Art moderne

Vincent au pays des Soleils-Levants

L’authenticité du tableau de Van Gogh conservé à Tokyo semble confirmée

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 5 avril 2002 - 739 mots

L’authenticité des Tournesols de Van Gogh vendus à un musée tokyoïte en 1987 fait depuis des années l’objet de controverses (lire le JdA n° 65, 28 août 1998). À l’occasion d’une récente étude révélant la nature de la toile, les conservateurs du Musée Van Gogh d’Amsterdam ont défendu la paternité de l’œuvre.

LONDRES (de notre correspondant) - Vendu au prix record de 25 millions de livres (40,7 millions d’euros actuels) en 1987, le tableau Les Tournesols de Van Gogh conservé au Musée Yasuda Kasai de Tokyo a longuement fait l’objet de débats sur son authenticité. De fait, les critiques le soupçonnent d’être de la main du peintre Émile Schuffenecker. À la lumière d’une étude menée par le Musée Van Gogh d’Amsterdam, sous la direction des conservateurs Luis van Tilborg et Ella Hendriks, la paternité de l’œuvre ne ferait plus de doute. “Van Gogh a bataillé avec ce tableau et, ironie du sort, ce sont les conséquences de cette lutte qui ont incité ses détracteurs à considérer l’œuvre comme un faux”, estiment les conservateurs. Un article publié en mars dans le journal annuel du musée révèle que les Tournesols présentent plusieurs facteurs confirmant la provenance de l’œuvre. Même si l’on pensait auparavant qu’aucun document contemporain du tableau ne venait étayer son existence, les Tournesols cités dans une liste élaborée par Jo Bonger-Van Gogh le 8 octobre 1901 correspondent bien à ceux du Musée Yasuda. Les Tournesols ont été peints sur une toile de jute, matériau rarement utilisé, toutefois employé par Van Gogh et Gauguin lorsqu’ils travaillaient dans la Maison jaune. Des analyses ont montré que le tableau a été légèrement agrandi par un rajout apporté par Schuffenecker en 1901. Il aurait été “illogique” qu’il contrefasse la partie principale de l’œuvre et qu’il y apporte, ensuite, un rajout dans un style sensiblement différent. Réalisés en août 1888, les Tournesols conservés à la National Gallery de Londres ont servi de modèle pour la version “Yasuda” et celle du Musée Van Gogh datant de février 1889. “Tandis que le sujet de la version de Tokyo a certainement été copié sur le tableau de Londres, pour ce qui concerne les couleurs dominantes et la schématisation, la nature morte présente davantage de similitudes avec le tableau d’Amsterdam. Cette observation annule, une bonne fois pour toute, la théorie du faux : Schuffenencker n’a pu utiliser, comme modèle, qu’une seule des deux versions” [puisqu’en 1901, il n’avait à sa disposition que le tableau de Londres]. Deux détails botaniques qui avaient inquiété les détracteurs de l’œuvre sont aujourd’hui explicables : la tige cassée de l’une des fleurs est une “stylisation délibérée” tandis qu’une feuille, peinte grossièrement, est le résultat d’une copie peu soignée de l’original. Plutôt que d’y voir une simple répétition du tableau de Londres, Van Gogh considérait l’œuvre “Yasuda” comme un exercice pictural consistant à peindre “lumière sur lumière” – c’est-à-dire les tournesols sur un fond jaune. Les spécialistes du Musée Van Gogh reconnaissent qu’ils ont récemment étudié les Tournesols “Yasuda” à Chicago et à Amsterdam, sous verre, et qu’ils n’ont malheureusement pas pu effectuer un examen détaillé de sa couche préparatoire. Cependant, une simple observation visuelle laissait voir que la couche préparatoire pouvait être constituée de sulfate de baryum, utilisée par Van Gogh à partir de novembre 1888 ou d’apprêt blanc à l’huile dont il s’est servi le mois suivant. Cette réponse pourrait permettre de dater le moment exact de son exécution.

Malgré ces éléments, Benoît Landais a soutenu lors d’un séminaire à Amsterdam que les Tournesols “Yasuda” sont faux. Selon lui, l’emploi de la toile de jute est un stratagème dont l’idée ne peut venir que d’un “copiste qui savait que Vincent avait travaillé avec ce type de support” tel Schuffenecker : en décembre 1888, il mentionnait dans une lettre les défauts de la “grosse toile” de Van Gogh. Toujours selon Benoît Landais, tout semble indiquer que Schuffenecker était un faussaire. Ce dernier aurait réalisé environ deux douzaines de “deuxièmes versions” et “adaptations” d’œuvres de Van Gogh – dont deux sont actuellement présentées dans le cadre de l’exposition “Van Gogh et Gauguin” à Amsterdam, jusqu’au 2 juin : Madame Roulin avec son enfant (Philadelphia Museum of Art) et L’Arlésienne aux livres (Metropolitan Museum of Art, New York). Un autre détracteur, Antonio de Robertis, a même suggéré que les Tournesols “Yasuda” auraient été peints par Gauguin. Malgré ces hypothèses, le sentiment dominant lors du séminaire penchait en faveur de l’authenticité des Tournesols du musée tokyoïte.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°146 du 5 avril 2002, avec le titre suivant : Vincent au pays des Soleils-Levants

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