Geneviève Gallot

Directrice de l’Institut national du patrimoine

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 8 février 2002 - 1391 mots

Geneviève Gallot est depuis 1999 directrice de l’Institut national du patrimoine. Inspectrice générale au ministère de la Culture, elle a également enseigné l’histoire de l’art à l’Institut d’études politique de Paris et donné des cours de politique culturelle à l’École nationale d’administration et à l’université de Paris-Dauphine. Elle commente l’actualité.

L’ouverture du Palais de Tokyo a été saluée par un afflux de visiteurs. Quelle est votre impression sur cette institution naissante ?
Ce succès public est le signe que de tels lieux répondent à une demande. Il faut donc se féliciter que de nouveaux espaces dédiés à l’art contemporain comme le Palais de Tokyo ouvrent, avec des horaires tardifs, et complètent le réseau existant. Offrir des espaces de ce type, flexibles, adaptables à différentes formes d’expressions artistiques, est donc une très bonne initiative. J’ai, pour ma part, beaucoup apprécié les belles photographies de Beat Streuli.

La publication par Le Figaro d’un rapport de la Cour des comptes sur le Louvre a relancé le débat sur l’autonomie financière des grands musées. Dans le même temps, la gestion de la Réunion des musées nationaux (RMN) et la hiérarchisation de ses missions ont été mises en cause dans un rapport de l’Inspection générale des finances. Pensez-vous que le système mutualiste de la RMN soit menacé ?
Sur ces questions, le consensus me semble plus large qu’il n’y paraît. Le système mutualiste de la RMN est très important et les différents partenaires y sont, je le crois, fortement attachés. Ce système est essentiel pour permettre de grandes acquisitions pour les collections nationales et tout ce qui peut être fait pour garantir cette mission fondamentale est souhaitable. Parallèlement, l’autonomie juridique acquise par certains grands musées est la base indispensable à la modernisation de leur fonctionnement. Dans le passé, j’ai eu moi-même l’occasion de plaider pour la création de l’établissement public du Grand Louvre. Une telle structure était, en effet, devenue nécessaire à la bonne gestion d’une institution dont le volume d’activités avait changé d’échelle. Donc : oui, au système mutualiste, et oui à une autonomie consolidée. Peut-être faut-il revoir certains équilibres, inventer de nouveaux mécanismes. Il paraît en tout cas nécessaire de trouver une solution afin que le Louvre, dont la rénovation a coûté 6 milliards de francs à l’État, puisse ouvrir les salles qui demeurent fermées. En ce qui concerne les expositions, il est possible qu’une certaine redistribution entre celles des grands musées et celles de la RMN soit souhaitable.

Le gouvernement a indiqué son souhait de publier les décrets d’application de la loi sur les musées de France avant les élections présidentielles. De nombreux points du texte devant justement être précisés par voie réglementaire, quelles sont vos attentes ?
La loi musée comporte de nombreuses avancées. Elle réaffirme les missions scientifiques et culturelles du musée, clarifie la question des dépôts anciens de l’État et va faciliter les cessions entre les musées de France. Elle apporte également des dispositions très innovantes – dont la France avait besoin – en matière d’incitation fiscale pour les entreprises. En ce qui concerne l’inaliénabilité des collections, la loi en confirme pleinement le principe. Elle clarifie et rend transparentes les procédures. On sait que dans le passé certaines œuvres ont pu être déclassées. Désormais, toute décision de déclassement ne pourra être prise qu’après avis conforme d’une commission scientifique. Je n’ai donc pas le sentiment que la loi mette en cause le principe d’inaliénabilité, les garde-fous nécessaires sont là. Quant au décret d’application, il doit préciser deux articles de la loi qui m’intéressent particulièrement en tant que directrice de l’Institut national du patrimoine : l’article 6, qui indique que “les activités scientifiques des musées de France sont assurées sous la responsabilité de professionnels présentant des qualifications définies par décret en Conseil d’État”, et l’article 15, qui dispose que “toute restauration d’un bien faisant partie d’une collection d’un musée de France... est opérée par des spécialistes présentant des qualifications ou une expérience professionnelle définies par décret”. Nous espérons donc que, dans le décret, il sera clairement fait référence aux conservateurs du patrimoine, et que les qualifications définies pour désigner les restaurateurs feront apparaître les garanties nécessaires. Ces dispositions devront conforter les quatre formations supérieures à la restauration homologuées par l’État et non les affaiblir ou les contredire. En outre, il faudra être attentif aux conditions dans lesquelles seront validés les acquis professionnels en application des dispositions prévues, par ailleurs, par la toute récente loi de modernisation sociale. Au-delà, je pense qu’il faut aujourd’hui ouvrir une réflexion pour protéger le titre de restaurateur du patrimoine. Peut-être un dispositif proche de celui qui existe pour les architectes DPLG permettrait de clarifier l’exercice de ce métier devenu très complexe et qui requiert une déontologie de plus en plus exigeante. Plusieurs pays européens réfléchissent d’ailleurs en ce sens.

