Les experts s’interrogent face à leur statut

La profession, après la réforme du marché français des ventes publiques, pourrait connaître de nouveaux regroupements

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 8 mars 2002 - 1322 mots

La profession d’expert connaît actuellement de nouveaux soubresauts, alors que, pendant longtemps, les quatre chambres syndicales, les listes d’experts judiciaires et d’assesseurs de la Commission de conciliation et d’expertise douanière, les experts recommandés par l’Assemblée des sociétés d’assurance coexistaient, avec une nébuleuse plus ou moins patentée qui usait allègrement d’un titre non protégé. Si Annette Vinchon-Guyonnet, membre du Conseil des ventes volontaires et présidente aux multiples casquettes, estime que le nouvel agrément mis en place par le Conseil des ventes deviendra incontournable, l’attentisme est de rigueur dans les rangs des experts les plus reconnus. Faute d’une réelle réglementation juridique interdisant le recours à un expert non agréé, le label officiel risque de ne pas modifier la donne. Bien que les regroupements d’experts ne semblent pas à l’ordre du jour, cette issue serait sans doute la plus profitable à une profession en quête de reconnaissance.

PARIS - Le bréviaire des doléances des experts est long : “supplétifs” ou “marchepieds”, ces chevilles ouvrières du marché de l’art souffrent d’un manque de considération. Bien que leur rôle premier soit d’expertiser et d’estimer, ces fonctions se substituent très souvent à celle d’apporteur d’affaires. Les connaissances requises sont devenues pourtant très pointues au fil des années. “C’est un métier qui devient de plus en plus exigeant. On nous demande d’être un spécialiste en bois, en laque, en bronze. Avant, on avait les connaissances du parfait gentilhomme du XVIIe siècle, qui, en plus, avait un œil. On nous demande aujourd’hui d’être des hyperspécialistes”, explique Patrick Leperlier, expert en mobilier chez Christie’s. Une plus grande attention consacrée au travail d’archives et à la recherche documentaire constitue les nouveaux principes de l’expertise. “On essaye de faire un travail avec plus de certitude. Avec la documentation qui est à notre portée, on peut faire une étude quasi chirurgicale”, explique Guillaume Dillée, du cabinet Dillée, à Paris. Michel Vandermeersch, expert marchand depuis trois générations, regrette cette spécialisation à outrance qui donne des ornières à la jeune génération : “L’ancienne génération connaissait son domaine mais savait aussi apprécier des objets ne relevant pas de sa spécialité. La jeune génération est plus spécialisée, plus livresque, moins apte à la diversification.”

Partage des responsabilités
Parallèlement à une compétence accrue, la recherche d’une plus grande transparence est au rang des préoccupations actuelles. “À partir d’aujourd’hui, le mot expert tout seul ne veut plus rien dire”, affirme Annette Vinchon-Guyonnet. Les experts sont principalement affiliés à quatre organismes professionnels : le Syndicat français des experts professionnels (SFEP), regroupant essentiellement des experts officiants en vente publique, la Compagnie nationale des experts (CNE) et la Chambre nationale des experts spécialisés (CNES), toutes deux constituées pour une grande part d’experts marchands, et enfin l’Union française des experts (UFE) qui comprend également des commissaires-priseurs. Près de 15 000 experts sont recensés dont 700 au sein de la Confédération européenne des experts d’art.
Dans le sillage de celle instituée entre 1945 et 1985, la liste des experts agréés par le Conseil des ventes volontaires vient depuis peu s’agréger aux quatre listes existantes. Le statut d’expert agréé permet à celui-ci de bénéficier d’un partage des responsabilités avec l’organisateur de la vente. À l’exception de quelques grands noms, cette liste n’est pour le moment guère représentative des acteurs essentiels du marché. “Il y a de nombreux incompétents qui vont sans doute se targuer de ce titre”, s’inquiète Thierry Portier qui préfère attendre avant de s’engager dans cette procédure. De nombreux experts s’estiment offensés de devoir subir une nouvelle inquisition. “Les experts qui ont peur sont ceux qui ne sont pas sûrs d’eux”, rétorque Anne Vinchon-Guyonnet aux grincheux. Certains s’insurgent contre la cotisation de 0,75 % du montant des honoraires bruts dont les experts agréés devront s’acquitter. “Comme on se base sur les honoraires de vente, ceux qui ne vendent rien ne paieront rien et les plus actifs seront pénalisés”, vitupère l’expert en art d’Extrême-Orient Thierry Portier. Entre un légalisme désabusé version Lynne Thornton (experte en tableaux et sculptures XIXe et début du XXe siècle) – “les Anglais suivent la loi” – et une rigueur toute officielle version Lucien Arcache (expert en art oriental et en art islamique) – “J’ai fait quinze ans de douane et quinze ans de cour d’appel ; mon parcours est un parcours officiel” –, l’enthousiasme n’est pas au rendez-vous, même chez les experts fraîchement agréés.
Le cabinet d’expertise Camard, qui a sollicité un agrément pour constituer une société de vente, dédaigne la liste des experts. “On a décidé de changer les règles du jeu pour que les choses soient plus équitables. Être payé 3 % alors qu’on prend 100 % des risques est injuste. La jurisprudence ne suit pas le partage des responsabilités. Lorsque nous serons convertis en société de vente, nous fonctionnerons sous le régime des spécialistes salariés”, déclare Jean-Marcel Camard. Depuis quelques mois, le cabinet n’émet plus de certificat et produit des attestations précisant simplement que l’objet a figuré dans leur catalogue de ventes.

