Rachel Kaminsky : Un nouveau départ pour la galerie Colnaghi

Un entretien avec la spécialiste de tableaux de maîtres anciens, Rachel Kaminsky, qui vient de rejoindre Londres

Le Journal des Arts

Le 22 mars 2002 - 1925 mots

La décision de Jean-Luc Baroni de quitter Colnaghi, en emmenant avec lui tout le personnel, aurait pu entraîner la disparition de la grande galerie londonienne. Pourtant, il n’en est rien : le nouveau propriétaire de Colnaghi, le marchand munichois Konrad Bernheimer, vient même d’être rejoint par Rachel Kaminsky qui arrive de New York pour diriger l’entreprise. Expérimentée et dynamique, elle semble prête à insuffler un nouvel esprit à la société et à prendre d’assaut un marché londonien dominé par la gent masculine. Dans un entretien, elle présente les nouvelles orientations de la galerie.

En tant que femme et Américaine, quelles sont vos premières impressions d’un marché londonien, qui est complètement dominé par de grandes et vieilles maisons dont la plupart sont dirigées par des hommes ?
Dans l’ensemble, les gens sont très accueillants – je n’en dirai pas plus ! J’ai travaillé chez Christie’s pendant onze ans – dont les cinq derniers à la tête du département des maîtres anciens. Depuis sept ans, je suis directrice de la galerie Otto Naumann à New York. Le fait est que je connais déjà tout le monde dans le métier, et tout le monde me connaît. Ce serait certainement différent si j’étais une débutante. Mais je crois en effet que je suis une des rares femmes à avoir un poste aussi élevé, à savoir celui de directrice d’une grande galerie londonienne de peintures de maîtres anciens. Cependant, je pense que mon statut de femme américaine me donne un réel avantage. Aux États-Unis, les réussites féminines sont monnaie courante, dans toutes les professions. Peut-être que cela permet aux gens de mieux m’accepter.

Dans le domaine des dessins de maîtres anciens, la plupart des grands marchands sont des femmes.
J’ai souvent réfléchi à ce phénomène et je ne me l’explique toujours pas – je ne parle pas du fait qu’il y ait tant de femmes qui réussissent dans le commerce de dessins de maîtres anciens, mais du fait qu’il y en ait si peu dans celui des peintures de maîtres anciens. À une époque, les dessins étaient moins chers et le domaine intéressait moins qu’aujourd’hui. C’est peut-être une explication.

Pourquoi avez-vous décidé de venir à Londres, alors que tout le monde s’accorde à dire que le marché migre vers New York ?
En tant qu’Américaine, j’ai un point de vue différent et, pour moi, Londres reste la plaque tournante du marché. Même si j’ai pu constater la progression du marché new-yorkais par le volume d’œuvres proposées à la vente et le nombre de collectionneurs de maîtres anciens, je pense que le marché reste européen ; l’Europe est la source la plus riche pour les peintures et Londres est donc directement concerné.

Les collectionneurs font-ils toujours des séjours “shopping” à Londres ?
Absolument. Je suis arrivée chez Colnaghi il y a six jours seulement, et j’ai déjà reçu la visite de quatre collectionneurs américains. Lorsque les collectionneurs sont chez eux, ils n’ont pas le temps, ils ont leur travail, leurs amis, leur famille. Je pense que les collectionneurs aiment se consacrer à l’art lorsqu’ils sont en vacances et qu’ils peuvent se détendre, mais aussi lorsque le mari et la femme sont ensemble. C’est très net à Maastricht. D’un autre côté, deux de mes visiteurs américains étaient ici en voyage d’affaires. Pour ces deux personnes, collectionner des œuvres d’art est une véritable passion et je pense que la visite était une pause dans un emploi du temps très chargé.

Mais depuis cinq ans, on note une tendance toujours plus prononcée qui pousse les marchands londoniens à organiser leurs grandes expositions à New York.
C’est vrai, mais le marché de l’art devient de plus en plus international. Il est tout à fait normal que les marchands londoniens veuillent exposer à New York. Cependant, il y a plus de collectionneurs de maîtres anciens en Europe qu’aux États-Unis et, comme je l’ai déjà dit, je pense que les Américains aiment acheter des œuvres de maîtres anciens à Londres.

