire

Une trentaine d’artistes inaugure le Palais de Tokyo, à Paris

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 8 février 2002 - 630 mots

PARIS

Véritable succès en termes de fréquentation, l’ouverture du Palais de Tokyo a dévoilé, malgré une exposition inaugurale peu enthousiasmante, un programme généreux. Conséquence d’un parti pris dicté par des impératifs économiques, l’esthétique de friche du bâtiment rend toutefois difficile la lecture des œuvres et leur confrontation.

PARIS - L’artillerie électrique de Loris Cecchini est comme chez elle au Palais de Tokyo. Prises, fils et autres disjoncteurs de latex mous, vidés de leur substance, semblent avoir été toujours là, abandonnés par des ouvriers qui seraient partis sans même achever leurs enduits. Au regard du lieu et du “parti pris” architectural (ou des contraintes économiques) de sa réhabilitation, la perche est évidemment trop grande pour ne pas être saisie. In situ, les moulages de l’Italien agissent comme un commentaire amusé sur l’esthétique de friche du bâtiment, répondant ainsi aux désirs des visiteurs : personne n’attendait une véritable exposition pour l’inauguration du Palais de Tokyo, mais simplement l’ouverture d’un nouveau lieu (lire encadré). Résultat des courses, la trentaine d’artistes présents ne semblent être là que pour faire faire le tour du propriétaire. Disséminés, les mannequins de Virginie Barré le font d’une façon ludique en jouant à cache-cache. Monica Bonvicini, plus rageuse, prend le bâtiment au corps en installant, du sous-sol (les toilettes) au premier étage, des extraits d’un manuel d’éducation sexuel se référant aussi bien à la sexualité qu’au bâti. Dans la même veine, avec Demolished Prison, powerless structure fig. 272, Michael Elmgreen & Ingard Dragset exposent une cellule démolie. De l’architecture comme enfermement, à la nouvelle liberté prise par le sévère bâtiment années 1930, on ne se lassera pas de réciter quelque vulgate sur l’aliénation culturelle... Kay Hassan a lui choisi la “déterritorialisation” pour récréer avec photographie, décor, accessoire et musique une rue de Johannesburg. À l’inverse, les œuvres qui ne se prêtent pas au jeu souffrent de leur environnement, comme le Black Bloc de Christophe Berdaguer et Marie Péjus. Monumental lors de sa présentation récente au Frac Provence-Alpes-Côte-d’Azur (lire le JdA n° 136, 9 novembre 2001), leur monolithe aux “vertus” anxiogènes est malheureusement écrasé à côté du stand tout plastique de Surasi Kusolwong. Lâches, inexistantes, ou malvenues, les confrontations entre les œuvres posent le problème d’un espace totalement décloisonné : 3 500 m2, pour un musée c’est grand ; pour une place, c’est peu ! Nombre d’installations, à commencer par Island of an Island de Mélik Ohanian, auraient peut-être gagné à être isolées par des cimaises, ne serait-ce que pour la lisibilité des vidéo-projections.

Encore beaucoup de questions à poser
Si nombreuses, les références au bâtiment impliquent évidemment de réfléchir à sa fonction. À ce sujet, l’ouvrage publié par le Palais de Tokyo avant son ouverture, Qu’attendez-vous d’une institution artistique du XXIe siècle ?, pourrait aisément être aujourd’hui recyclé en catalogue. Le projet SUPER(M)ART de Navin Rawanchaikul place d’emblée la nouvelle institution comme première et dernière utopie artistique du siècle, dévoyée par le cupide “Curatorman”. Quant à Meschac Gaba, il signe avec son salon la onzième salle du Musée d’art contemporain africain qu’il développe depuis 1997. Comme à son habitude, l’artiste se joue de l’exotisme et s’amuse du premier vecteur de communication et d’échange entre Nord et Sud : l’argent. Enfin, le second “Tokyobook” édité l’an passé, Quel est le rôle de l’artiste aujourd’hui ?, trouve une réponse littérale dans la bande dessinée autobiographique de Franck Scurti. Le Palais de Tokyo a ouvert ses portes, a fourni quelques réponses, mais il lui reste encore (heureusement) beaucoup de questions à poser.

- exposition de groupe, jusqu’au 12 mai ; Mélik Ohanian, jusqu’au 17 mars ; Navin Rawanchaikul, jusqu’au 31 mars ; Monica Bonvicini, jusqu’au 17 février ; Meschac Gaba, jusqu’au 8 septembre, Palais de Tokyo, rue de la Manutention, tél. 01 47 23 54 01, 75008 Paris, tlj sauf lundi 12h-24h, www.palaisdetokyo.com.

Fréquentation record pour un lieu résolument attractif

En cinq jours, les journées portes ouvertes du Palais de Tokyo ont accueilli environ 45 000 personnes. Cette foule éclectique est venue découvrir un lieu dédié à la création contemporaine, mais qui a su se transformer en espace convivial afin de toucher un large public et répondre à des intérêts divers. Ainsi, la programmation musicale ne nous épargne pas les tendances les plus festives de l’époque, mais elle fait également la part belle à des projets plus expérimentaux, tels l’Audiolab conçu par les frères Bouroullec à la demande de Jean-Yves Leloup et d’Hervé Mikaeloff. Sorte de douche musicale, cette installation propose jusqu’au 21 avril des bandes sonores de To Rocco Rot, Gel : ou Laetitia Bénat. Orientée vers la création, le graphisme et l’architecture, avec la présentation d’une cinquantaine de revues, la librairie, quant à elle, devrait conquérir une clientèle fidèle qui pourra prochainement venir se rassasier dans un restaurant qui se fait attendre.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°142 du 8 février 2002, avec le titre suivant : Un premier tour du propriétaire

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