L’art contemporain entre actualité et réflexion

Pluridisciplinaires, les revues apparues ces dernières années donnent la parole à une nouvelle génération éditoriale

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 22 février 2002 - 1229 mots

L’attention nouvelle
portée à l’économie,
et aux politiques culturelles,
et l’ouverture au-delà du strict champ des arts plastiques semblent être les constantes des revues consacrées à
la création contemporaine apparues ces cinq
dernières années. À travers
six d’entre elles, portrait
d’une génération éditoriale.

PARIS - Dix ans se sont écoulés depuis la création quasi simultanée de Blocnotes, Purple Prose et Documents sur l’art. Parallèlement à la forte empreinte qu’elles ont laissée sur le paysage artistique français, les trois revues ont largement muté (Blocnotes a “enfanté” Crash), évolué (Purple qui, de Purple Sex en Purple fiction, réinvente à chaque fois ses formules) ou continué en pointillé (le nouveau Documents sur l’art devrait sortir cet été). Mais, au côté de la doyenne, Art Press, toujours considérée comme “la revue française d’art contemporain”, aucune n’est réellement venue s’imposer. Les titres généralistes de la presse artistique font désormais une large place à l’art contemporain, mais le sentiment d’un manque est encore aujourd’hui la principale raison de créer une revue. “Nous manquons d’une écriture sur l’art qui ne soit pas liée à l’actualité. Nombre de supports sont là pour en donner une lecture, mais d’une certaine façon, l’obligation de suivre celle-ci empêche d’autres formes, comme les écrits d’artistes, d’être visibles”, estime le critique et commissaire d’exposition François Piron. Ce dernier, accompagné de ses pairs, Claire Jacquet et Émilie Renard, et de l’artiste Boris Achour, vient de publier le premier numéro de Trouble, un épais semestriel, vierge de toute image et publicité. Placés sous le thème de l’économie, les essais et entretiens contenus dans le premier numéro démontrent par l’identité de leurs auteurs et intervenants (Noël Ravaud, Franck Scurti, Christophe Domino, Thomas Hirschhorn, Arnaud des Pallières...) un éclectisme calculé. “Il faudrait justement développer des aspects transhistoriques. L’histoire a laissé pas mal de choses et il serait bon de faire un peu de rétropédalage”, poursuit François Piron.
Bien qu’il soit majoritairement nié, l’aspect générationnel des nouveaux supports est présent par la force des choses (les fameux 25-35 ans) et engendre des phénomènes comparables à ceux observables à plus large échelle. Si, ces dernières années, l’émergence de structures associatives, collectifs porteurs de nouveaux lieux d’expositions et de productions a été maintes fois pointé comme le symptôme du dynamisme de la scène artistique française, l’activité éditoriale, de bulletins d’informations en revues plus posées, a suivi un chemin parallèle et a joué un rôle comparable. Ainsi, 02, émanation directe de la Zoo galerie de Nantes, a accompagné nombre d’artistes issus de l’École des beaux-arts de la ville. Créée en 1997 pour répondre à un besoin d’information local, le trimestriel noir et blanc qui conserve avec raison les attraits d’un fanzine a donné naissance, l’an passé, à un autre, national : ( 33) 01. Bilingue français/anglais, plus “chic et parisien” de l’aveu même de son rédacteur en chef, Patrice Joly, ce gratuit à la reliure au dos carré collé et à la diffusion large (12 000 exemplaires annoncés) dans les galeries et institutions en est aujourd’hui à son quatrième numéro. Continuant sa route, parallèlement à 02, il a, après un démarrage très ambitieux, dû réduire sa pagination, en adéquation avec ses ressources publicitaires. “Ce n’est pas encore fixé, estime Patrice Joly. Nous allons sortir un numéro de 01 avant l’été et ensuite peut être marquer une pause pour sortir une nouvelle formule, toujours gratuite mais plus conséquente et plus évoluée graphiquement”. Panachage entre critiques d’expositions, essais, interventions d’artistes et entretiens, la revue a su accorder une large place aux fonctionnements de l’économie artistique. “Tout cela était en germe dans 02, où le traitement était effectué au niveau des acteurs de l’art. Cette optique a été un peu abandonnée au profit des comptes rendus mais 02 va justement revenir sur ce point”, poursuit le rédacteur en chef.