Quel est le rôle de Paris ? Quelles seront d’après vous les conséquences pour Londres de l’ouverture du marché parisien ?
Je ne suis pas la personne la plus qualifiée pour parler de Paris. Je n’ai pas le même point de vue, ni les mêmes connaissances que les gens qui vivent et travaillent ici. Cependant, je ne pense pas que le marché international puisse changer du jour au lendemain.

Paris était-il un creuset important pour la peinture ?
Oui, mais je pense qu’il faudrait être sur place tous les jours. Chaque année, quelques grands tableaux font leur apparition à Paris ou en quelques lieux improbables, mais le marché parvient toujours à mettre la main dessus et à les amener à leur véritable valeur. À mon avis, c’est dans le marché de moyenne gamme que l’on peut encore faire de grandes découvertes à Paris, mais il faut être sur place et connaître beaucoup de monde. Peut-être que cela changera lorsque Sotheby’s et Christie’s auront vraiment pris leur rythme de croisière. Aux États-Unis, les petits auctioneers souffrent réellement depuis quelques années. Christie’s et Sotheby’s sont tellement connus qu’il n’est pas facile pour eux de rivaliser. Je ne sais pas si ce sera la même chose à Paris, tout au moins, pas tout de suite. D’un autre côté, d’un point de vue américain, j’ai l’impression que les Européens sont plus fidèles que nous et qu’ils préfèrent parfois travailler plus discrètement.

Jean-Luc Baroni a quitté Colnaghi parce que la société souhaitait réduire ses frais généraux et qu’il ne voulait pas être jeté avec l’eau du bain ; depuis quelques années, la tendance des marchands londoniens est de compresser le personnel et de travailler à partir de galeries qui n’ont pas pignon sur rue. Y a-t-il réellement un avenir pour une grande galerie comme la vôtre, avec des frais généraux considérables ? Que comptez-vous faire pour qu’elle soit rentable ?
Il y a un avenir. L’approche est différente, c’est tout. Soit les galeries s’agrandissent, soit elles rétrécissent. Elles sont en expansion ou en réduction. Katrin Bellinger nous a rejoints et elle aura la charge des dessins de maîtres anciens chez Colnaghi. Cependant, elle gardera son autonomie de marchand indépendant et nos documents indiqueront “Katrin Bellinger pour Colnaghi”. L’idée est qu’elle monte plusieurs expositions chaque année, et qu’elle puisse régulièrement présenter des dessins chez nous. Katrin dispose d’un fonds important et d’excellente qualité, et Konrad et moi-même ne pouvons pas espérer construire un stock comparable. Sur ces bases, nous aimerions réunir une équipe solide regroupant des spécialistes de domaines différents. La plupart des grandes galeries brassent un large éventail de pièces. La galerie pourra ainsi rester un lieu vivant et dynamique, et chacun pourra aussi profiter des passerelles qui existent entre les différents domaines.
Et comment pensez-vous construire votre stock ?
En ce moment, les tableaux intéressants sont plus faciles à vendre qu’à trouver. Konrad a un stock important à Munich ; pour les tableaux, je collabore avec Otto Naumann et nous avons le stock de Colnaghi. Plusieurs confrères nous ont contactés pour nous proposer de créer une sorte de joint-venture. De même, des collectionneurs nous ont approchés pour nous proposer de travailler ensemble. Lorsque l’on se lance dans quelque chose de nouveau, que l’on a des perspectives de réussite et que l’on montre que l’on est prêt à travailler dur, alors on attire des gens.

Prévoyez-vous de vous lancer dans les impressionnistes et l’art moderne ?
Tout est possible. À court terme, cependant, nous nous concentrerons sur les maîtres anciens. Ma spécialité est la peinture flamande  et les débuts de la peinture hollandaise, mais nous continuerons à proposer de la peinture italienne et française, comme c’est la tradition chez Colnaghi. La grande priorité de Konrad concerne la peinture des pays du Nord, mais si vous regardez sa galerie et son stand à Maastricht, vous constaterez qu’il a aussi des peintures italiennes et françaises des XVIIIe et XIXe siècles. Ses goûts sont assez variés.

