Art moderne

Berthe Morisot, l’ange de l’inachevé

L’artiste est à l’honneur au Palais des beaux-arts de Lille où sont présentées quelque cent cinquante œuvres

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 22 mars 2002 - 681 mots

Figure féminine de l’Impressionnisme, réputée pour ses scènes familiales et son style “inachevé”?, Berthe Morisot a laissé derrière elle une œuvre résolument moderne. Le Palais des beaux-arts de Lille évoque les différentes étapes de sa carrière, à travers quelque 150 peintures, aquarelles, gravures, et la majorité des portraits qu’Édouard Manet, son ami et beau-frère, fit d’elle.

LILLE - “Il n’y a dans tout le groupe révolutionnaire qu’un impressionniste, c’est Berthe Morisot... Sa peinture a toute la franchise de l’improvisation, c’est vraiment là l’impression éprouvée par un œil sincère et loyalement rendue par une main qui ne triche pas”, écrivait Paul Mantz, lors de la troisième exposition du groupe, en 1877. L’artiste,à l’honneur au Palais des beaux-arts de Lille, a détruit la plupart des toiles du début de sa carrière. Ne subsistent que quelques rares témoignages, tel Vieux Chemin à Auvers (1863), révélant son intérêt pour la peinture de plein air et l’étude de paysage auxquelles Corot l’initie à partir des années 1860.
La rencontre avec Édouard Manet, au Louvre, en 1868, est évoquée par les portraits qu’il fit d’elle, quasiment tous réunis au musée : du Balcon, fustigé au Salon à cause des personnages féminins “désagréables de figures et mal fagotées”, au Portrait de Berthe Morisot à l’éventail, déposée à Lille par le Musée d’Orsay, depuis bientôt deux ans. Celui-ci a été réalisé en 1874, l’année de son mariage
avec Eugène Manet, le frère d’Édouard, mais aussi de la première exposition impressionniste. Berthe Morisot choisit d’y montrer Le Berceau (1872), une chaleureuse représentation de l’amour maternel – un de ses sujets de prédilection –, ainsi que La Lecture, dont la composition rappelle les partis pris des impressionnistes : le modèle, sa sœur en train de lire, assise dans l’herbe, est peinte au premier plan sans aucun recul, les touches sont juxtaposées sans se fondre les unes aux autres, les tons vivement opposés, les fleurs traitées comme des touches de lumière. “C’est la doctrine de Manet que vous retrouverez dans l’œuvre de Madame Berthe Morisot, écrit Raoul Sertat en 1896. La lumière fut le but et comme la raison d’être des peintures ; elle vouait son meilleur effort à redire l’impalpable décor de l’atmosphère, à conter le jeu exquis des figures et des choses dans la poudre changeante du soleil.”
Malgré un réel équilibre entre la composition et les tons, l’aspect inachevé des travaux de l’artiste est systématiquement souligné par les critiques de l’époque. Pour Henri Desmond, en 1880, “Mme Morisot est l’ange de l’inachevé ; son dessin n’est qu’une ébauche, dans une débauche de l’infini. Joris-Karl Huysmans reproche aux toiles d’être “laissées à l’état d’esquisses”, tandis que Fénéon souligne, “malgré une allure d’improvisation, des valeurs d’une justesse rigoureuse”. La Jeune fille au miroir (1880) est caractéristique de ces contrastes qui animent l’œuvre de Morisot : une audace stylistique – fruit d’une grande rapidité d’exécution –, associée à une manière discrète de traiter le sujet – un subtil camaïeu de blancs.

Vivre sa peinture
À Bougival, où elle passe ses étés de 1881 à 1884, l’artiste se consacre à des études de fleurs et des portraits de sa fille, telle Julie avec Pasie dans le jardin Robin (1881), un tableau novateur et audacieux, dans lequel les deux personnages sont traités avec vigueur, les hautes herbes et les fleurs de manière quasi abstraite. D’autres toiles comme Le Lever (1885-1886), la Jeune fille au lévrier ou Julie Manet et Laërte (1893), dans lesquelles tous les éléments du décor ne sont montrés que partiellement, et La Petite Servante (1886), révèlent une composition originale, des scènes intimistes prises sur le vif à la manière d’un objectif photographique. Mallarmé le soulignait avec justesse : “La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie."

- BERTHE MORISOT (1841-1895), jusqu’au 9 juin, Palais des beaux-arts de Lille, 18 bis rue de Valmy, 59000 Lille, tél. 03 20 06 78 18, tlj sauf mardi, 13h-19h et jusqu’à 21h le mercredi, 11h-19h le week-end. Catalogue, RMN, 487 p., 38 euros. L’exposition sera ensuite présentée à la Fondation Pierre-Gianadda, à Martigny, en Suisse (20 juin-19 novembre).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°145 du 22 mars 2002, avec le titre suivant : Berthe Morisot, l’ange de l’inachevé

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