Art moderne

Une révolution en peintures

Les années héroïques du Surréalisme

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 22 mars 2002 - 1193 mots

Revenant en quelque 600 œuvres sur les années héroïques (1919-1945) du Surréalisme, “La révolution surréaliste”? fait peu de cas du contexte historique et esthétique de l’époque. Par la force des pièces qu’elle présente, cette “exposition de chef-d’œuvres”? célèbre le versant pictural d’un mouvement à la croisée des chemins, entre art et littérature.

C’est sur les ruines de Giorgio De Chirico et non sur les braises de Dada que débute “La révolution surréaliste”. “C’est là que nous avons tenu nos assises invisibles, plus que partout ailleurs. Là qu’il eut fallu nous chercher – nous et le manque de cœur”, écrit en 1928 André Breton dans Le Surréalisme et la peinture. Comme pour compléter l’acte de naissance, le Rêve transformé et le Chant d’amour du peintre de la métaphysique sont disposés face aux pages des Champs magnétiques de Breton et Philippe Soupault, et Au rendez-vous des amis. Signé en 1922 par Max Ernst, ce portrait de groupe inscrit par une citation obligée (L’Hommage à Delacroix de Fantin-Latour) l’aventure surréaliste dans la grande Histoire. Pourtant, s’il n’est plus adepte de la destruction prônée par Dada, mais bâti sur la transgression, le Surréalisme reste une rupture. D’autant plus forte que celle-ci est double : elle s’établit contre la théorie de l’imitation classique, et, non sans recul, réaffirme le primat de la figuration. “L’œuvre plastique, pour répondre à la nécessité de révision absolue des valeurs réelles sur laquelle aujourd’hui tous les esprits s’accordent, se référera donc à un modèle purement intérieur, ou ne sera pas”, poursuit clairement Breton dans son texte.
Ce sont ces mondes intérieurs qui envahissent les espaces du Centre Pompidou. Circonscrite aux années 1919-1945, l’exposition est sobrement chronologique, émaillée de quelques thématiques issues des définitions rédigées en 1938 dans le Dictionnaire abrégé du Surréalisme. Technique fondatrice, le collage est ainsi au centre des œuvres présentées par Max Ernst en 1921 à la galerie Au Sans Pareil. Rugueuses mais exactes, les collisions ne manquent pas, à l’instar de cette petite image sans titre de 1920, qui, rehaussée de gouache et de crayon, figure une version moderne du mythe du Laocoon. Les frottages des planches de L’Histoire naturelle réalisées quelques années plus tard, sont une autre démonstration des procédés “automatiques” entrepris entre poésie et peinture dans la suite des cadavres exquis et autres collaborations.

