Et Dieu... créa la femme

Ève et Pandora éclairent la fonction sociale des mythes

Le Journal des Arts

Le 31 mai 2002 - 651 mots

Pourquoi la différence
des sexes ? À cette éternelle question, les mythes de création de la femme et leurs représentations peuvent indiquer des pistes fécondes, qu’un aréopage d’historiens, d’anthropologues et d’historiens de l’art examinent dans Ève et Pandora.

Eva prima Pandora, le célèbre tableau de Jean Cousin, sans doute le premier nu de la peinture française, constitue un heureux condensé du propos de l’ouvrage, issu d’un colloque tenu en 1999, autour des mythes de création de la première femme. Dans l’histoire biblique comme dans la culture grecque, ces récits sont doubles. La Genèse fait ainsi de la création des deux genres une opération simultanée, puis successive lors d’un chapitre. De même, le poète Hésiode propose, au milieu du VIIe siècle avant J.-C., deux variantes du mythe de Pandora, dans la Théogonie puis Les Travaux et les jours. À l’instar de l’œuvre de Jean Cousin, ces deux femmes originelles ont partie liée dans l’imaginaire collectif comme figures de la tentation, du “beau mal”, pour reprendre l’expression d’Hésiode. Pourtant, ce lieu commun ne résiste pas à l’examen auquel se livrent les auteurs. En revanche, les regards croisés sur la création de la femme dans les différentes traditions invitent à mesurer, notamment à travers ses représentations, la fonction sociale du mythe. “En Océanie, comme ailleurs sans doute, les femmes primordiales mythiques sont une manière de décliner sur des registres variés les conceptions que les cultures se font de la dichotomie des sexes et de la place que chacun d’eux occupe dans la production de la société”, constate Françoise Douaire-Marsaudon, à l’issue de son texte sur le monde océanien.

Et la prédilection qui se dessine pour une des versions du récit mythique n’est pas indifférente. L’exemple de la représentation de la création d’Ève telle qu’elle se développe à partir du XIe siècle, parallèlement à la valorisation du mariage, est symptomatique. “La nouvelle iconographie montrant Ève tirée d’Adam, et mettant ainsi en évidence leur unité substantielle, n’a pu que contribuer à faire valoir la force indissoluble du lien conjugal et sa valeur de sacrement”, explique Jérôme Baschet.
Le vocabulaire employé dans les textes théologiques à propos de la création d’Ève se rapporte de façon naturelle au langage artistique : aedificata, fabricata, facta, formata. Et la création de la femme nous mène naturellement à celles des images. Sur la base de sa statue chryséléphantine d’Athena pour le Parthénon, Phidias avait sculpté un relief représentant la création de Pandora, mettant en abyme son propre travail sur la figure de la déesse. Si ce récit a donné lieu à un nombre restreint – mais varié – de représentations dans l’art grec, cette femme primordiale, pour Jean-Pierre Vernant, “incarne l’écart entre l’être et le paraître, la nature et l’imitation, le vrai et le faux ; par sa seule présence elle ouvre la voie que poètes, artistes, philosophes ne cesseront plus d’explorer”. Mais aussi les cinéastes, comme le rappelle le texte de Jacques Aumont, naturellement intitulé “Et Dieu… créa la femme”.

Pour les cinéphiles, le nom de Pandora reste à jamais lié à la figure d’Ava Gardner dans le film éponyme d’Albert Lewin (1951). Précipitant le malheur sur ses courtisans, la femme fatale hollywoodienne actualise le mythe grec du “beau mal”. Plutôt que revivifier les mythes anciens, le cinéma s’est surtout posé en démiurge, donnant l’existence à un genre nouveau, la star, de Garbo à Bardot. Aumont note ainsi que “créer la femme, en cinéma”, c’est “créer une idée de femme, en même temps créer un corps qui était déjà là”. À travers ces figures d’exception se perpétue la fonction immémoriale des mythes qui “toujours, ont été la mise en œuvre d’un désir d’explication du monde, et simultanément un artefact complexe pour rassurer l’homme sur son être-au-monde, par une exacerbation de ses affects et par la production d’objets d’empathie”.

- Jean-Claude Schmitt (dir.), Ève et Pandora, la création de la première femme, éd. Gallimard, 2001, 290 p., 32,5 euros. ISBN 2-07-076329-3.

Épisodes de l’Ancien et du Nouveau Testament

Dans la collection “Triptyque�?, les éditions Desclée de Brouwer invitent trois auteurs (historiens, exégètes, philosophes, historiens de l’art...) à analyser les épisodes les plus marquants de l’Ancien et du Nouveau Testament. L’an dernier, Jean Louis Schefer, Henri Dominique Saffrey et Jean-Claude Lebensztejn s’étaient ainsi intéressés à la création d’Ève. Deux nouveaux volumes viennent de paraître consacrés respectivement au sacrifice d’Abraham et aux tentations du Christ. L’interprétation des images participe au premier chef de la perception et de la transmission de ces scènes fondatrices. - Stéphane Rozès, Marc de Launay et Olivier Revault d’Allonnes, Le Sacrifice d’Abraham, éd. Desclée de Brouwer, 2002, 120 p., 19,5 euros. - Jad Hatem, Joseph Caillot et Guillaume Cassegrain, Les Tentations du Christ, éd. Desclée de Brouwer, 2002, 120 p., 19,5 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°150 du 31 mai 2002, avec le titre suivant : Et Dieu... créa la femme

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