Sous les auspices d’« Ubuntu »

L’art sud-africain dévoilé au Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 5 avril 2002 - 702 mots

Pour évoquer l’art de la « nouvelle » Afrique du Sud, le Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie (MAAO), à Paris, a réuni des armes, des parures perlées, mais aussi des cuillers, des appuis-tête, des cannes, des poupées et des récipients des XIXe et XXee siècles, qui, outre leur fonction utilitaire, servent de support à la création plastique. Un sujet passionnant mais desservit par une mise en scène qui est loin d’être à la hauteur.

PARIS - En zoulou, le mot “Ubuntu” renvoie à l’humanité, au partage et au respect, des notions qui ont longtemps fait défaut au régime de l’apartheid. C’est sous les auspices de ce terme poétique, que le Musée des arts d’Afrique et d’Océanie consacre aujourd’hui une exposition aux cultures d’Afrique du Sud. Accueillant le visiteur, une des célèbres têtes en terre cuite provenant du site de Lydenburg (VIe siècle) et le rhinocéros en or de Mapungubwe (XIIe-XIIIe siècles) témoignent de l’installation dès le Ve siècle de communautés dans le nord du pays, de la présence, au Moyen Âge, de royaumes sur les rives du Limpopo, et rappellent de manière générale l’existence d’un passé strictement africain. “Outre la pertinence politique du projet qui pouvait répondre à des questions d’actualité, il correspondait à un intérêt croissant de la part des amateurs d’art africains, explique Jean-Hubert Martin dans le catalogue. L’art tribal sud-africain a longtemps été relégué dans un monde mineur, car on ne lui connaissait ni masque ni ‘fétiche’.” À de rares exceptions près, les peuples d’Afrique du Sud n’ont en effet jamais produit de masques ni de statuettes figuratives. De plus, comme il s’agit d’un art fonctionnel, les objets ont longtemps été associés à l’ethnographie et écartés des musées.

Afficher une image de soi
Ce n’est qu’après la fin de l’apartheid, en 1990, que le regard du public a changé : les qualités artistiques des appuis-tête, cannes, pipes, cuillers et autres outils du quotidien ont enfin été reconnues. Malgré un sujet pertinent, la scénographie du musée de la Porte dorée reste classique : les pièces se succèdent derrière de simples vitrines, sur fond de cimaises bleu layette, suivant un parcours thématique basique – la mémoire, les conflits, autorité et pouvoir, le sacré dans le quotidien –, beaucoup moins ludique et créatif que celui qu’avait imaginé le Parc de La Villette pour révéler l’art du Mali, associant les objets d’art à des présentations originales, des vidéos, des photographies ou des installations (lire le JdA n° 141, 25 janvier 2002).

Recouverts de perles, décorés de fils métalliques, gravés, incisés, sculptés ou patinés, ces objets personnels, en même temps qu’ils expriment le savoir-faire des artisans, nous renseignent sur l’identité de ceux qui les utilisaient. Dans la partie orientale du Cap, par exemple, la longueur de la pipe était fonction du sexe et du statut social de la personne. À l’instar de la cuiller Zoulou, avec son menton pointu imitant l’attitude respectueuse que les femmes doivent à leur belle-famille, certains objets apparemment abstraits révèlent en réalité de subtiles représentations. Sculptés dans le bois, zoomorphes ou géométriques, les appuis-tête avaient pour rôle de relier l’individu au groupe social, comme l’indique l’utilisation de matières précieuses pour les décorer. Bon nombre de parures – tabliers de fesses ou de grossesse, jupes, châles, ceintures, colliers, disques d’oreilles et bracelets de chevilles  –, réunies dans la dernière salle et portées par des mannequins de feutre, affichent, elles aussi, le statut social et la culture d’origine de celui ou celle qui les portent. Cette dernière partie réservée aux modes vestimentaires révèle un art quasi folklorique que les cartels du musée expliquent par le système de l’apartheid : les différences ethniques ont longtemps été utilisées pour justifier le refus de la citoyenneté sud-africaine à la majorité des Noirs, qui “n’eurent souvent d’autres choix que de renforcer, voire recréer des traditions ayant pour but d’afficher une image immédiatement perceptible d’elles-mêmes”. Avec “Ubuntu”, le MAAO signe sa dernière grande exposition, avant que ses collections artistiques n’aillent rejoindre le Musée du quai Branly.

- UBUNTU – ARTS ET CULTURE D’AFRIQUE DU SUD, jusqu’au 17 juin, Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie, 293 avenue Daumesnil, 75012 Paris, tél. 01 43 46 51 61, tlj sauf mardi, 10h-17h30, catalogue, RMN, 372 p., 45 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°146 du 5 avril 2002, avec le titre suivant : Sous les auspices d’« Ubuntu »

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque