Ces obscurs objets du design

Vu à Milan

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 3 mai 2002 - 842 mots

Le Salon du meuble de Milan 2002 s’est déroulé, du 10 au 15 avril, sous des trombes d’eau. Seul vrai « rayon de soleil » : le jaune éponyme
de la peinture, baptisée Weer,
que Li Edelkoort a concocté
à l’occasion de la saison 2002-2003 pour la firme hollandaise Moooi, fondée l’an passé par Marcel Wanders. Contraction heureuse car, en néerlandais, Moooi Weer signifie « beau temps ».

La manifestation la plus médiatisée du Salon du meuble de Milan fut à n’en point douter “GrandHotelSalone”, une recherche sur la chambre d’hôtel (cinq étoiles) de demain commandée à “dix architectes illustres”, dont Arata Isozaki, Zaha Hadid, Jean Nouvel ou Toyo Ito. Reste qu’à Milan, le grand jeu consiste à décrypter les tendances futures. Après le lounging, voici ce que l’on pourrait appeler le sprawling – de to sprawl on : se vautrer –, tant les assises s’élargissent et se font de plus en plus basses. À preuve : le Boa, des frères Campana (Edra), “sofa” composé de cinq énormes spaghetti entremêlés. Comme à l’accoutumée, Philippe Starck a offert ses derniers borborygmes esthétiques, tels Zbork (fauteuil) et Ploof (canapé), chez Kartell, cousins germains des pièces dessinées pour Driade et Cassina. Grand absent de cette édition, Ingo Maurer : il a préféré montrer la LighTable de deux étudiants berlinois, Fabien Dumas et Julian Appelius : une table truffée de LED jaunes et rouges dont le plateau de verre illumine aussitôt la base des objets que l’on pose dessus.
Une tendance plutôt curieuse a fait son apparition : le remix de styles ancien et contemporain. C’est le cas pour les tables Dorian de Dominique Mathieu (Zanotta) et Roi-Soleil de William Sawaya (Sawaya & Moroni), ainsi que pour la chaise Louis Ghost de Starck (Kartell), resucée, version Louis XV, de sa précédente La Marie. Côté matériaux, le Technogel, vedette il y a peu encore, fait place, déjà, à de nouvelles substances, tel ce “plastique souple” de la chaise Eva de Marc Sadler (Kartell). D’autres jouent plus simplement la superposition de matières, tels Ronan et Erwan Bouroullec, avec le fauteuil Samouraï (Cappellini), ou les frères Campana avec Sushi (Edra), un pouf fait de chutes de textiles enroulées tel le met nippon.

Le travail des surfaces est de plus en plus sophistiqué. Alors que Gaetano Pesce ne se lasse toujours pas de la résine (Zerodisegno), Denis Santachiara, pour sa table Mr. Kelvin, n’a pas hésité à refroidir le plateau, en acier, avec du dioxyde de carbone pour de lui donner des effets moirés. Et Keisuke Fujiwara a plongé sa Chair 09 en titane dans l’eau pour obtenir, par électrolyse, une incroyable couleur irisée.

La forte concentration de designers permet aussi d’observer leurs approches, parfois radicalement différentes. Ainsi, celle, toute en retenue, du Français Pierre Charpin et celle plus “rentre-dedans” du Canadien Karim Rashid. Le premier, qui aime à se fondre dans la foule, a eu droit à une belle exposition à la Design Gallery, a réalisé des meubles pour Montina et Zanotta, dont Girotondo, une armoire basse, et a livré le mobilier de la boutique Dior Homme, qui vient d’ouvrir au n° 14 de la Via Montenapoleone. Le second, au contraire, ne se déplace qu’en costume blanc immaculé avec, à la main, son ordinateur portable gorgé de projets.

M. “I-Want-To-Change-The-World” (*) a, cette année, réussi son forcing, présent chez Edra, Zerodisegno, Magis, Frighetto, Serralunga, etc. Une femme, enfin, tire joliment son épingle du jeu : c’est l’Italienne Patricia Urquiola, avec notamment les poufs Fat-Fat (B&B), ainsi que l’agréable fauteuil Fjord (Moroso), inspiré de l’œuvre de Arne Jacobsen.

À Milan, l’autre capitale de la couture, s’est poursuivi le flirt entre mode et design : Paul Smith a dessiné la collection Mondo (Cappellini), Marcel Wanders un étrange sac à main, Murano Bag (Mandarina Duck), dans un matériau thermosensible qui se gonfle à la chaleur, et on attend, pour 2003 chez Magis, un vêtement unisexe créé par Jean-Marie Massaud. Le rayon “accessoires” n’est pas en reste : 17 designers, dont Ilkka Suppanen, Martí Guixé et Frank Tjepkema, ont livré une étonnante collection de bijoux, baptisée “Sense of Wonder”.

Dans le plus grand salon du meuble du monde, on frôle parfois l’overdose. Pas étonnant donc si plane l’idée du “trop-plein” d’objets. Parfois, heureusement, sourd la poésie, comme chez Hidden, avec le travail de Paul Cocksedge, étudiant au Royal College of Art, à Londres, qui sculpte des formes insolites à partir de gobelets en polystyrène déformés à la chaleur, ou chez Driade, où Tokujin Yoshioka a montré Honey Pop, ses fragiles prototypes en papier nid-d’abeilles, beaucoup plus magiques, finalement, que les meubles finis, blocs inertes de polyéthylène. La tête farcie de design sans doute faudra-t-il alors la détendre quelques instants dans un nuage – Cloud de Monica Förster, du collectif suédois Snowcrash –, un espace gonflable type caisson de décompression... Solution extrême peut-être, mais résolument salvatrice.

(*) Titre de l’ouvrage qu’il a publié chez Universe/Rizzoli.

- Le Victoria & Albert Museum, à Londres, propose, jusqu’au 9 juin, un best of du Salon du meuble de Milan 2002 : « Milan in a Van ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°148 du 3 mai 2002, avec le titre suivant : Vu à Milan

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