Énergie du militantisme
Du statut de l’artiste au budget de la Culture, en passant par les tentations croissantes du libéralisme et de la censure, la sphère politique et économique occupe d’ailleurs une large place dans les revues créées depuis 1995. Privilégiant le théâtre et intégrant depuis deux ans les arts plastiques, Cassandre ne cache pas son engagement et s’affiche sous une citation de Gramsci : “Allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté.” “Nous ne sommes pas une revue politique, mais nous menons une activité de prospection sur les rapports sociétaux et souhaitons interpeller les politiques sur les rapports de l’art”, tempère Valérie de Saint-Do, directrice adjointe du bimestriel qui, diffusé en kiosque, tire aujourd’hui à 6 000 exemplaires. Riche par ses sujets et son attention aux bouleversements du paysage culturel, Cassandre profite de l’énergie du militantisme, mais, revers de la médaille, hérite aussi de sa partialité. Enfin, par le biais de l’association Horschamp, la revue entend dans les années à venir développer un lieu de ressource et d’interventions artistiques.

Indisciplinarité revendiquée
S’il a aujourd’hui une diffusion plus vaste (tirage de 15 000 exemplaires), Mouvement a suivi un parcours proche. Fondé en 1994, mais en kiosque depuis 1998, le bimestriel, originellement consacré à la chorégraphie, s’est fait remarquer pour son dossier sur les dessous de l’exposition “La Beauté” à Avignon et plus récemment pour son analyse alarmiste de la politique culturelle de Silvio Berlusconi. Les analyses portées sur le seul champ artistique trouvent également une large place dans les pages de Mouvement. Toutefois, comme l’explique son directeur, Philippe Brzezanski, “la critique d’exposition ou de spectacles n’est pas notre premier travail. Ce n’est pas le moment de l’actualité qui prime mais l’émergence de questions artistiques ou politiques”. Dans cette construction par dossiers, les arts plastiques sont loin d’avoir l’exclusivité et s’intègrent dans les arts vivants. “Cela répond à un besoin, poursuit Philippe Brzezanski. Les artistes, eux-mêmes, ont largement dépassé la notion de discipline. Nous souhaitons établir un rapport indisciplinaire.”
Revendiqué par Mouvement dans son sous-titre, “l’indisciplinarité” est une autre constante des jeunes revues, comme ( 33) 01 qui accueille avec plaisir littérature et musique, Trouble où se côtoient écrivains, artistes et cinéastes, Parpaings à cheval entre architecture et art contemporain. “Nous comprenons l’architecture comme un art visuel, analyse Christophe Le Gac, rédacteur en chef de la revue avec Alice Laguarda. Parpaings est basé sur trois lignes fortes : la question du politique, l’image, le corps et son environnement.” Annonçant un tirage de 25 000 exemplaires et vendu 2 euros, le mensuel, créé par les éditions Jean-Michel Place (L’Architecture d’aujourd’hui, Techniques et Architectures) à destination d’un lectorat jeune, est l’exemple unique dans le domaine d’une publication affiliée à un groupe. Pourtant, ici aussi, l’économie reste fragile et les pigistes ne sont pas rémunérés. “Participer à une revue reste du militantisme”, reconnaît Christophe Le Gac.

De bons conseils

Depuis 1993, Critique d’art joue un rôle aussi singulier qu’utile dans l’édition sur l’art en France. En effet, cette revue condense, deux fois par an, l’actualité des livres sur l’art en langue française à travers des notices et articles thématiques plus vastes. Ainsi, le numéro 19, sorti à l’automne 2001, ne comporte pas moins de 239 comptes rendus, utiles à tous les bibliothécaires, chercheurs, étudiants et amateurs. Parallèlement, les éditions des Archives de la critique d’art, créées en 1989, assurent une mission patrimoniale inédite en recensant des fonds d’archives remis par les critiques eux-mêmes, une base qui sert à l’organisation de débats et à la publication d’ouvrages.
- Critique d’art, Archives de la critique d’art, 3 rue de Noyal, 35410 Châteaugiron, tél. 02 99 37 55 29, www.uhb.fr/alc/aca/welcome.html (6,10 euros).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°143 du 22 février 2002, avec le titre suivant : L’art contemporain entre actualité et réflexion

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