Visez-vous le sommet du marché ?
Je pense que l’on vise toujours le sommet. Cependant, il faut aussi pouvoir proposer toute une gamme de prix.

Continuerez-vous à travailler avec d’autres marchands ?
Certainement. Il existe une vraie camaraderie entre de nombreux marchands, même s’ils restent des concurrents, et c’est un aspect important de notre commerce qui profite aussi bien aux marchands qu’aux collectionneurs, du moins, c’est mon avis. Konrad et Johnny van Haeften sont des confrères et des amis très proches, et cette relation perdurera. Nous continuerons aussi à travailler étroitement avec Otto. En fait, mon bureau de New York sera installé dans les locaux de Otto Naumann Ltd. Nous restons des confrères et des amis proches.

Y aura-t-il un représentant permanent de Colnaghi à New York ?
Je suis son représentant à New York, et je prévois de passer environs trois semaines par mois à Londres et une semaine à New York. En dix-huit mois, j’ai construit à New York un important réseau de clients et de contacts et je ne veux pas perdre ces gens de vue. Pendant de nombreuses années, Colnaghi a été très présent à New York, et nous espérons, à terme, nous réinstaller là-bas. Mais pour l’instant, notre priorité est la galerie de Londres.

Participerez-vous toujours à des foires – et en particulier à Tefaf Maastricht ?
Absolument. Ce qui se passe à Maastricht est tout simplement remarquable. Penser que l’on peut trouver au même moment tant de peintures de qualité est ahurissant. La première fois que je suis allée à Maastricht, je travaillais pour Christie’s et je n’avais jamais rien vu d’aussi fascinant ; nous devions y participer, d’une manière ou d’une autre. Bien évidemment, ce n’était pas possible à l’époque, mais c’est merveilleux de pouvoir y participer aujourd’hui. Nous exposerons également à Grosvenor House, à la Biennale des antiquaires de Paris, à l’International Fine Art Fair de New York et à la nouvelle Biennale de Munich en 2003.

Que pouvez-vous nous dire du Rembrandt, le Portrait de Minerve, qu’Otto Naumann présente à Maastricht ? En ce moment, nous frisons la surdose de Rembrandt. Pensez-vous que le prix de 40 millions de dollars est justifié ?
À tous ceux qui s’interrogent sur le prix, je réponds : “attendez de voir la peinture avant de juger”. Depuis les années 1960, Minerve n’a été montrée qu’une seule fois en Occident, à l’occasion d’une exposition intitulée “Dieux et héros grecs à l’époque de Rubens et de Rembrandt”, présentée à Athènes et à Dordrecht. La peinture était alors très sale. Le nettoyage l’a transformée et dans le contexte de l’œuvre de Rembrandt, c’est réellement un chef-d’œuvre. J’adore le portrait de Rothschild que Robert Noortman a acheté – j’aimerais bien l’avoir chez moi – mais le Rembrandt d’Otto sera probablement la dernière grande peinture d’histoire à faire son apparition sur le marché. Il figure une Minerve grandeur nature vêtue d’un costume exotique et complètement dans le style de Rembrandt. Si l’on prend en compte le fait que le portrait de Rothschild est parti à 19,8 millions de livres lors d’une vente, 40 millions de dollars pour Minerve ne paraissent pas exagérés. Otto a fait l’acquisition de Minerve en collaboration avec Alfred Bader, qui voue une passion à Rembrandt.

Quelle est votre situation actuellement ? Le départ de l’ensemble du personnel signifie-t-il qu’il n’y a plus d’infrastructure pour faire tourner la galerie ?
Pour l’instant, je travaille avec mon ordinateur portable et je n’ai toujours pas compris comment fonctionne le réseau téléphonique. Nous avons trois employés, mais nous serons bientôt plus nombreux. C’est vraiment agréable de repartir sur de bonnes bases. Nous pouvons marquer Colnaghi du sceau de notre identité. Rien, ou presque, ne pourra nous arrêter.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°145 du 22 mars 2002, avec le titre suivant : Rachel Kaminsky : Un nouveau départ pour la galerie Colnaghi

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