Janaína Tschäpe

Icône gothique

Tschäpe conte ses histoires à Reims

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 22 mars 2002 - 497 mots

À l’occasion de sa première exposition en France, la Brésilienne Janaína Tschäpe fait escale au Frac Champagne-Ardenne, à Reims. Référencés, ses travaux photographiques et vidéo empruntent au cinéma, au Symbolisme et montrent, non sans circonvolutions, un travail où la fiction prend corps dans le réel.

REIMS - Avec cruauté, Janaína Tschäpe semble se plaire à observer ce que signifie l’expression “se sentir pousser des ailes”. Plus que d’une délivrance ou d’un nouvel horizon, c’est d’une mutation douloureuse et physique dont il est question dans la série d’œuvres que la Brésilienne, née en Allemagne en 1973, présente à Reims. Au rez-de-chaussée, un premier ensemble est regroupé sous l’intitulé La Salle d’attente. Une lettre à un médecin accompagne d’ailleurs les images qui sont présentées au visiteur. Sur les murs, la jeune femme se montre comme une mutante, mi-ange, mi-démon au balcon d’un immeuble à l’architecture aliénante ou dans les ogives de la cathédrale voisine de Reims. Parfois agaçantes, ces métamorphoses maniérées s’exercent de manière plus légère dans les vidéos attenantes. D’abord, dans Nightmare, Reims qui surprend par la précarité de ses moyens. Grimée, Janaína Tschäpe erre dans la cathédrale, comme un spectre, parfois en glissant sur le sol. Recourant au Super 8 et au montage numérique, la bande prend des allures expressionnistes. Le Nosferatu de Murnau apparaît également comme une référence centrale dans la triple projection, présentée à proximité. De mur en mur, les images mêlent paysages et gros plans de visages, grain vidéo à la texture estampillée Blair Witch Project et rêves d’anges dont la luminosité “film de vacances” sème le trouble sur les raccords à opérer de soi-même. Très fin de siècle, l’ensemble résonne des rêveries symbolistes du XIXe siècle et trouve un écho chez ses contemporains, eux aussi adeptes des oripeaux gothiques, que sont Olaf Breuning, ou, dans une moindre mesure, Matthew Barney.
Moins embrumée, la deuxième section de l’exposition efface une partie de ces malentendus. “Avant, l’anxiété était celle de partir loin, aujourd’hui, c’est le choix de la destination qui nous obsède”, explique l’artiste dans un entretien avec François Quintin, directeur du Frac et commissaire de l’exposition. Ce qui ressemblerait de prime abord à des mises en scènes précieuses s’apparente plutôt à des scénarios, des bouts d’essais qui avancent un pas dans la fiction, un pas dans le réel. Sous le titre des 100 petites mortes, l’artiste livre ainsi un mur d’images qui répètent sans cesse le motif de la jeune femme, couchée au sol, comme morte. La série est le fruit d’un travail entamé il y a dix ans et constamment poursuivi depuis. D’abord objet, à la manière des otages d’Erwin Wurm dans les One-Minute Sculptures, le corps signifie aussi la fin d’une histoire. Peut-être est-ce cela que Tschäpe cherche dans ses métamorphoses et poses cinématographiques : une seule vie et plusieurs morts.

- JANAINA TSCHÄPE, jusqu’au 14 avril, Le Collège/Fonds régional d’art contemporain Champagne-Ardenne, 1 place Museux, 51100 Reims, tél. 03 26 05 78 32, tlj sauf lundi, 12h-18h, mercredi et vendredi 14h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°145 du 22 mars 2002, avec le titre suivant : Icône gothique

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