Art contemporain - Disparition

Tout feu tout femme

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 31 mai 2002 - 459 mots

Âgée de soixante et onze ans, Niki de Saint Phalle est décédée dans sa demeure californienne de San Diego. Depuis la fin des années 1950, l’artiste avait mené une œuvre au succès critique et populaire rare.

PARIS - Dans l’imaginaire collectif français, Niki de Saint Phalle est avant tout l’auteur de la Fontaine Stravinsky, sculpture qu’elle avait réalisée avec son compagnon Jean Tinguely. Depuis 1982, le bassin d’eau aux personnages tournoyants installés à Paris sur le parvis de l’Ircam participait autant à l’identité du Centre Georges-Pompidou que le bâtiment de Piano et Rogers. Entamée à la fin des années 1950, l’œuvre de Niki de Saint Phalle est l’exemple rare d’un travail qui a su allier reconnaissance critique et succès populaire. Commençant à peindre en 1952, la jeune femme s’oriente vers la sculpture et opte en 1965 pour l’usage fréquent du polyuréthane. Colorées, ludiques, et généreuses, ses Nanas sont autant d’icônes d’un art festif, idéales pour les manifestations de plein air. L’exposition de quelques-unes de ses figures miroitantes sur la Promenade des Anglais à Nice le prouve aisément. Coïncidence triste, l’artiste avait, l’année dernière, fait don d’environ deux cents pièces au Musée d’art moderne et d’art contemporain de la ville (Mamac) qui les expose jusqu’au 27 octobre. Mais là, on pourra aussi vérifier la portée critique et historique de son œuvre, trop souvent embuée dans le ludisme ambiant. Rejoignant le mouvement du Nouveau Réalisme initié par le critique Pierre Restany, Niki de Saint Phalle a réalisé au début des années 1960 les Tirs. Comme sur un stand de foire, l’artiste ou ses invités, armés d’une carabine, crevaient des poches de peintures incluses dans des tableaux de plâtre. Retours de flammes sur une peinture gestuelle éminemment masculine, ces performances n’avaient pas manqué de camper l’artiste dans une posture d’amazone. Commandée en 1965 par le Moderna Museet de Stockholm, sa première Nana aux dimensions monumentales atteignait 7 mètres de haut et mesurait 28 mètres de long. Abritant bar, salle de projection et salon, la structure était un antre féminin habitable dans lequel on pénétrait par le sexe. Affichant des valeurs exacerbées de féminité et de fécondité, ces sculptures constituaient les symboles évidents d’un corps libéré d’entraves. Cette lecture fut amplifiée quelques années plus tard par Mon secret, ouvrage où elle racontait avoir été violée par son père à l’âge de onze ans. Pourtant, de tout cela, il reste peu lorsque l’on voit s’actionner les femmes aux maillots bariolés de la Fontaine Stravinsky, ou lorsque l’on déambule dans le Jardin des tarots à Garavicchio, un site de Toscane transformé en un univers fantastique et onirique où se croisent La Mort, Le Diable ou L’Impératrice Sphinge. Les enfants s’y trompaient rarement ; un peu comme dans leurs rêves, on peut s’y aventurer tête baissée.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°150 du 31 mai 2002, avec le titre suivant : Tout feu tout femme

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