Justement, l’École nationale du patrimoine vient de se transformer en Institut national du patrimoine. Est-ce afin de mieux articuler la formation des conservateurs et des restaurateurs dont elle a la charge ?
Nous avons voulu donner à nos activités un cadre plus adapté. L’Institut s’organise autour de deux pôles de formation, celui des conservateurs du patrimoine, correspondant à l’École nationale du patrimoine (ENP), créée en 1990 ; et celui des restaurateurs du patrimoine, correspondant à l’Institut de formation des restaurateurs d’œuvres d’art (Ifroa), créé en 1977. En 1996, la réunion de ces deux formations n’avait pas eu de conséquence sur l’organisation interne de l’établissement. L’Institut national du patrimoine a désormais un conseil d’administration et un conseil scientifique où les deux communautés professionnelles sont représentées. De plus, le président du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), avec lequel nous avons développé notre collaboration, entre dans notre conseil d’administration.

Jack Lang a annoncé la possible création d’un CAPES et d’une agrégation avec une option d’histoire de l’art. Cette mesure, outre son intérêt symbolique, marquerait-elle le véritable essor de la discipline en France ?
Cette perspective est très importante. Une option “histoire de l’art” au CAPES et à l’agrégation permettra, enfin, un véritable enseignement de l’histoire de l’art dans le secondaire. Il manque aujourd’hui cruellement. J’ai enseigné pendant plusieurs années à “Sciences-Po”. Tous les étudiants connaissaient bien Descartes mais certains d’entre eux pensaient que Poussin était un peintre du XIXe siècle. Durant ces vingt dernières années, nous avons su développer l’éveil artistique, l’incitation à la pratique, ce qui est bien mais insuffisant. Il est indispensable de donner aux enfants, aux jeunes, les grands repères, les jalons essentiels de l’histoire de l’art, occidentale et non occidentale, afin d’ouvrir leur curiosité. Bien entendu, l’essor de la discipline tiendra aussi beaucoup à l’action de l’Institut national d’histoire de l’art récemment créé. De manière générale, le plan décidé par Catherine Tasca, ministre de la Culture et de la Communication, et Jack Lang, ministre de l’Éducation nationale, pour développer les arts à l’école et à l’université paraît prometteur et devrait modifier l’appréhension des arts par les Français.

Le décès de Pierre Bourdieu nous renvoie à quelques-unes de ses études sur le champ artistique et notamment à ses recherches sur les publics. Lors de sa parution en 1966, L’Amour de l’art décrivait des musées coupés du plus grand nombre, réservés à des initiés. Pensez-vous qu’après des années d’action culturelle, la situation ait vraiment évolué ?
D’un point de vue quantitatif, les modifications ont été notables. Le Grand Louvre a vu le nombre de ses visiteurs pratiquement doubler et atteindre 6 millions par an, et en régions, la hausse a également été sensible après les quelque deux cents chantiers de rénovation ou de construction de musées. On peut donc voir des évolutions, mais nous ne sommes pas au bout du chemin. Les publics demeurent insuffisamment diversifiés. Il ne faut pas relâcher les efforts pour attirer les “non-publics”. Je crois beaucoup à l’éducation, aux moyens permettant d’encourager l’appropriation intelligente et sensible des œuvres et objets d’art.

Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
D’abord, deux expositions de dessins : la magnifique collection Jabach au Louvre, et l’exposition “Matisse/Kelly” au Musée national d’art moderne présentant les dessins végétaux, si voisins et si distincts, des deux artistes. Également, l’exposition “Pirates”, très vivante, au Musée de la marine et dont le commissaire est Virginie Serna, conservateur stagiaire à l’Institut national du patrimoine. À Strasbourg, la rétrospective d’Asger Jorn rend bien compte de l’esprit de transgression du fondateur de Cobra. À l’étranger, enfin, j’ai été très intéressée par le Quartier des Musées récemment inauguré à Vienne.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°142 du 8 février 2002, avec le titre suivant : Geneviève Gallot

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