Jean-Jacques Aillagon, un président en campagne

Président du Centre Georges-Pompidou depuis 1996, Jean-Jacques Aillagon vient d’être reconduit dans ses fonctions

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 22 mars 2002 - 2059 mots

Depuis 1996, Jean-Jacques Aillagon est président du Centre Georges Pompidou, une fonction dans laquelle il vient d’être reconduit pour les cinq années à venir. Dans cet entretien, il s’exprime sur le fonctionnement actuel du Centre et ses perspectives de développement. À l’approche des élections présidentielles, ce proche de Jacques Chirac se voit également prêter des ambitions ministérielles. Une possibilité qu’il ne réfute pas.

Une grande partie de votre mandat s’est exercée pendant le réaménagement du Centre. Quels sont les grands axes de la programmation à venir ?
Les travaux ont duré vingt-sept mois et je suis aujourd’hui président du Centre Georges Pompidou depuis soixante-douze mois ! Depuis le 1er janvier 2000, le Centre fonctionne en régime normal. La programmation des deux années passées illustre nos orientations futures. Je dis “nous”, car celle-ci est un exercice collégial, auquel participe le directeur du Musée national d’art moderne, le directeur du Développement culturel, le directeur de l’Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (Ircam) et le directeur de la Bibliothèque publique d’information (BPI). Dans l’orientation prise depuis la réouverture, il y a d’abord la réaffirmation de nos grandes missions. Concernant le Musée, notre projet a consisté à mieux faire savoir au public, que, si le Centre est un lieu de programmation, il est aussi le site d’un des plus grands musées du XXe siècle. La chose était mal perçue avant la fermeture. La fréquentation en témoigne ; nous sommes passés de 700 000 visiteurs par an pour le musée avant les travaux, à 1,7 million en 2000 et je pense que nous atteindrons les 2 millions en 2002. Les quatre composantes du Centre ont toutes un rôle important. Le développement culturel vient d’achever un cycle Brian de Palma, l’Ircam associe régulièrement l’Ensemble intercontemporain à notre activité, et la BPI organise actuellement le festival “Cinéma du réel”.

Vous vous êtes, à maintes reprises, plaint de la précarité budgétaire du Centre. Dans quelles proportions l’État doit-il augmenter sa dotation ?
L’État a été très généreux avec le Centre. Sur dix ans, les différentes campagnes de travaux ont eu un coût avoisinant 150 millions d’euros. Dans le même temps, notre subvention s’est accrue, mais moins vite que les charges de l’établissement, d’où une dépendance de plus en plus grande à l’égard de nos recettes propres (billetterie, mécénat, concessions, cessions de produits...). S’il est sain qu’un établissement soit en partie tributaire de ses recettes, cette part ne saurait être excessive. Au final, cela risque de nuire à la capacité de l’institution à remplir ses missions de service public. Nous recevons actuellement 65,6 millions d’euros. Si l’État était en mesure d’augmenter cette somme de 3 millions, ce qui reste raisonnable, nous serions dans une plus grande aisance dans la mise en œuvre de nos missions.

Vous souhaitez “redynamiser” le Centre. Quelles activités nouvelles voulez-vous développer pour ce faire ?
S’agissant de la programmation ouverte au public, je ne vois aucune institution d’un niveau équivalent à la nôtre où se déroulent autant d’expositions, de projections, de spectacles ou de débats. Mais une grande institution doit aussi mener des activités moins visibles mais tout aussi nécessaires. Je souhaiterais donc donner à la politique documentaire, scientifique, éditoriale et éducative une priorité nouvelle, en liaison avec l’Université. À l’instar du Getty, une grande institution culturelle doit avoir une fonction de documentation et de recherche importante. Avec sa réouverture au printemps prochain, le centre de documentation du Musée en sera une des bases.

