Jean-Pierre Mohen

directeur du département du patrimoine et des collections du Musée du quai branly

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 30 janvier 2008 - 1517 mots

Pressenti pour diriger le chantier du Musée de l’homme, Jean-Pierre Mohen a mené de front
un parcours scientifique et administratif de haute volée. Portrait d’un consensuel.

.N’essayez pas d’entraîner Jean-Pierre Mohen sur les sujets qui fâchent. Fuyant les conflits comme la peste, le directeur du département du patrimoine et des collections du Musée du quai Branly ne se mouillera pas. La bronca des archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) pour obtenir plus d’effectifs afin de mener à bien les fouilles ? « Il faut continuer à former des gens, mais aussi s’habituer à faire des choix, ne pas saupoudrer. Pour avoir davantage de budget, il faut être plus sélectif ». Quid des débats suscités par le Louvre-Abou Dhabi ? « Franchement, je n’avais pas les éléments pour juger. J’essaye de m’atteler à des domaines dans lesquels j’ai une prise. » Plus étrange, il n’est pas monté au créneau en faveur des restaurateurs du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), inquiets de leur prochaine délocalisation du Louvre. Ses anciens collègues espéraient pourtant quelques ruades de sa part. « Il va dans le sens du vent parce que c’est un optimiste convaincu, explique un ancien collaborateur. Il ne prend pas de position, essaye de voir le côté positif et attend que ça se décante. »

« Un vieux sage »
Cette tendance, un brin agaçante, à arrondir les angles rassure forcément ses tutelles. « C’est plus un homme de rassemblement que de combat, analyse Jacques Sallois, ancien directeur des musées de France, dont Mohen a été le bras droit. Il attache plus d’importance à la réalisation des entreprises qu’à faire valoir un point de vue entier sur une question. » Président du Musée du quai Branly, Stéphane Martin le compare volontiers à « un vieux sage » au « dialogue souriant ». Son flegme face aux agitations corporatistes explique qu’il soit pressenti pour diriger le chantier du Musée de l’homme à Paris. Une rumeur que n’élude pas Bertrand-Pierre Galey, directeur général du Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, auquel le Musée de l’homme est rattaché. « Il sait fabriquer des consensus, mais pas des consensus mous. C’est un cas unique, car il est apprécié aussi bien des conservateurs que des universitaires qui habituellement se méprisent », confie ce dernier. Ce goût du recul serait-il stratégique ? « C’est un bon diplomate, mais ce n’est pas un politique, affirme Danièle Giraudy, son ancienne collaboratrice au C2RMF. Il n’a pas la prudence de celui qui essaierait de se caser au bon moment au bon endroit. Il ne se fait pas valoir, est présent, efficace et discret ».
Natif d’Arras, puis élevé à Douai, Mohen connaît une enfance plutôt grave dans une région minière. Comme de nombreux bambins, il se réfugie dans des collections d’insectes, un inventaire synthétisant une problématique qui ne le lâchera plus : l’histoire combinée avec la vie. Le garçon du Nord poursuit finalement sa scolarité à Bordeaux, où il s’inscrit à la fois en histoire et en ethnographie. Il s’ensuit une thèse passée à Paris en 1979 sous la direction d’André Leroi-Gourhan sur l’âge du fer en Aquitaine. Cette plongée dans le néolithique le convainc visiblement de la relativité des choses. « Il y a des strates qui font que nous ne sommes pas nés de la dernière pluie, déclare-t-il. Quand on commence une année, on vous parle du PIB, de la monnaie, de la récession américaine. Pour moi, cette vision à l’année près, dans le présent immédiat, est loufoque. » Il rajoute : « le réchauffement de la terre a toujours existé. Vers le troisième millénaire avant notre ère, il y avait des températures plus fortes qu’aujourd’hui. Ou l’on magnifie trop l’action de l’homme, ou on l’accuse de manière excessive. La situation n’est pas aussi affolante qu’on le dit quand on la met en perspective. »
Frais émoulu en 1969, Mohen rejoint le Musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, institution dont il gravira les échelons en vingt ans. Il y mène tambour battant la rénovation de la salle d’archéologie comparée, laissée en plan par ses prédécesseurs, tout en participant au réaménagement muséographique des salles de protohistoire. Parallèlement, Mohen développera une carrière internationale via l’Unesco. Trésorier pendant six ans de l’ICOM (Conseil international des musées), il profitera de ce poste d’observation pour anticiper les changements que connaîtront les musées. Une lame de fond que le Musée des antiquités nationales n’aurait pu accompagner. Ce constat n’est sans doute pas étranger à son bref passage par l’administration centrale, comme adjoint du directeur des Musées de France. Cette carrière administrative ne l’empêche pas de publier, abondamment, notamment un passionnant ouvrage sur les rites funéraires, ni d’organiser des expositions sur l’Or des Scythes, les Trésors des Celtes, les Vikings et surtout l’année de l’archéologie en France en 1989.
Car avant d’être un commis de l’État, Mohen est un archéologue. Son grand fait d’armes ? Le chantier de la nécropole de Bougon, initié en 1971. Sa capacité d’entraînement des équipes se mesure en 1979, lorsqu’il s’attelle avec les habitants du village pour déplacer d’énormes mégalithes, comme aux temps préhistoriques. « À la fin du chantier de fouille, il a su convaincre les politiques de créer un musée. Il a su expliquer avec calme, sans plaquer de certitudes, en étant respectueux du territoire des uns et des autres, indique Elaine Lacroix, directrice du Musée des Tumulus de Bougon. Il sait écouter les gens, qu’ils soient étudiants ou Bac 10. Il ne porte pas de jugement sur le niveau des études, n’a aucun mépris ni arrogance. » Mohen écrira aussi un rapport très prudent sur l’avenir de Carnac, menacé de se muer en grand Menhirland.

