L’expérience de l’architecture

Le Journal des Arts

Le 14 juin 2002 - 639 mots

Avant de s’analyser, l’architecture doit se ressentir. Dans son ouvrage à vocation pédagogique, traduit par les éditions du Linteau, Steen Eiler Rasmussen (1898-1990) plaide pour une appréhension pragmatique de l’architecture, conçue comme « des formes façonnées autour de l’homme, façonnées pour qu’on y vive et pas simplement pour être vues du dehors ».

C’est devenu un lieu commun : les Français n’aiment pas l’architecture, ou tout du moins ils ne la comprennent pas. Les ravages subis par le patrimoine français dès l’Ancien Régime en sont la plus évidente illustration. Dans ce contexte, la lecture de Découvrir l’architecture ne saurait être inutile, d’autant plus qu’il s’adresse à un public intéressé mais pas nécessairement spécialiste (certains professionnels pourraient néanmoins en tirer profit). Steen Eiler Rasmussen (1898-1990), architecte de profession, a enseigné son art dans de nombreux pays et il a tiré de son expérience pédagogique le désir de faire partager ses réflexions à une plus grande audience. Publié dans sa langue originale, le danois, en 1957, l’ouvrage en est à sa vingt-huitième édition américaine depuis 1960. Le titre anglais, mieux que le français, résume la démarche de l’auteur. Experiencing architecture, faire l’expérience de l’architecture, l’éprouver physiquement dans sa matérialité, sa texture, son rythme... “Il n’y a pas une idée objectivement concrète d’une chose, seulement un nombre infini d’impressions subjectives”, écrit-il. Pour Rasmussen, “l’architecture cela veut dire des formes façonnées autour de l’homme, façonnées pour qu’on y vive et pas simplement pour être vues du dehors”. En somme, l’architecture n’est pas signe mais sensation. Ces sollicitations des sens, l’auteur les décrit ainsi : “quand nous disons d’une pièce qu’elle est froide et formelle, nous voulons rarement dire que sa température est basse. Cette réaction provient probablement d’une antipathie naturelle à ses formes et à ses matériaux, en d’autres mots, c’est quelque chose que nous ressentons. Or il se peut que les couleurs soient froides, dans ce cas, c’est quelque chose que nous voyons. Ou finalement, il se peut que l’acoustique soit dure et que le son – spécialement dans les aigus – y résonne ; c’est alors quelque chose que nous entendons.” Le plan adopté pour son ouvrage met en valeur cette approche pragmatique de l’art de bâtir. Plutôt qu’une histoire chronologique, il privilégie quelques invariants dans l’appréhension de la construction : pleins et vides, échelle et proportion, rythme, texture, couleur ou lumière sont quelques-uns des thèmes qui scandent la lecture. Pour servir son propos, l’auteur confronte sans a priori architecture traditionnelle et moderne, officielle et domestique. “Le nouveau style que l’Europe considérait comme le dernier mot de la modernité ressemblait de bien des manières au style traditionnel du Japon”, souligne-t-il ainsi. Il ne s’interdit pas en effet un regard critique sur des œuvres emblématiques de la modernité et des architectes qu’il apprécie comme Le Corbusier.

Le plus souvent Rasmussen s’appuie sur une expérience personnelle, invitant implicitement le lecteur à en faire de même. “Il faut expérimenter le bâtiment dans son fonctionnement, note-t-il à propos de la Maison Baker construite par Alvar Aalto au Massachusetts Institute of Technology. Ce n’est qu’en mangeant avec des étudiants au réfectoire, en montrant l’escalier et en leur rendant visite dans leur chambre que le visiteur découvrira – de même qu’une église et un palais ont leurs rythmes cérémoniels – que ce grand bâtiment vivant a son rythme particulier, celui d’une résidence universitaire.” La référence à Alvar Aalto n’est pas indifférente, car qui mieux que le Finlandais a compris et exprimé la relation de l’architecture à l’homme et à la nature ? Par le caractère anthropomorphique de certaines de ses réflexions, Rasmussen fait sienne cette conception humaine de l’art de construire. Comme il l’écrit si justement, “l’une des preuves qu’une architecture est bonne, c’est qu’on l’utilise comme l’architecte l’avait conçue”.

- Steen Eiler Rasmussen, Découvrir l’architecture, Paris, éditions du Linteau, 2002, 290 p., 23 euros. ISBN 2-910342-18-2.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°151 du 14 juin 2002, avec le titre suivant : L’expérience de l’architecture

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