Le grand échiquier

Villeurbanne plonge dans la jungle d’Öyvind Fahlström

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 22 mars 2002 - 672 mots

Personnalité centrale
des années 1970, Öyvind Fahlström (1928-1976) reste encore l’auteur d’une œuvre peu connue en France. Malgré sa taille modeste, l’exposition de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne donne un aperçu juste
d’un travail complexe où s’entremêlent l’héritage européen des avant-gardes,
la contre-culture américaine et une analyse politique clairvoyante et précoce de
la mondialisation.

VILLEURBANNE - Sans doute parce qu’il est inclassable et nomade, Öyvind Fahlström est, vingt-cinq ans après sa disparition, encore trop peu connu en France. Suédois, né en 1928 au Brésil, élevé en Europe, ayant résidé en France, en Italie, à New York, il a tracé un parcours à la mesure d’une œuvre qui conjugue écrits, peintures, sculptures, installations, performances ou films. Parfois trop rapidement assimilé au Pop’ Art (son penchant pour la bande-dessiné, le fameux double logo Esso-Lsd de 1967), il s’est paradoxalement nourri d’une sève surréaliste parisienne et a pratiqué une poésie sonore dans la descendance de Schwitters et d’Artaud. Si tout cela paraît très européen, l’admiration de Fahlström pour Burroughs, et son goût prononcé pour l’underground, fleure bon la contre-culture américaine et les sensations narcotiques des sixties. Quoique révélées par des documents, ses pistes sont seulement amorcées dans l’exposition que lui consacre aujourd’hui l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne. Reprise partielle de l’importante rétrospective organisée par le Musée d’art contemporain de Barcelone (Macba), la manifestation a choisi de se concentrer avec raison sur la dimension “géographique” du travail de Fahlström.

Information reformatée
Parangon du genre, Garden – A World Model (1973) est une forêt vierge miniature. Domestiquée dans de simples pots en terre, elle restitue dans ses feuillages les flux migratoires et économiques mondiaux par le biais de dessins minutieux où s’alignent schémas et observations. La logique qui émerge de la petite plantation sied à l’ensemble de l’œuvre de Fahlström : faire du monde sa demeure, et vice-versa. Les passages entre micro et macro ne sont pas là de simples correspondances, ils se nouent dans un brassage de l’information. Sans cesse reconstruite et reformulée, elle est compilée et restituée dans un débordement graphique qui a peu à voir avec la rigueur fermée du graphique et du camembert.
Chaque source, chiffre ou incidence, correspond à une forme au sein des grandes peintures variables réalisées dans les années 1970. Adoptant une technique voisine du papier découpé “matissien”, Fahlström dispose sur de larges silhouettes aux contours organiques d’autres plus petites, amovibles et aimantés. Pions ou formes, les magnets peuvent évoluer au rythme de la composition ou des faits. Le caractère ludique se précise dans la série des World Trade Monopoly (1971),  reprise cynique du célèbre jeu à l’échelle de la planète, ou dans Kidnapping Kissinger (1972). Sur une représentation des États-Unis, où se multiplient les étapes, le spectateur est invité à rejouer un faux complot contre le futur ministre des Affaires étrangères. En 1971, la mascarade avait mené à l’arrestation de pacifistes américains. À maintes reprises, Fahlström ne craint pas de verser dans la satire politique. En amont, la carte en tissu d’Africa (1966) est une vision nouée et meurtrie du continent noir. Sur l’échiquier de l’artiste, le tiers-monde est toujours au centre et paye les équilibres de la guerre froide (The Cold War, 1965, dont la composition évoque celle d’un match de football).
Omniprésent, l’engagement ne peut toutefois s’entendre ici sans la réussite plastique d’une œuvre ancrée dans les fondements de l’abstraction. Long rouleau réalisé entre 1952 et 1955, Opera construit des ponts entre peinture et musique. Quant aux dernières compositions de 1975, elles ne sont pas sans rappeler la manière tardive de Kandinsky. Sous le titre de Night Music, la série accrochée à la fin de l’exposition emprunte au jazz son swing. Dans leurs méandres, des dessins et écrits minutieux, faits divers ou reprises de textes poétiques, tracent les contours d’une planète déjà affolée par la mondialisation.

- ÖYVIND FAHLSTRÖM, jusqu’au 26 mai 2002, Institut d’art contemporain, 11 rue Docteur-Dolard, Villeurbanne, tél. 04 78 03 47 00, tlj sauf mardi 13h-18h, jusqu’à 20h le mercredi, catalogue (anglais), éd. Macba/Actar, 45 euros et cahier Mémoire d’expo, éd. IAC, 8 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°145 du 22 mars 2002, avec le titre suivant : Le grand échiquier

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