Démarche « participative »
Ce besoin de fouiller, de trouver des preuves concrètes, se prolonge d’une certaine façon au Laboratoire des Musées de France dont il devient le directeur en 1994. Il y favorise un rapprochement avec le CNRS et dans une démarche « participative », parvient à faire dialoguer conservateurs et scientifiques autour d’Aglae, l’Accélérateur Grand Louvre d’analyse élémentaire, que certains considèrent alors comme une coûteuse danseuse. Presque malgré lui, ce pacificateur jette un pavé dans la mare en 2000, avec une tribune dans le Monde des Débats. Invoquant Cesare Brandi, il souligne la nécessité de la lisibilité dans la restauration, en affirmant que la compréhension de l’œuvre par le grand public doit être l’objectif principal. Ces propos font bondir l’Association pour le respect et l’intégrité du patrimoine artistique (Aripa). « Jean-Pierre Mohen a été franc mais naïf, indique Michel Favre-Felix, président de l’Aripa. Je n’ai pas l’impression qu’il ait une connaissance intime des processus de restauration. Il a réinterprété de manière trop rapide les données de Cesare Brandi. »
Le Musée du quai Branly, que Mohen rejoint en 2005, n’est pas vraiment une incongruité dans son parcours, puisqu’il en avait accueilli les premières acquisitions dans les réserves du C2RMF. S’il complète l’approche de son prédécesseur Germain Viatte par une focale plus scientifique, son rôle est autrement plus stratégique. « Il a apporté sa légitimité qui était très importante pour nous au moment de l’ouverture. Son carnet d’adresses international était précieux, rappelle Stéphane Martin. Il a joué un rôle dans la pacification des relations avec le Musée de l’homme. Il n’était pas considéré comme un adversaire, un prédateur de leur collection. » Mesuré, Mohen le reste jusqu’aux bouts des ongles, notamment sur la question des restitutions. « Les reliques qui sont dans les églises ne viennent pas toutes du sol gaulois. La culture est un échange, et beaucoup de ces objets sont faits pour circuler, indique-t-il. Il n’est pas besoin de changer les lois ni de faire référence aux ancêtres pour rapatrier des pièces. »
Qu’il prenne une part active, si ce n’est centrale dans la préfiguration du Musée de l’homme, dont la rénovation est prévue sur quatre ans, n’a rien d’étonnant ! « En général, dans ce type de projet, on met des gens proches de la retraite, capables de se retirer à tout moment, et qui n’ont pas d’enjeu personnel », note un observateur avisé. En 2003, le Muséum national d’histoire naturelle lui avait confié une mission de réflexion sur le renouveau de cette institution. Son rapport évoquait plusieurs axes comme la présentation des origines de l’homme, la question de la diversité biologique et la mise en relation avec les autres espèces vivantes. « À l’ouverture du Musée du quai Branly, j’ai dit à Jean-Pierre que j’étais choqué car l’art rupestre y est absent, confie l’archéologue Jean Clottes. Mohen n’est pas monté sur ses grands chevaux. Il m’a dit que cette dimension existerait au Musée de l’homme. Il fait avancer le Schmilblick, mais en douceur. Peu importe, puisqu’il obtient des résultats. »

Jean-Pierre Mohen en dates

1944 Naissance à Arras
1969 Conservateur au Musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye
1987 Directeur du Musée des antiquités nationales
1992-94 Adjoint au Directeur des Musées de France
1994 Directeur du Laboratoire de recherche des Musées de France
1998 Directeur du C2RMF, Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France
2005 Directeur du département du patrimoine et des collections du Musée du quai Branly

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°274 du 1 février 2008, avec le titre suivant : Jean-Pierre Mohen

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