Politique culturelle

Les grands musées au régime

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2008 - 1561 mots

Le climat d’austérité au sein du ministère de la Culture rejaillit de manière plus indirecte que frontale sur les établissements publics.

Le Parc du Château de Versailles© C. Millet

Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP), gel de 6 % des crédits contre 5 % en 2007, épouvantail de la gratuité... Pilotées par la présidence de la République, les annonces du ministère de la Culture se sont abattues comme autant de coups de massue sur les musées nationaux. Quelle incidence les mesures de restriction ont-elles sur le train de vie des établissements publics ? Les cas se suivent et ne se ressemblent pas. Car sous des dehors prétendument égalitaires, le gel indifférencié loge injustement à la même enseigne des structures distinctes. Certains sont encore épargnés. La Rue de Valois ne peut ainsi revenir sur sa subvention d’équipement au Château de Versailles, négociée dans le cadre d’un schéma directeur signé en 2003. « Le train est lancé et peut difficilement être réorienté, souligne Denis Berthomier, administrateur général du domaine. Une réduction drastique de la subvention conduirait à arrêter certains chantiers comme celui du Grand Commun. Si l’idée est de dire “le schéma se termine dans vingt ans”, ça ne sert plus à rien de parler de schéma. » En revanche, au Centre Pompidou, le gel précipite une fragilité budgétaire déjà chronique.

Serrage de boulon
Qui dit sévérité budgétaire, dit économie de bouts de chandelle. Le Musée Guimet, à Paris, prévoit des coupes de 200 000 euros sur son budget, mordant par-ci par-là, notamment sur l’investissement informatique. Même serrage de boulon du côté du Musée du quai Branly, bien que plus confortablement doté. Celui-ci envisage une réduction de 50 000 euros sur les frais d’électricité et de 100 000 euros sur la climatisation. « Le gel de 6 % correspond pour nous dans les faits à un gel de 12 %, car il y a deux points que nous ne pouvons toucher dans le budget, à savoir les dépenses du personnel et les contrats multiservices », explique Pierre Hanotaux, directeur général de l’établissement. Au Centre Pompidou, le manque à gagner lié à la mise en réserve plombe le budget d’investissement, en baisse de 3,2 millions d’euros en 2008. « Toute une série de travaux jugés nécessaires ou urgents vont être reportés, ce qui à terme fragilise les équipements. Et les réparations coûtent plus cher que l’investissement », rappelle Agnès Saal, directrice générale de Beaubourg.
L’offre culturelle n’échappe pas totalement à la rigueur ambiante. Le Musée du quai Branly a réduit son budget pour les spectacles vivants de 100 000 euros, et celui des acquisitions de 500 000 euros. Au Centre Pompidou, le régime d’austérité a conduit au report de l’exposition Calder en 2009. Celle de Sarkis, prévue à la fin de l’année, reste suspendue à un mécénat que l’institution peine encore à trouver. Le climat est tel que la « Figuration narrative » a même failli sauter, alors que la quote-part de Beaubourg pour cette exposition coproduite avec la RMN s’élevait à 350 000 euros. En revanche, pas de changement majeur à Guimet. Par le plus grand des hasards, les expositions en 2008 se révèlent moins coûteuses que celles en 2007, Hokusai étant quasiment monté grâce à la collection du musée.

