Ces obscurs objets du design

Un design cintré !

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 28 juin 2002 - 807 mots

Objet de prime abord banal, le cintre est aujourd’hui mis à l’honneur, notamment dans une exposition au Musée des arts décoratifs, à Paris. La démonstration y est éloquente : un cintre est beaucoup plus qu’un simple porte-vêtement...

Le cintre aurait-il fait son coming out ? Objet d’usage banal par excellence, il avait tant pris l’habitude de vivre dans l’ombre – sous un vêtement et au fond de l’armoire –, qu’on avait presque fini par l’oublier. Il sort aujourd’hui du placard. Jean-Paul Gaultier a été le premier à en faire l’éloge, en mars dernier, lors de son défilé Hiver 2003. Sur le podium, le couturier avait carrément installé une machine, comme celles des pressings automatisés, sur laquelle les cintres glissent sur un rail pour apporter les habits repassés. Les mannequins s’habillaient ainsi directement avec des vêtements amenés par ces fameux cintres.

Quand il a dû imaginer un “portemanteau de salle de bains” pour la société italienne Virtuallydesign.com, le designer Ron Arad, lui, n’a pas trouvé forme plus judicieuse que celle d’un... cintre. Son tout nouveau “portemanteau” Hanger, en fil d’acier chromé, en calque donc allègrement le profil. Il se fixe au mur sur un axe pivotant, ce qui permet à l’accroche, lorsqu’on l’oriente la tête en bas, de se transformer en crochet à suspendre.

Plus récemment, l’artiste Céleste Boursier-Mougenot a, lors du parcours d’art contemporain du quartier Saint-Germain, organisé du 28 mai au 22 juin, à Paris, utilisé la bagatelle de 4 000 cintres de teinturier en fil d’acier galvanisé, pour réaliser, sous la grande verrière de l’École des beaux-arts, une installation ébouriffante intitulée From Here to Ear (D’ici à l’oreille). Dans une sorte de volière géante, quelque quatre-vingts mandarins diamantés, sautillant sur des cintres pendus à des cordes de clavecin, produisaient, en continu, une musique surprenante, à mi-chemin entre John Cage et Terry Riley.

Cet été, l’une des expositions du Musée des arts décoratifs, à Paris, apporte, elle, un éclairage passionnant sur l’histoire du cintre. “Au vestiaire, une histoire de cintres” rassemble en effet plus de 250 pièces, datant du dernier quart du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, y compris des cintres d’enfants ou de poupées, tels ceux des célèbres Barbie. La plupart proviennent de la collection d’un passionné d’objets de l’art populaire, Daniel Rozensztroch, qui, depuis plusieurs années, a réuni des cintres venus du monde entier.

L’accrochage, le terme n’aura jamais aussi bien convenu, est des plus simples, mais des plus évidents. Imaginez une salle dont les murs blancs sont couverts de cases identiques, chacune accueillant deux cintres. Parfois, leurs ombres projetées dessinent des silhouettes au graphisme étonnant, en particulier ceux en fil de fer. Sur quasiment 360°, donc, se déroule toute l’histoire du “cintre”, mot issu du vocabulaire architectural – on dit d’un arc qu’il est “en plein cintre” –, mais qui ne sera “officialisé” qu’à partir de 1900, le Nouveau Larousse illustré le définissant alors ainsi : “un support léger destiné à recevoir un vêtement”.

Du plus sophistiqué, en carbone, au plus kitsch, recouvert d’une fourrure léopard, la scénographie révèle, ici, la multitude des styles. Certains cintres ont des formes d’oiseaux, d’autres ressemblent plus à des instruments de torture, comme ces “collets” que l’on suppose faits pour braconner le renard ou le lièvre et qui s’avèrent en fait destinés à recueillir une étole ou une fourrure. Nombre de grands créateurs (Shiro Kuramata, Barber Osgerby, Sebastian Bergne...) en ont dessiné, usant parfois des matériaux les plus invraisemblables, comme le Corian – matière mi-synthétique mi-minérale – pour Ronan & Erwan Bouroullec, qui ont conçu les cintres du magasin A-Poc d’Issey Miyake, à Paris, ou, plus original, comme le métal de cloche recyclé pour Satyendra Pakhalé, designer indien installé à Amsterdam. Un jeu amusant consiste à dénicher les sources d’inspiration des créateurs actuels. Aussi n’hésite-t-on pas à comparer tel cintre d’Andrée Putman pour les 3 Suisses avec un porte-complet américain de la fin du XIXe siècle, ou tel autre dessiné par Tim Parsons avec un portemanteau pliant tchèque des années 1930...

Au milieu de la salle, comme un contrepoint à cette flopée de cintres inertes, une vidéo d’Aurélie Mathigot montre, en boucle, Les Tribulations du cintre aujourd’hui, de sa fabrication, filmée dans une usine dans l’Aisne, jusqu’à son utilisation proprement dite. Sur des portants, dans un vestiaire ou une cabine d’essayage, les cintres, cette fois en mouvement, défilent en rangs serrés tels des petits soldats.

À y regarder de plus près, au final, les cintres racontent tout de la mode : les progrès de l’industrialisation, mais aussi l’appartenance sociale ou l’évolution de l’habillement. Bref, un cintre, on y suspend son élégance, mais aussi une certaine histoire de la société.

- À voir : Au vestiaire, une histoire de cintres, jusqu’au 15 septembre, Musée des arts décoratifs, 107 rue de Rivoli, 75001 Paris. - À lire : Cintres/Hangers de Daniel Rozensztroch, texte d’Isabelle Reisinger, éditions Le Passage, 23 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°152 du 28 juin 2002, avec le titre suivant : Un design cintré !

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