La peinture plus que tout
Une place centrale est donnée à Ernst dans l’exposition. Du même, on notera ainsi la peinture murale qu’il réalisa à Eaubonne, foyer de son aventure commune avec Gala et Eluard. L’un des deux panneaux a été exceptionnellement prêté par le Musée de Téhéran. S’il s’explique par la production sans faute d’Ernst (un simple coup d’œil à L’Inquisiteur : à 7h07, justice sera faite (1926) permet de s’en persuader), dans la période concernée, le parti pris est également la marque du commissaire de l’exposition, Werner Spies. Spécialiste de l’artiste, l’ancien directeur du Musée national d’art moderne livre une version “picturale” du Surréalisme ; à l’exception du morceau de bravoure composé par la reconstitution des vitrines de “L’exposition surréaliste d’objets” de 1936 à la galerie Charles Ratton, à Paris. La nébuleuse est en partie débarrassée de ses jeux de salons littéraires seulement évoqués ici par la collection sans faille de Paul Destribats. Éclipsée, la figure centrale de Breton ressort épisodiquement dans quelques manuscrits et dans la reconstitution de son atelier, auparavant dans les collections permanentes du musée. Quant au contexte historique et aux engagements politiques afférents, ils sont simplement évacués. Peut-être que l’exposition consacrée en 1991 par le Centre Pompidou au “pape” du Surréalisme, suivi en 1996 par “Face à l’histoire” a suffi pour passer à une lecture strictement “oculaire” de la chose ?
L’intuition est en partie juste, tant les 600 pièces, œuvres premières de ce qu’il convient de nommer la période “héroïque” du Surréalisme résument plus que tout autre discours les tensions inhérentes à l’entre-deux-guerres. Semblables à des remontées d’inconscient, de véritables visions attendent les visiteurs. Magritte fractionne l’espace de sa toile pour L’Idée fixe de 1928, créant un effet de montage et d’association proche de celui des souvenirs d’un rêve. Loin de son rôle de “bon peintre belge”, le même dévoile une face symboliste étonnamment cruelle et sulfureuse dans la Jeune fille mangeant un oiseau (Le Plaisir) (1927) ou dans La Lectrice soumise (1926). Oniriques, légers et aquatiques, les univers de Mirò (le déliquescent Intérieur hollandais de 1928) ou de Tanguy (Maman, papa est blessé !, 1927) s’assombrissent au voisinage du biomorphisme sadique et de Picasso dans ces années. De passage chez des surréalistes admiratifs, ce dernier livre en 1925 une version carnassière du Baiser, justement rapprochée ici d’Après la pluie (Les Amoureux), un Picabia contemporain au sujet proche. Autour de la Femme égorgée (1932), dépouille aiguë jetée au sol par Giacometti, tout bascule.
Prédite par Ernst dans L’Europe après la pluie (1933) et confirmée par le même dans l’apocalyptique Ange du foyer ou Le Triomphe du Surréalisme, la montée des fascismes et le naufrage de la Seconde Guerre mondiale habitent la dernière décennie. Avec cruauté, c’est dans cette période que l’œuvre de Dalí trouve son apogée. Par son interpellation du spectateur et la surimpression du spectre de Gala derrière la figure du peintre, Impression d’Afrique (1938) rappelle ses collaborations avec Buñuel. Fuite ou passage de relais, nombres de surréalistes s’exilent alors pour les États-Unis. La place que reprendra Duchamp est alors remarquable. Habitué des voyages transatlantiques, il tire les ficelles de First Papers of Surrealism et s’empare de George Washington (Allégorie de genre, 1943). Mouvement citadin, intimement lié à la capitale française, le groupe trouve alors New York. Plus que la métropole, c’est pourtant les productions primitives du Nouveau Monde, comme les poupées Hopi, placées en fin de parcours, qui subjugueront Breton et les siens. En épilogue, The Apples We Know (1943) de Matta et les Masson du début des années 1940 prouvent que la leçon picturale des surréalistes, qui résonnera ensuite dans l’abstraction américaine, n’a pas été perdue pour tout le monde.

Mécaniques du désir

Par sa pratique du collage, de la juxtaposition et, évidemment, du montage, le mouvement surréaliste ne pouvait pas rester hermétique au cinéma. Dans ce domaine, les collaborations de Dalí­ et Buñuel (Un Chien andalou et L’Âge d’or) sont en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt. Dans la nébuleuse surréaliste, de nombreux acteurs s’affolent, tel Antonin Artaud dans Fait divers (1923) de Claude Autant-Lara, ou Picabia, Duchamp et Man Ray qui font la claque dans Entr’acte (1924) de René Clair. Plus tard, c’est aux États-Unis que de tels castings de rêve se renouvelleront. Sous la direction d’Hans Richter, le classique Dreams That Money Can Buy met en scène dans un film “à sketch”? Ernst, Duchamp et Calder. Enfin, des personnalités comme Maya Deren affirmeront un style qui ouvre partiellement l’histoire du cinéma underground américain. Plus loin, la dette de Stan Brakhage au Surréalisme est évidente. En accompagnement de “La révolution surréaliste”?, le Musée national d’art moderne programme en mars et avril un cycle qui permettra de redécouvrir ces “incunables”? et surtout de voir quelques raretés, comme les bobines réalisées par Magritte, exceptionnellement sorties de la Cinémathèque royale de Bruxelles. n Renseignement et horaires : 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr

- LA RÉVOLUTION SURRÉALISTE, jusqu’au 24 juin, Musée national d’art moderne, Centre Georges-Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 paris, tlj sauf mardi, 11h-21h, 11h-23h le jeudi, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, catalogue, édition du Centre Pompidou, 440 p., 56 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°145 du 22 mars 2002, avec le titre suivant : Une révolution en peintures

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