La Culture sur les chantiers de la gloire

Les principaux grands projets qui attendent le nouveau ministre, Jean-Jacques Aillagon

Le Journal des Arts

Le 17 mai 2002 - 1902 mots

Le nouveau locataire de la Rue de Valois, Jean-Jacques Aillagon, hérite
d’une kyrielle de projets d’équipements culturels qu’il lui appartiendra peut-être de mener à leur terme. Sans l’avoir affiché de manière aussi volontaire que François Mitterrand, Jacques Chirac a, pendant son premier mandat, choisi lui aussi se multiplier les « grands travaux », encore une fois situés principalement à Paris en dépit des sempiternelles incantations en faveur de la décentralisation culturelle. Un tour d’horizon, projet par projet, permet de mieux mesurer l’ampleur des chantiers en cours.

PARIS - Combler les défaillances de la France en matière d’institutions dans les domaines de l’histoire de l’art, des arts premiers, de l’architecture ou du cinéma, telle a été la grande idée qui a présidé à la naissance des équipements culturels en cours de réalisation. Pour atteindre ce but, les autorités publiques ont écarté le choix de créations ex nihilo pour leur préférer la mise en synergie d’entités déjà existantes. En effet, l’Institut national de l’histoire de l’art (Inha), le Musée du quai Branly, la Cité de l’architecture et du patrimoine ou le “51 rue de Bercy”, dévolu au cinéma, ont en commun de rassembler plusieurs institutions préexistantes pour les fondre en un même lieu, si ce n’est sous une même bannière. En outre, la rénovation du Grand Palais et la transformation du Musée national des arts et traditions populaires (MNATP) en Musée des civilisations d’Europe et de la Méditerranée, et son déménagement à Marseille, n’échappent pas complètement à cette logique. Seule, la création d’un Centre des archives nationales répond à une nécessité dictée par l’engorgement des réserves de l’hôtel de Soubise. Tout ou partie de la maîtrise d’ouvrage de ces différents projets – à l’exception du Musée du quai Branly – a été confiée à l’Établissement public de maîtrise d’ouvrage des travaux culturels (Émoc), né en 1998 de la fusion de l’Établissement public du Grand Louvre et de la mission interministérielle des Grands Travaux de l’État. Une continuité qui ne manque pas de sel...

L’installation de l’Inha – trente ans après qu’André Chastel en a eu l’idée –, dans les locaux laissés vacants par le déménagement partiel de la Bibliothèque nationale sur le site Tolbiac, est entrée dans une phase d’irréversibilité en juillet 2001, avec la création d’un établissement public. Scindé en deux départements – Bibliothèques (rue de Richelieu) et Études et recherche (rue Vivienne) –, l’Inha prévoit le regroupement de quatre bibliothèques dont trois devraient être intégrées, c’est-à-dire dont les fonds seront mélangés. Il s’agit du fonds Doucet (756 000 documents), de la Bibliothèque centrale des musées nationaux (252 000 documents), de la bibliothèque de l’École nationale supérieure des beaux-arts (54 000 documents) et de la bibliothèque de l’École des chartes (150 000 documents). Cette dernière sera simplement associée car “la pertinence intellectuelle de la fusion ne s’imposait pas puisque cet ensemble n’est pas un fonds d’histoire de l’art, même si la complémentarité est très grande”, explique Martine Poulain, responsable du département des Bibliothèques. Rue Vivienne, l’Inha disposera d’environ 11 000 m2 sur cinq niveaux, afin d’offrir à une communauté d’historiens d’art rattachés à une quarantaine de partenaires (universités de Paris-I, Paris-IV, EHESS, Hautes études, associations, revues d’art...) un amphithéâtre de 199 places ainsi que des bureaux et des salles de séminaire. Le budget d’investissement de l’Inha s’élève à 55 millions d’euros, financé à parité entre les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale, auquel s’ajoute une dotation en investissement supplémentaire de 19 millions d’euros apportée par le ministère de la Culture pour le redéploiement des départements spécialisés de la Bibliothèque nationale de France (BNF) demeurés rue de Richelieu (Estampes, Monnaies et médailles, Cartes...). Le budget total Inha-BNF dans le quadrilatère Vivienne-Richelieu atteint donc 74 millions d’euros. Les travaux ont commencé rue Vivienne à la mi-avril et la mise à disposition au public est prévue à l’automne 2003. En revanche, la salle Labrouste, qui proposera aux chercheurs 400 000 ouvrages en libre accès, ne devrait rouvrir qu’en 2006.

