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Chronique

Manières de faire l’histoire (de l’art)

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2008 - 738 mots

Une série d’ouvrages savants vient rappeler que la fabrique de l’Histoire est un atelier ouvert. Passage en revue

On la connaît académique, au sens anglo-saxon du terme bien sûr, cette discipline [l’histoire de l’art] avec ses institutions, sa propre histoire, qui saurait même comprendre son possible dépassement comme Hans Belting le rappelle dans L’histoire de l’art est-elle finie ? On lui trouve des origines, quand Vasari écrit de 1550 à 1568 ses Vies – reprises « pour l’essentiel » chez Grasset d’après la première traduction française de 1841-1842. Elle a ses succès – cinq titres en format poche pour Daniel Arasse — et n’a de cesse cependant de s’inventer, comme pensée et comme écriture, ne serait-ce que pour la conversion de plus en plus pressante de l’immédiateté en histoire. Elle rencontre à cet endroit, d’ailleurs, la redoutable concurrence des faiseurs d’histoires du storytelling, cette manière de « manager » le contemporain par sa conversion en récit au bénéfice essentiel des sphères marchandes et politiques, manière surtout qui fait passer de l’explication causale à la narration assimilable et sans revers : dans l’art, cela prend la forme par exemple de success stories de collectionneurs ou d’artistes. Mais la production savante ne baisse pas les bras. La fabrique de l’histoire est un atelier ouvert. Ainsi Bart Verschaffel, professeur (universités de Gand et d’Anvers), essayiste, critique et auteur de films sur l’art, dans ses Essais sur les genres en peinture, ouvre à partir d’une perspective toute classique – les genres constituant des véhicules exemplaires de l’historicisme – des pistes roboratives : celle qui consiste à considérer que plus que le « sujet », c’est la spécificité spatiale qui nourrit chaque genre. De là ce qui fait genre de la nature morte, du portrait comme du paysage structure profondément nos actes photographiques et notre pratique du monde, au-delà même d’attitudes proprement artistiques ou esthétiques. La tentative éclairante de relier l’image-paysage à l’expérience individuelle (le lointain, la vue, l’action) resterait cependant à mener jusqu’aux pratiques de l’environnement et autres formes immersives contemporaines qui mettent au défi la frontalité picturale — sans forcément la dénier, formes contemporaines que l’auteur peine à intégrer à sa démonstration.

Deux revues spécialisées proposent, quant à elles, des angles variés – plus de vingt-cinq auteurs à elles deux ! – autour d’objets récents à l’échelle historique et problématiques. La Revue francophone d’Esthétique en son numéro 4 pose des « Questions sur les arts premiers ». La tentative de cerner huit traits caractéristiques de l’art dans les cultures tribales vise, selon son auteur, Denis Dutton (Université de Canterbury), à « rendre possible le discours trans-culturel sur l’art en général » en tentant de sortir de l’alternative universalisme/localisme. Elle donne le ton d’un souci légitime de discours sur les arts non-occidentaux. Le numéro 5/6 de 20/21.siècles (Cahiers du Centre Pierre Francastel) tente de cerner l’imaginaire historique de la seconde moitié du XXe siècle, qui donne son socle à l’historiographie. Les axes sont géographiques (Paris de l’après-guerre, plusieurs vues d’Europe, des perspectives américaines), monographiques (Julian Gallego, Roberto Longhi) ou thématiques, dans l’esprit d’un titre d’article : « Pour une histoire de l’art contemporain ». Ce à quoi travaillent, en effet, les meilleures contributions réunies là.

Avec Patrick Beurard-Valdoye, le discours historique emprunte une tout autre voie encore : celle de l’« épopée poétique ». À partir de recherches et d’enquêtes en suivant les pas de l’artiste dans ses exils, avec une écriture précise, entre récit et poème, mêlant information inédite et fiction, c’est une sidérante biographie subjective et presque hallucinée qui se construit : elle fait accéder à une tragédie où la grande histoire vient imposer, sans pathos mais avec cruauté, à la figure tragique de Kurt Schwitters. La condition moderne de l’art trouve là une expression parfaitement singulière, informée et inspirée, où la densité de l’expérience poétique démultiplie la puissance de l’histoire savante. Une expérience de lecture.

- Hans Belting, L’histoire de l’art est-elle finie ? Histoire et archéologie d’un genre, rééd. Gallimard, Paris, 2007, 240 p., 6 euros, ISBN 978-2-0703-1832-2.

- Vasari Giorgio, Vies des peintres, éditions Grasset, Paris, 2007, 518 p., 12,80 euros, ISBN 978-2-2467-0691-5.

Christian Salmon, Storytelling, La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, éd. La Découverte, Paris, 2007, 242 p., 18 euros, ISBN 978-2-7071-4955-8.

- Bart Verschaffel, Essais sur les genres en peinture, nature morte, portrait, paysage, éd. La Lettre Volée, Bruxelles, 2008, 112 p., 25 ill n&b, 17 euros, ISBN 978-2-87317-320-3.
 

- Collectif, Revue francophone d’esthétique no 4, Questions sur les arts premiers, édité par l’association francophone d’esthétique (www.r-f-e.net), 140 p., 25 euros, ISSN 1763-1580.
- Collectif, 20/21.siècles, Cahier du Centre Pierre Francastel n°5/6, publié avec le concours de Paris-X Nanterre, 296 p., 19 euros, ISBN 978-2-9521-175-4-8.
- Patrick Beurard-Valdoye, Le Narré des îles Schwitters, éditions Al Dante-Transbordeurs, Saint-Étienne-de-Fursac, 2007, 336 p., 35 euros, ISBN 978-2-84957-108-80.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°274 du 1 février 2008, avec le titre suivant : Manières de faire l’histoire (de l’art)

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