La création d’un nouveau “site” en Île-de-France fait-elle partie de cette volonté ? Quel en serait la nature exacte, et son articulation par rapport au Palais de Tokyo ?
Pour dynamiser la politique du Centre, il faut aussi penser à sa stratégie immobilière et géographique. À l’instar de musées comme le MoMA, qui s’est associé avec P.S. 1, il faut envisager que, demain, le Centre dispose d’un prolongement pour déployer sa collection contemporaine. Le bâtiment de Piano et Rogers, longtemps perçu comme peu adapté à la présentation de l’art historique et conçu pour l’art contemporain, se révèle aujourd’hui avoir les qualités inverses. Désormais, beaucoup d’œuvres exigent des espaces amples et moins assujettis à des normes de sécurité contraignantes. Notre collection contemporaine s’est amplement développée dans le domaine des arts plastiques, de l’architecture et du design et nous aurons de plus en plus de mal à bien la présenter. Sans sombrer dans une folie française qui consiste à créer sans cesse de nouvelles institutions, il faut doter le Centre d’un lieu d’action contemporain dans la région parisienne. Parallèlement au Palais de Tokyo, expérience utile au renouveau de la vie culturelle française, ce lieu permettra d’exposer  nos collections, et de développer une activité culturelle autour de celle-ci. J’espère que cette création interviendra dans les cinq ans. Le Centre est aujourd’hui à un carrefour : ou il a des perspectives de développement et il s’impose au niveau international, ou il est menacé de régression.

Justement, l’ouverture d’antennes du Centre Pompidou en région et à l’étranger est un sujet récurrent. Où en sont ces projets ?
Lille a été le premier projet et il n’a pas eu de suite. Je pense qu’il y a eu un malentendu sur la part de responsabilité de chacun dans le montage financier. Notre cahier des charges suppose que la responsabilité en incombe à la collectivité locale. Si nous avons la capacité d’apporter nos collections, notre savoir-faire, notre métier, nous ne disposons d’aucune capacité à financer l’investissement et le fonctionnement d’une telle antenne. Je regrette que la Mairie de Lille n’ait pas donné suite, le projet rebondira peut-être un jour. Depuis, nous avons été approchés par d’autres collectivités. Nous travaillons actuellement avec Metz, Nancy, nous avons également eu des contacts avec Montpellier, et d’autres collectivités territoriales dont la région Basse-Normandie. Évidemment, le moment venu, la décision nécessitera que l’État s’engage et nous soutienne dans notre démarche. Ces perspectives sont nécessaires pour qu’un établissement comme le nôtre devienne un véritable agent de la décentralisation culturelle et de l’aménagement du territoire. Une institution nationale ne doit pas s’adresser qu’à Paris. Pour l’étranger, nous ne pourrons pas mener plusieurs projets à la fois. Il ne faudrait pas s’engager dans une démarche identique à celle du Guggenheim, qui consisterait à franchiser sans être en mesure d’alimenter culturellement des sites trop nombreux. Pour l’heure, nous avons eu des contacts avec diverses villes. J’ai bon espoir que d’ici cinq ou six ans on puisse aboutir à l’ouverture d’une antenne à l’étranger.

Vous pensez cette expansion à l’étranger comme une alternative au modèle du Guggenheim. Pouvez-vous précisez cette idée ?
J’ai souvent dit que le Guggenheim était un exemple et non un modèle. Il nous invite à réfléchir à la nécessité d’un développement. Pour une grande institution, l’animation de son seul bâtiment ne peut pas être une ambition suffisante. Cela dit, tout dans la logique du Guggenheim nous est étranger. La fondation a une politique commerciale très agressive. Elle vend son nom, loue ses collections, cherche une rentabilisation de son stock, et de sa collection. Son directeur, Thomas Krens, a même envisagé une introduction en Bourse. Notre caractère d’institution publique nous éloigne évidemment de ces préoccupations. L’ouverture d’une antenne en région ou à l’étranger se ferait dans le cadre du service public, dans une optique de diffusion, et dans le souci d’une relation équilibrée avec les partenaires culturels locaux. La présentation d’une partie des collections en région ne pourrait être assujettie au versement d’un loyer, ces collections appartiennent à la nation. Dans le cas d’une antenne européenne, il faut penser en termes d’intérêt culturel commun. C’est de l’échange, peut-être de l’influence pour la scène française, mais aucun gain au sens commercial du terme.

