Flux tendus

La villa Arson fait de l’import/export

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 8 février 2002 - 639 mots

Fruit d’une collaboration entre trois institutions européennes, “Import/Export”? présente, autour du thème des échanges, le travail d’une dizaine d’artistes français, allemands, autrichiens et hollandais. Souvent critiques, les propos développés interrogent les notions d’identité, de migration, d’économie et d’apprentissage.

NICE - “Je suis une merde”, a écrit en néon bleu et d’une écriture tremblotante Claude Lévêque, comme un autiste, sur un mur de la villa Arson. Maintenant que les bienfaits de la “diversité culturelle” sont chantés par Jean-Marie Messier, à quoi bon continuer à promouvoir l’échange comme valeur humaniste ? Fruit d’une collaboration entre le Kunstverein de Salzbourg, le Museum voor Moderne Kunst d’Arnhem et la villa Arson, qui accueille l’étape française de l’exposition, “Import/Export” participe de ce désenchantement. Communément, les trois directeurs de ses institutions indiquent dans leur note d’intention “comment la production artistique nationale et sa représentation sont considérées comme des facteurs importants et représentent des atouts efficaces pour l’industrie du tourisme”. Avec la reproduction d’une mitrailleuse agrandie dans de l’éponge rose, ou la maquette au 1/10e d’un tank Leopard dans du satin, Michaela Melián tire des conséquences lourdes de ce
commerce.
Les activités d’importation et d’exportation dont il est question sont toujours le résultat de transactions entre deux sphères, mais leurs enjeux dépassent le simple fait financier. Souples et fluctuants, les environnements de Fransje Killaars prennent ainsi pour matière première des tapis fabriqués en Inde selon les indications de l’artiste, agencés dans une composition horizontale au chromatisme vigoureux qui doit autant aux wall-drawings de Sol LeWitt qu’aux ashrams. Roy Villevoye pratique, lui aussi, un fructueux commerce équitable. Flirtant avec l’ethnologie et les récits de voyage, il met en scène des tee-shirts échangés avec des Asmats de Papouasie. Habituellement hors-champs de nos rêves de primitivismes, le vêtement ordinaire de l’Occidental, “scarifié”, orné, et porté comme un fétiche, acquiert une aura troublante, aussi éloignée du mythe de l’Eden que de l’iconographie tiers-mondiste.

Exotisme de l’à-peu-près
Largement pratiquée par Roy Villevoye dans ses voyages, l’expérience du dépaysement occupe une large place des travaux présentés. Jun Yang, dans From Salary man to Superman (présenté l’an dernier au Centre national de la photographie, à Paris) réalise une autobiographie tout en transit. Par le biais des superproductions (Retour vers le futur, Superman mais aussi Le Dernier Empereur), il se joue de son identité à travers les différents sens pris par son nom – de voyage en voyage (From Jun Yang to soldat Dubois). En résidence à Nice, il a également composé un service de vaisselle chinoise en reprenant la calligraphie “sinophile” des restaurants vietnamiens de la région. Cet exotisme de l’à-peu-près est proche de celui documenté par Barbara Visser à Huis Ten Bosch Stad, tranquille bourgade aux archétypes hollandais de bric et de broc construite à proximité de Nagasaki. La Néerlandaise y photographie ses pairs grimés en parfaits touristes asiatiques (A Day in Holland/Holland in a Day) et rejoue dans une mise en scène minimaliste le son et lumière réalisé au Japon sur l’inondation de la province de Zeeland en 1953 !
Enfin, matière première du stade quaternaire de l’“import/export”, l’information figure aussi en bonne place, si l’on en croit le rôle joué par la pédagogie dans deux travaux : une salle de classe “technoïde” pour les étudiants de la villa Arson installé par Pierre Joseph au centre de l’exposition, et la retranscription vidéo d’un séminaire organisé par Rainer Ganahl autour de Frantz Fanon. Si les séances de cours du premier s’annoncent buissonnières, le télescopage identitaire proposé par le second prend le sujet de la manifestation et ses implications au corps. En faisant lire à des petits-enfants de pieds-noirs L’An V de la révolution algérienne, il porte la réflexion sur l’influence de l’Afrique du Nord sur Nice après l’arrivée des rapatriés.

- IMPORT/EXPORT, jusqu’au 31 mars, villa Arson, 20 avenue Stephen-Liégeard, Nice, tél. 04 92 07 73 73, tlj sauf mardi, 14h-18h, www.cnap-villa-arson.fr, catalogue.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°142 du 8 février 2002, avec le titre suivant : Flux tendus

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