Ressources propres
Pour pallier la baisse des crédits, certains misent sur l’accroissement des ressources propres. Dans son budget prévisionnel, le Musée du quai Branly les gonfle même de 55 %. Versailles compte sur les redevances des concessions comme le restaurant et la librairie, et le développement de location d’espaces, réservés jusque-là aux mécènes. Beaubourg revalorise certaines tarifications, comme celles de la location d’espace et les droits d’entrée. Mais tout cela reste du domaine de l’expédient. « Pour développer des ressources propres, il faut commencer par investir, ce que le Centre Pompidou ne peut faire si l’État ne nous garantit pas un socle de financement public. Quand on se trouve dans une situation de pénurie financière, on est tiré vers le bas », martèle Alain Seban, président de l’établissement. Pour l’heure, le ministère semble sourd à ses appels du pied. Faute d’une manne publique, et dans l’hypothèse encore incertaine d’apports privés, la batterie de projets annoncés par Seban l’an dernier risque de prendre du plomb dans l’aile... Le Louvre, dont la direction agit en grand monarque, jouit, lui, d’importantes ressources propres à hauteur de 40 %, sans compter la manne à venir d’Abou Dhabi. L’enfant gâté est-il à l’abri de tout ? « La force du Louvre est aussi sa faiblesse, d’être trop tributaire du mécénat, rappelle-t-on à l’antenne CGT Culture du Louvre. On est en train de créer une machine surdimensionnée, avec une suractivité qui ne répond pas à sa mission première. Tant que tout va bien, on gère, mais si dans un contexte économique peu porteur le mécénat venait à manquer ? » Une inquiétude que ne cache pas Patrick Farçat, administrateur général du Musée Guimet : « Si une situation économique maussade persistait, on aurait du mal à avoir une progression de nos ressources propres. Cela ne serait pas sans conséquence. On pourrait, par exemple, décider de faire porter l’effort sur une exposition en délaissant quelque peu les actions pédagogiques. C’est dangereux. Dans les établissements comme les nôtres, l’évolution de la demande est liée à celle de l’offre. »
L’autre exercice d’équilibriste auquel seront bientôt confrontés les établissements est celui de la RGPP. Ses principes et les modalités de mise en œuvre restent éminemment flous. Là encore, chacun espère que cette réforme sera l’occasion de souligner la spécificité de chaque opérateur. Notamment sur la question du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, ou deux sur trois selon la commission de Jacques Attali, décision en vigueur dès 2009 dans les établissements publics. À Versailles, les restrictions de personnel pourraient porter sur les jardiniers et les métiers d’art. Appliquée à la lettre, cette politique implique qu’environ 10 % des jardiniers ne soient pas remplacés d’ici deux à trois ans. Une mesure préjudiciable dans un domaine composé pour les deux tiers de parcs ! « Certains métiers comme celui des fontainiers ne peuvent être sous-traités. Nous sommes là dans une transmission de savoir et d’expériences », précise Denis Berthomier. Au Centre Pompidou, où un quart du personnel œuvre depuis les débuts de l’institution, 70 à 80 agents devront partir à la retraite sur un rythme annuel, entre 2011 et 2012. « Si on n’en remplace qu’un sur deux, ce n’est pas possible de continuer, insiste Agnès Saal. On ne doit pas vivre sur la légende d’une productivité accrue permettant d’absorber sans douleur la réduction des effectifs. Ou alors, il faudrait reconfigurer le périmètre d’intervention des établissements publics. » Ou engager des chariots de vacataires. Perspective qui fait bondir les syndicats, inquiets du développement de deux systèmes, contractuels et fonctionnaires, avec des grilles de rémunération différentes.

Impact du dégraissage
Au final, l’impact du dégraissage comme de la RGPP devrait surtout se mesurer sur les exercices 2009 à 2011. « 2008 va se dérouler à peu près correctement, observe Pierre Hanotaux. Mais il ne faudrait absolument pas qu’il y ait un gel de 6 % chaque année. Trop de diminution de budget finirait par nuire à la qualité de proposition de contenu et d’accueil des publics par les musées français. C’est normal que le service public fasse des efforts, mais on ne peut pas casser l’outil sans penser aux conséquences générales à moyen terme. »

Le train de vie des présidents

Le président du Centre Pompidou, Alain Seban, vivrait-il sur un grand pied pendant que son établissement doit se serrer la ceinture ? C’est ce que suggère un tract CFTC UNSA, diffusé le 11 janvier sur le réseau intranet de l’établissement. Ses auteurs pointaient des travaux de 300 000 euros dans l’appartement de fonction du nouveau président. Ils tiquaient aussi sur « la prise en charge illimitée des frais d’hébergement à l’étranger pour cinq hautes personnalités du Centre, ainsi que pour des personnes extérieures invitées. » Beaubourg a démenti le montant des travaux en avançant le chiffre de 203 000 euros. « L’appartement n’avait pas fait l’objet de travaux depuis 1993 et n’avait pas la dimension d’espace de réception qu’Alain Seban souhaitait lui donner pour accueillir convenablement mécènes et artistes », riposte-on à la direction. L’institution affirme, sans nous donner de chiffre, que les frais de mission et de représentation de la présidence restent identiques à 2007. Quid des autres établissements ? Au Musée Guimet, les frais de bouche-taxis et ceux de missions de Jean-François Jarrige se sont élevés respectivement à 5 121 euros et 6 000 euros en 2007. « Nous n’avons pas un président dépensier, explique Denis Pautrel, directeur administratif et financier du musée. Il n’a pas de voiture de fonction ni de chauffeur. Le musée a deux véhicules de service qui servent plutôt à transporter les œuvres. Les voyages sont en classe économique et le surclassement n’est appliqué que pour les séjours de 48 heures. » Au Musée du quai Branly, les frais généraux de la présidence et de la direction générale se chiffrent à environ 50 000 euros sur l’année. Une somme essentiellement consacrée à plus d’une vingtaine de missions à l’étranger. « Le président n’a pas d’appartement de fonction et l’ensemble de l’établissement a en tout et pour tout deux voitures de fonction, observe Pierre Hanotaux. Si les trajets aériens se faisaient le plus souvent sur Air France dans le passé, maintenant nous prenons systématiquement la compagnie la moins chère. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°274 du 1 février 2008, avec le titre suivant : Les grands musées au régime

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