Ces obscurs objets du design

PS : signé IKEA

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 5 avril 2002 - 809 mots

Le fabricant de meubles suédois sort ce mois-ci, en France, sa troisième collection de mobilier baptisée \"IKEA PS\".

La légende maison veut que le Suédois Ingvar Kamprad se soit inscrit au registre du commerce à l’âge de dix-sept ans, en 1943, pour créer une société de VPC d’objets de décoration. Dix ans plus tard, il ouvre à Älmhult, au nord-est de Malmö, sa première salle d’exposition de meubles sous la marque IKEA, acronyme aux allures d’extrait de naissance1. Mais ce n’est qu’en 1955 que la firme commence à dessiner ses propres produits. L’année où, à Helsingborg, à quelques encablures à l’ouest d’Älmhult, l’exposition “H55” organisée par la Svenska Slöjdföreningen – Association pour l’artisanat suédois – célèbre les vingt-cinq ans du fonctionnalisme. Plusieurs aménagements grandeur nature y montrent déjà des appartements entièrement équipés d’un ameublement standard et à bas prix. Ingvar Kamprad qui vise, justement, la grande diffusion, propose alors des meubles en kit, à monter soi-même, et qui, la plupart du temps, sont livrés dans des paquets plats, ce qui permet de limiter les coûts de transport et de stockage. Il vient d’inventer ce qu’il appelle le “design démocratique”, qui répond à trois critères : une belle forme, une fonction pratique et surtout... un prix accessible. Le succès est immédiat. Bientôt, de grands noms du design, tels le Finlandais Tapio Wirkkala (le vase Kanttarelli et la suspension Viisi) ou l’Italien Vico Magistretti (la lampe Telegano) viendront signer chez le fabricant suédois. Comble de la réussite, IKEA peut se targuer aujourd’hui d’afficher, dans ses catalogues, les patronymes de ses produits dans leur langue maternelle : Rättvik, Gästabud, Mörkedal, Leksvik, Vitskär, Eksjö, Strömstad, Domsjö, Krokshult, Tryggve... Criblés de trémas ou de consonnes, ceux-ci se révèlent à eux-seuls, du moins aux yeux des clients, comme des signes incontestables de “scandinavité”.

À soixante-quinze ans passés, le richissime Ingvar Kamprad est aujourd’hui propriétaire d’une entreprise devenue leader mondial de la distribution de meubles : 140 magasins dans 22 pays, pour un chiffre d’affaires de 9,2 milliards d’euros en 2000. En marge de son catalogue “classique”, IKEA édite, depuis 1995, une petite collection de mobilier, baptisée “PS” pour post-scriptum. Thème choisi pour la collection 2002, qui vient tout juste de sortir en France : des meubles qui puissent servir aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la maison. Dix-huit designers ont ainsi créé une quarantaine de meubles. S’en détachent certaines pièces faites main en Asie, tels le fauteuil à bascule Gullholmen de Maria Vinka, en feuilles de bananier, ou la mini-chaise longue Sävö, en rotin, de Monika Mulder. Pour cette nouvelle collection “PS”, troisième du genre, IKEA n’a pas hésité à envoyer ces designers œuvrer dans les usines du monde entier : “En créant des produits directement sur le terrain, on écourte considérablement le cycle de production, ce qui permet au final d’éditer des produits moins chers, donc accessibles au plus grand nombre, sans pour autant renoncer à la qualité, à la fonctionnalité et à l’esthétique.”

Ainsi, le Suisse Nicolas Cortolezzis a mis le cap sur l’Indonésie, pour mettre au point Gisslö, un sac de rangement géant (69 x 42 x 37 cm), tressé avec des feuilles de pandanus, un arbre dont les feuilles peuvent atteindre quatre mètres de long. Le Suédois Thomas Sandell et l’Anglais James Irvine, qui, tous deux, usaient pour la première fois du rotin, se sont rendus en Chine. “La possibilité de voir le processus de fabrication de mes propres yeux était vraiment importante. Voir le premier prototype et faire les modifications sur place, directement avec les fabricants, c’est vraiment la meilleure façon de travailler”, assure James Irvine, qui a dessiné la chaise longue Hjältön, sa première commande pour IKEA (“Je voulais créer une chaise dans laquelle on s’enfonce en faisant ‘Ahhhh’ avant de siroter son gin-tonic !”). Même son de cloche chez son confrère Thomas Sandell, auteur du fauteuil bicolore Tärö : “Il faut toujours faire des ajustements ici ou là, mais les faire chez le fabricant a nettement accéléré le processus.” En outre, cela permet, le cas échéant, de rectifier le tir : “Lorsque le fauteuil a été prêt, raconte le designer, je me suis rendu compte qu’un repose-pieds serait le bienvenu. Je l’ai dessiné et le lendemain, je l’avais sous les yeux.” Bref, comme le suggère le dicton : on est jamais aussi bien servi que par soi-même. Ce qui, pour IKEA, est valable autant sous les verts sapins d’Älmhult qu’à l’ombre des rotangs – palmiers – du Sud-Est asiatique.

1. I pour Ingvar, K pour Kamprad, E pour sa ferme natale d’Elmtaryd, rattachée à la paroisse de A comme Agunnaryd, sise à une dizaine de kilomètres d’Älmhult.

- Fauteuil à bascule Gullholmen : 76 € ; mini-chaise longue Sävö : 65 € ; sac de rangement Gisslö : 29 € ; chaise longue Hjältön : 76 € ; fauteuil Tärö : 125 €. Tél. 0825 379 379.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°146 du 5 avril 2002, avec le titre suivant : PS : signé IKEA

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