Querelles entre experts et experts marchands
Alors que la réforme du marché de l’art laissait présager davantage d’initiatives similaires à celles du cabinet Camard, peu d’experts semblent résolus à prendre la voie d’une indépendance totale. “Tous n’ont pas la même envie, la même témérité. Depuis que nous avons annoncé notre désir de fonctionner seul, nous avons perdu beaucoup de nos correspondants. Nous sommes des francs-tireurs, nous avons un système dynastique qui nous permet d’envisager cette révolution. On verra si notre système suscitera l’adhésion. Mais, pour l’instant, ils n’en voient pas l’utilité”, regrette Jean-Marcel Camard. Voilà deux ans, une dizaine d’experts avaient essayé de constituer une force de frappe sous le nom de guerre Art Experts Associés. “Nous voulions faire une maison de vente d’experts. Mais il y avait une question de motivation. Cela a fluctué pendant un an”, déplore Florence Camard. Les querelles intestines entre experts et experts marchands semblent responsables de la faillite du projet. “Si je n’avais pas cinquante-cinq ans, et si j’étais en début de carrière, cela me plairait de réunir des experts pour constituer une maison de vente.  C’est une solution qui pourrait être intelligente, mais au niveau français, c’est impossible”, s’emporte l’expert en tapis Dominique Chevalier. Sans emprunter le chemin d’une maison de vente, Guillaume Dillée et René Millet ont réussi une association de deux pôles d’activité en combinant l’œil exceptionnel de l’un et le carnet d’adresses alléchant de l’autre. “Notre idée, née voilà deux ans, était de monter un regroupement d’experts sortant des sentiers battus, un front jeune et dynamique. Nos deux secteurs d’activité, celui de René Millet avec les tableaux et dessins anciens, et le mien avec les arts décoratifs, sont porteurs. Nous avons fait un regroupement de moyens et de locaux. On a affilié, sans accord formel, un réseau d’experts correspondants. L’avenir est de proposer un vrai service en alliant disponibilité, compétence et dynamisme. Notre fer de lance, ce sont les études de province. Sur notre canevas de compétences, d’autres peuvent se greffer”, lance avec assurance Guillaume Dillée. Quel sera dès lors l’avenir des experts ? Faute d’une mise en commun de leurs compétences, soit ils deviendront experts marchands, soit ils seront absorbés dans une maison de vente avant de s’installer comme... marchands. Si Armelle Baron, présidente de la CNES, estime que les “experts ont raté le coche”, Annette Vinchon-Guyonnet, un sourire sibyllin aux lèvres, semble confiante sur la perspective de nouveaux regroupements.

Pour en savoir plus

- Chambre nationale des experts spécialisés (CNES), 48 rue Duranton, 75015 Paris, tél. 01 45 58 18 00.

- Compagnie nationale des experts spécialisés en livres, antiquités, tableaux, curiosités (CNE), 10 rue Jacob, 75006 Paris, tél. 01 40 51 00 81.

- Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, 19 avenue de l’Opéra, 75001 Paris, tél. 01 53 45 85 45.

- Syndicat français des experts professionnels en œuvres d’art et de collection (SFEP), 1 rue Rossini, 75009 Paris, tél. 01 40 22 91 14.

- Union française des experts (UFE), 25 rue Bergère, 75009, tél. 01 48 01 03 17.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°144 du 8 mars 2002, avec le titre suivant : Les experts s’interrogent face à leur statut

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