De l’American Center au “51 rue de Bercy”
Lancé en 1995, sous une forme embryonnaire, le Musée du quai Branly est aujourd’hui en phase de réalisation : la livraison du bâtiment de 36 000 m2 est prévue pour l’été 2004 et l’ouverture au public au début 2005. Après maintes péripéties, le chantier des collections – récolement, restauration, numérisation... – est en cours à l’hôtel Berlier. Entre 250 000 et 300 000 pièces sont issues du laboratoire d’ethnologie du Musée de l’Homme et 30 000 autres proviennent du Musée des arts d’Afrique et d’Océanie (MAAO). Plus de la moitié des membres du laboratoire d’ethnologie, soit une demi-douzaine de personnes, ont finalement demandé à être mis à disposition du Musée du quai Branly, à temps partiel, pour travailler au chantier des collections et à la muséographie. “Jusqu’au début 2004, nous continuerons parallèlement à acquérir des pièces sur notre dotation globale de 23 millions d’euros, dont nous avons déjà dépensé les deux tiers, pour l’achat de 2 000 œuvres au total”, précise le président de l’Établissement public administratif du musée, Stéphane Martin. Le montant total de l’opération – 200 millions d’euros – est réparti à parité entre Culture et Éducation nationale.

Prenant la suite du projet avorté de Centre national du patrimoine en 1997, la création de la Cité de l’architecture et du patrimoine dans l’aile nord du Palais de Chaillot aura un coût d’ensemble de 54 millions d’euros. Outre le Musée des monuments français transformé en Musée de l’architecture, elle réunira l’Institut français d’architecture (Ifa), le Centre des hautes études de Chaillot, ainsi qu’une nouvelle bibliothèque sur l’architecture et l’urbanisme. Les moulages restaurés des monuments français seront présentés au rez-de-chaussée dans une muséographie renouvelée, les collections du XIXe siècle à nos jours s’installeront à l’étage. Elles seront constituées à partir des archives et des maquettes du fonds de l’Ifa, complétées par de nouvelles maquettes et des prêts d’œuvres en provenance d’autres collections. “Nous travaillons activement à la création d’éléments d’architecture à l’échelle 1, ce qui nous renvoie à la vocation d’origine du site, telle que la reconstitution d’un appartement de Le Corbusier”, confie Marie-Hélène Contal, directrice adjointe de l’Ifa, “et un statut tout à fait contemporain sera donné à l’image de grande dimension afin de rendre l’architecture plus lisible pour le public”. Le démarrage du chantier est programmé pour novembre 2002 et son achèvement pour 2004. Les espaces d’exposition temporaire prendront place dans l’ancien Musée du cinéma Henri Langlois, tandis que la salle historique de la Cinémathèque française sera intégrée au projet pour devenir un auditorium, dès que le “51 rue de Bercy” sera achevé. Installée dans l’ancien American Center, cette dernière institution regroupera sur 14 400 m2 les quatre nouvelles salles de projection de la Cinémathèque française, le Musée du cinéma Henri-Langlois, la Bibliothèque du film (Bifi), le Service des archives du film et du dépôt légal du Centre national de la cinématographie (CNC), une médiathèque, des espaces d’exposition temporaire… Les travaux ont commencé en octobre 2001 et s’achèveront à la fin 2003 pour un coût total de 28 millions d’euros, sans compter la somme acquittée pour l’achat du bâtiment conçu par Franck O. Gehry, soit 23,5 millions d’euros.