Dans le même temps, depuis sa réouverture, la politique du Centre est parfois critiquée pour son mercantilisme (expositions “blockbusters”, multiplication des concessions privées...).
Ce sont des fantasmes qui relèvent d’une observation superficielle des choses. D’une part, ce que vous appelez les expositions “blockbusters” comme “La révolution surréaliste” sont l’expression la plus nécessaire de nos missions de service public, en l’occurrence la mise à disposition du public des clés de lecture du XXe siècle. C’est un peu notre “répertoire” pour reprendre une expression du théâtre ou de l’opéra. Que le public s’y intéresse en masse, on ne peut tout de même pas lui en faire le reproche ! Ces expositions sont balancées dans la programmation par des sujets moins évidemment voués au succès. D’autre part, qu’en sera-t-il du succès de “Roland Barthes”, de “Sonic Process”, de “Cher Peintre” ou même de “Max Beckmann” immense artiste terriblement peu connu du public français et auquel nous ferons nous-même concurrence en présentant de manière concomitante en coproduction avec la Réunion des Musées nationaux, “Matisse-Picasso” au Grand Palais ? Une programmation, c’est un équilibre entre le “facile” et le “difficile”, le “consacré” et “l’exploratoire”.
Pour ce qui est des concessions privées, j’observe tout d’abord qu’à part une boutique design, toutes les activités concédées existaient déjà avant mon arrivée au Centre. Les concessions ont été remises à plat, renégociées de façon à rapporter plus d’argent au Centre. Les concessionnaires ont consenti des investissements importants pour financer leurs installations, plus de 5 millions d’euros pour la seule société Costes qui a financé la réalisation des projets de Jakob et McFarlane au niveau 6, de Jean-François Bodin à la BPI et de Renzo Piano dans le Forum. Leurs activités rendent des services au public. Quand ce service est insuffisant, c’est à nous qu’il appartient de rappeler le concessionnaire à l’ordre. Ces activités relèvent aussi de métiers et de savoir-faire qu’il n’appartient pas à un établissement culturel d’exercer directement.
Quant au mécénat, j’y suis attaché dans le respect d’une stricte déontologie. Ce n’est pas la perspective d’un mécénat qui doit déterminer la programmation. Le mécène ne doit pas intervenir dans la conception de la programmation. J’observe que les mécènes qui ont fait au Centre l’honneur de l’accompagner dans ses projets comprennent spontanément cette règle. J’appelle de mes vœux un développement du mécénat.

Président du Centre, vous êtes aussi un personnage public et politique. En cette période électorale, la culture est absente des débats. Comment jugez-vous ce désintérêt ?
Je suis moins pessimiste que vous. Les candidats à l’élection présidentielle se sont, en général, déjà exprimés au sujet de la culture. Jacques Chirac l’a fait à l’ouverture de la session de l’Assemblée générale de l’Unesco en octobre, récemment devant le Haut Conseil de la Francophonie, ou encore en prenant position sur les déclarations de Jean-Marie Messier sur l’exception culturelle. Je crois savoir qu’il devrait prochainement présenter son projet culturel pour la France et que Lionel Jospin le fera également. Des comités de soutien culturel se manifestent en faveur de tel ou tel candidat. Si on est attentif aux réalités de la campagne, on s’aperçoit donc que la culture est loin d’être absente. Pour ma part, j’estime que c’est nécessaire. La vie culturelle est un élément essentiel de la personnalité de notre pays, un facteur de son épanouissement, de sa cohésion et de son rayonnement.

Votre engagement, à droite, au sein du Rassemblement pour la République (RPR), est connu. Des ambitions ministérielles vous sont prêtées. Qu’en est-il exactement ?
Mon engagement politique relève de ma liberté et de ma responsabilité de citoyen. Il est connu de tous. Mes fonctions de président d’un établissement public lui imposent cependant les limites de ce qu’on appelle le “devoir de réserve”. Ce devoir de réserve concerne ma relation avec le gouvernement et plus particulièrement le ministre de la Culture que je me dois de ne pas critiquer publiquement et à l’égard desquels je suis tenu de me comporter loyalement. Il concerne aussi mon attitude à l’égard des collaborateurs du Centre à qui je ne peux pas imposer l’expression de mes choix et dont je me dois de respecter la diversité des opinions. L’exercice est complexe mais je suis attaché à son respect scrupuleux.
Plutôt que mes “ambitions ministérielles”, je préfère être attentif aux projets que d’autres peuvent concevoir à ce sujet pour moi. Les ambitions qu’on porte seul sont sottes et vaines. S’il m’était donné d’être appelé au ministère de la Culture, je crois savoir ce que je voudrais y faire et avec quelles équipes. Plus de vingt ans de service de la culture m’ont donné de la vie culturelle une expérience riche et diverse. Ils m’ont aussi beaucoup donné à réfléchir. J’aimerais, c’est vrai, mettre tout cela au service de la création et de mes concitoyens.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°145 du 22 mars 2002, avec le titre suivant : Jean-Jacques Aillagon, un président en campagne

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