Inaliénabilité

Questions sur un principe

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2008 - 783 mots

Le rapport remis par Jacques Rigaud à la ministre de la Culture et de la Communication, Christine Albanel, sur l’inaliénabilité des oeuvres d’art dans les collections publiques devrait rassurer les conservateurs et historiens de l’art.

Paris - Le rapport confié par la ministre de la Culture, Christine Albanel, en octobre dernier, à Jacques Rigaud sur la délicate question de l’inaliénabilité des œuvres d’art des collections publiques (lire le JdA n°267, 16 novembre 2007, p. 16 à 19) a été remis le 18 janvier après-midi à la Rue de Valois. Le texte de 75 pages, qui sera rendu public le 6 février, devrait rassurer le milieu, pour le moins inquiet, des conservateurs et historiens de l’art, puisque, comme nous l’a confié l’ancien président de l’Admical, dans un récent entretien, il ne préconise pas la remise en cause du principe fondamental de l’inaliénabilité des œuvres d’art. Et de préciser qu’une telle mesure aurait pour effet immédiat de décourager de potentiels donateurs ou mécènes, et de donner une image déplorable de la France à l’étranger. D’autant plus qu’il existe déjà une possibilité de déclassement dans la Loi musées de 2002, possibilité d’ailleurs jamais utilisée jusqu’à présent.

Une importante partie du rapport s’attache à rappeler les fondements historiques de l’inaliénabilité, depuis 1789 où les œuvres royales ont été confiées à la nation sous la garde de l’État. Il a tenu à mettre en avant l’image de service public du musée. « Pour la plupart des conservateurs que j’ai rencontrés, l’inaliénabilité des œuvres d’art des collections publiques ne se discute pas, elle est érigée comme un dogme. J’ai voulu faire l’inventaire complet des raisons qui justifient ce grand principe », explique Jacques Rigaud. Ses conclusions sont donc bien éloignées du rapport Jouyet-Lévy sur l’économie de l’immatériel (2006), dont Rigaud souligne les inepties, particulièrement en ce qui concerne les musées, et son approche purement commerciale au lieu d’une réflexion d’ordre économique. « J’ai pu travailler dans une totale liberté. Je donne le point de vue de quelqu’un qui a passé 40 ans dans le monde de la culture, qui n’attend plus rien, ni postes, ni décorations », nous a-t-il encore précisé. Il a recueilli les témoignages de plus de quatre-vingts personnalités du monde de l’art, directeur de musées, élus, historiens, professeurs des universités, et aussi acteurs du marché de l’art, qui, selon lui, ne sont pas à l’origine du rapport.

FNAC et FRAC à l’étude
Si l’inaliénabilité des œuvres d’art n’est pas remise en question pour les musées, Jacques Rigaud, bien que prudent sur le sujet, considère tout autrement la situation du FNAC (Fonds national d’art contemporain) et des FRAC (Fonds régionaux d’art contemporain) sur lesquels il convient « de s’interroger » : les 90 000 œuvres du FNAC doivent-elles toutes rester dans les collections publiques ? Quant aux FRAC, les pièces pourraient être déposées dans les musées ou, le cas échéant, et en accord avec les artistes, vendues (lire ci-contre). Dans son rapport, Jacques Rigaud tient aussi à briser certains tabous comme celui des réserves inépuisables. Trop souvent assimilées à des stocks, les réserves constituent des « bibliothèques indispensables à la recherche » (lire ci-dessous). Il exhorte aussi les conservateurs à moins de mystère et de silence autour de leur travail. Il semble, d’ailleurs, que ces derniers n’aient pas attendu le rapport Rigaud pour, enfin, sortir de leur devoir de réserve.

Réunis le 23 janvier lors d’une conférence de presse, les membres de l’Association générale des Conservateurs des Collections publiques de France, le Comité français du Conseil international des musées (ICOM) et la Fédération des écomusées et musées de société ont très clairement pris position contre la « proposition de loi » déposée en octobre dernier par le député de l’Oise, Jean-François Mancel, sur la possibilité de vendre une partie des collections publiques. Ils ont rappelé à cette occasion qu’on ne peut bâtir une politique des musées sur l’aliénation des collections publiques, dénonçant, eux aussi, le mythe de l’encombrement des réserves. Ils s’interrogent, en outre, sur la réforme du ministère de la Culture et se sont déclarés inquiets pour leur profession, selon eux « menacée », puisque, d’ici à 2012, il pourrait manquer 250 postes de conservateurs en France. Ils déplorent un réel et grandissant déséquilibre entre Paris et la province, et souhaitent que l’État respecte ses engagements en faveur des collectivités territoriales avec, notamment, une politique volontariste de dépôts des grandes institutions. Ils en appellent à la création d’assises professionnelles et à la publication d’un livre blanc des musées. Ils souhaiteraient aussi que soit lancé un programme de mise à niveau des conditions de conservations des collections. Autant de requêtes qui, dans la lignée du rapport Rigaud, résonnent comme de grandes évidences, mais sont trop souvent négligées.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°274 du 1 février 2008, avec le titre suivant : Questions sur un principe

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