Fermée depuis novembre 1993, la nef du Grand Palais (21 000 m2) est enfin en travaux depuis le mois de janvier 2002. La consolidation des fondations et des charpentes de la nef sera suivie de la restauration de tous les éléments sculptés extérieurs – dont les quadriges, qui ont été déposés au mois d’octobre 2001 –, de la façade et des toitures. Catherine Tasca vient de définir in extremis plusieurs grandes orientations qui visent à régler le statut foncier de l’édifice – propriété de l’État construit sur un terrain appartenant à la Ville –, à créer un groupement d’intérêt public gestionnaire de l’ensemble des institutions qui occupent les lieux, à lancer en 2003 un appel d’offres européen pour choisir un opérateur privé ou public – voire une société d’économie mixte – chargé de l’exploitation de la nef et de ses annexes libérées par le déménagements des anciens “locataires” (université, restaurant universitaire, Drac...). La nef sera rendue à sa vocation première, à savoir l’accueil de manifestations temporaires, mais sans doute pas avant 2007. Enfin, les Galeries nationales et le Palais de la découverte seront réaménagés par leurs autorités de tutelle afin de créer un “pôle culturel et scientifique”. Jusqu’au commissariat de police du VIIIe arrondissement qui sera lui aussi rénové ! Ces différentes orientations feront nécessairement enfler le budget de 125 millions d’euros alloué aux deux premières phases de travaux dont l’achèvement est prévu fin 2005.

Attention, un projet peut en cacher un autre
Le concours international d’architecture pour le futur Musée des civilisations d’Europe et de la Méditerranée – la nouvelle vocation des ATP – devait être lancé ce mois-ci. Installé sur le port de Marseille, le musée occupera deux bâtiments : le premier prendra place à l’intérieur du fort Saint-Jean (3 000 m2), tandis que le second sera construit sur le môle J4 (13 000 m2). Des réserves de 10 000 m2 seront en outre aménagées à la Belle-de-mai, juste à côté de la gare Saint-Charles. L’ensemble du financement (État et collectivités territoriales) représente 130 millions d’euros, hors foncier. L’ensemble des ATP se déplacera à Marseille vers 2007, en attendant une ouverture au public en 2008. La fréquentation des lieux dépendra beaucoup de la programmation de la Cité de la Méditerranée, qui comprendra, outre le nouveau musée, un Centre de la mer, un Centre de création contemporaine, une salle de spectacle polyvalente, etc. “Tous ces projets ne sont pas encore financés, mais nous travaillons d’ores et déjà à des mutualisations de fonction”, indique Michel Colardelle, directeur des ATP, qui a déjà décidé d’envoyer une équipe d’une dizaine de personnes à Marseille en vue de préparer la première exposition de préfiguration pour la fin 2003-début 2004. Musée-laboratoire regroupant plusieurs équipes du CNRS, les ATP transformés misent beaucoup sur la synergie avec les chercheurs de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme (université d’Aix-Marseille) : “Cet ancrage dans le terreau universitaire régional est très favorable au projet”, se réjouit déjà Michel Colardelle.

Annoncée en novembre 2001 par Lionel Jospin, la création d’un futur Centre des archives nationales fait actuellement l’objet d’une étude approfondie menée par la direction des Archives de France, trop à l’étroit dans ses hôtels du Marais. Les documents postérieurs à 1958 seront ainsi transférés dans l’un des cinq sites en compétition : Saint-Quentin-en-Yvelines, Cergy-Pontoise, Saint-Denis, Pantin et Paris-Bercy. Martine de Boisdeffre, directrice des Archives de France, “souhaite que ce centre soit situé à proximité des producteurs d’archives – à savoir les administrations et les ministères –, qu’il soit facilement accessible en transports en commun et implanté dans un environnement urbain et culturel”. Afin d’assurer la fonctionnalité la meilleure, la construction d’un édifice a été arrêtée, sans que l’on sache encore pour quel montant mais qui pourrait avoisiner les 100 millions d’euros. En tout état de cause, ce centre ne devrait pas ouvrir ses portes avant six ou sept ans.

Comme souvent, un projet peut en cacher un autre, puisque se pose désormais la question de la réaffectation des édifices laissés vacants par le déménagement ou la cessation d’activité de certaines institutions. Que deviendront les bâtiments du MAAO à la porte Dorée ? Des ATP, propriété de la Ville de Paris, au Bois de Boulogne ? Quel avenir s’offre désormais au Musée de l’Homme, amputé d’une partie majeure de ses collections ? Autant de questions qui restent en suspens.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°149 du 17 mai 2002, avec le titre suivant : La Culture sur les chantiers de la gloire

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