La vérité est ailleurs

Les expériences d’Olafur Eliasson au Musée d’art moderne de la Ville de Paris

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 19 avril 2002 - 596 mots

Danois d’origine islandaise, Olafur Eliasson s’est fait remarqué depuis le milieu des années 1990 pour ses installations et interventions
in situ. Mêlant nature et technologies, il a réalisé des œuvres propres à troubler la perception. Spectaculaire,
son exposition au Musée d’art moderne de la Ville de Paris laisse malheureusement sceptique quant au bonheur
du mariage entre art
et science.

PARIS - En disposant une coulée de lave (Lavafloor, 2002) dans le hall du Musée d’art moderne, Olafur Eliasson signifie sa volonté d’expérimenter, d’explorer de nouvelles surfaces, et de déstabiliser le visiteur. Par ce déplacement aussi spectaculaire que simple, l’auteur interroge les capacités de connaissance de chacun, dans une situation où faits et paysages subissent sans cesse le filtre des médias. La question n’est pourtant pas posée violemment. Dans le cadre épuré de l’institution, tout cela reste de l’ordre du simple couper/coller. Sur le plancher, et malgré les pas qui crissent sur la roche, la matière déversée semble aussi irréelle que celle habituellement arpentée par Haroun Tazieff sur nos téléviseurs, ou plus virtuellement, comparable aux textures volcaniques disponibles au pixel carré par le biais d’un logiciel d’infographie. Paradoxalement, le titre donné par Olafur Eliasson à son exposition semble signifier cette impasse : “Chaque matin je me sens différent, chaque soir je me sens le même.” Comment faire pour que tout semble plus réel ? Interrogé dans le catalogue d’exposition sur une action qui a consisté à teindre une rivière en vert, l’artiste note qu’à la suite de son intervention, celle-ci est devenue “hyperréelle”. Ce sentiment est palpable lorsque l’on pénètre dans Yellow Corridor (1997). Irradié de lumière jaune, l’espace engendre une acuité visuelle nouvelle. De même, 360° Room for all colours (2002) anéantit tout repère visuel au profit d’un environnement chromatique infini et vertigineux. L’hommage rendu quelques salles plus loin à Hans Richter par le biais de la projection de Rhythmus 21 (1921-24), un des premiers films abstraits de l’histoire du cinéma, prouve l’intérêt d’Eliasson pour la recherche optique et ses implications sensorielles.

Mais passé ces trois pièces, impossible d’ouvrir en grand la fenêtre de la représentation. Le spectateur est invariablement de l’autre côté. Par un tour de passe-passe optique, Camera Obscura (2000) projette de manière naturelle la tour Eiffel sur une table, remettant ainsi en action des savoirs déjà anciens (David Hockney vient d’ailleurs de publier un très bon ouvrage sur le sujet). Dans le même sens, REMAGINE (2002) fait lourdement référence à l’invention de la perspective albertienne en projetant sur les cimaises une suite de découpes géométriques qui dessine des effets de perspective. Plus “technoïde”, Die Dinge die du nicht siehst, die du nicht siehst (Windhose) (2001) produit un mini-typhon de fumée. Plus que d’expériences au sens phénoménologique du terme, les œuvres s’approchent des démonstrations habituellement formulées au Palais de la découverte. Par son enthousiasme et son émerveillement, Eliasson fait les frais des noces difficiles entre art et sciences. Sans même remonter aux constructions entropiques de Robert Smithson et Gordon Matta-Clark, il est ainsi impossible ici de déceler l’ironie sournoisement distillée par Carsten Höller dans ses utopies scientifiques. Eliasson apparaît à son établi, rempli d’une foi indéfectible en l’avenir. C’est d’ailleurs dans son atelier, rempli d’un Lego moléculaire, que l’artiste convie chacun à s’asseoir entouré de quelques-unes de ses maquettes.

- OLAFUR ELIASSON, CHAQUE MATIN JE ME SENS DIFFÉRENT, CHAQUE SOIR JE ME SENS LE MÊME, jusqu’au 12 mai, ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tlj sauf mardi 10h-17h30 ; samedi et dimanche, 10h-18h45, tél. 01 53 67 40 00. Catalogue, Paris Musées, 260 p., 41 euros.

Atelier nomade Le choix d’une exposition consacrée à Ivan Kozaric pour accompagner la monographie à grand spectacle d’Olafur Eliasson peut surprendre. L’artiste croate, né en 1921, membre dans les années 1960 du collectif Gorgona, déploie dans la partie ouest du musée un atelier où modestie rime avec occupation de l’espace. Dans une salle savamment ponctuée se mêlent des œuvres des années 1954, 1991 et 1997. Les influences avouées de Maillol et de Pevsner se télescopent avec des constructions précaires de kraft et de carton. Prenant les traits d’un work in progress, l’ensemble repose la question de l’histoire de l’art moderne et des possibles ouvertures de la création contemporaine “occidentale�? à des territoires qui lui sont longtemps restés inconnus.

- IVAN KOZARIC, Arc/Musée d’art moderne de la Ville de Paris, jusqu’au 12 mai, catalogue, 7 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°147 du 19 avril 2002, avec le titre suivant : La vérité est ailleurs

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