Château

La vie de château dans l’intimité des propriétaires de monuments historiques

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 13 septembre 2002 - 884 mots

Le patrimoine architectural français compte plus de 40 000 immeubles protégés au titre des monuments historiques – 14 000 classés et 25 000 inscrits sur l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques –, dont la moitié appartient à des propriétaires privés. Au moment où s’ouvrent les Journées du patrimoine, Le Journal des Arts se penche sur le quotidien de ces propriétaires privilégiés, dont la mission s’étend de la restauration à la gestion, en passant par le tourisme.

PARIS - « Être propriétaire d’un monument historique classé exige un travail considérable, et ce toute l’année : en été, nous recevons les visiteurs, et en hiver, nous nous occupons des travaux d’aménagement, de restauration et nous préparons la saison suivante. On ne se repose jamais vraiment, et c’est ce qui est si passionnant », explique la duchesse de Rohan, propriétaire du château de Josselin (Morbihan). « Les gens s’imaginent que lorsque l’on possède un château, la vie est très simple. En réalité, c’est très compliqué, et les travaux sont très chers dès lors qu’il s’agit d’un monument historique. Nous rencontrons beaucoup de difficultés », témoigne encore Patricia Legniau, propriétaire du château du Rivau (Indre-et-Loire) depuis 1992. Le classement implique que les travaux sur l’édifice soient effectués avec l’autorisation préalable du ministère de la Culture, selon une procédure complexe. L’inscription à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques est une formule moins contraignante, laissant au propriétaire une plus grande latitude pour entreprendre seul des modifications. « Les propriétaires de monuments historiques font face à deux types de difficultés : d’une part les problèmes financiers, qui impliquent la sollicitation de cofinancements publics, d’autre part, l’intégrité des demeures historiques », explique Jean de Lambertye, président de La Demeure historique – l’association des monuments historiques privés, qui compte 2 500 adhérents –, et propriétaire du château de Cons-la-Grandville (Meurthe-et-Moselle). Pour les monuments classés, lors de travaux importants, la participation de l’État s’élève en moyenne à 40 %, et ne dépasse quasiment jamais les 50 %. L’aide de l’État n’exclut évidemment pas d’autres subventions : les conseils généraux peuvent accorder des aides jusqu’à 25 %. L’ouverture au public constitue la principale source de revenus pour seulement une trentaine de monuments historiques classés. C’est le cas de Vaux-le-Vicomte (Seine-et-Marne), qui compte quelque 250 000 visiteurs par an. La duchesse de Rohan accueille, quant à elle, 80 000 visiteurs en moyenne par an, dont 16 000 pour le Musée de la poupée, situé dans sa propriété ; des recettes qui lui permettent tout juste d’équilibrer son budget, entre les travaux quotidiens et le personnel. Pour les autres propriétaires, l’accueil des publics ne représente qu’un acompte, une manière d’alléger les coûts de fonctionnement de la demeure. Pour répondre à leurs besoins, ils imaginent d’autres solutions, comme la location de salles à de grandes entreprises pour organiser des séminaires ou des réceptions, ou le séjour en chambre d’hôte.

Une procédure pesante
Conduites selon des procédures spécifiques complexes, les opérations de restauration des monuments historiques doivent être précédées d’une étude déterminant le programme et le coût des travaux. Ce rapport doit ensuite être approuvé par la direction régionale des Affaires culturelles (DRAC) après avis de l’inspection générale des Monuments historiques, voire de la commission supérieure des Monuments historiques. Cette procédure, inhérente au mode de protection des monuments classés, paralyse bien souvent les interventions de restauration. À titre d’exemple, lors d’une opération sur un édifice classé engageant 600 000 euros de frais, l’État, le département et la région s’étaient mis d’accord pour un financement à 30 % ; le rapport a ensuite été remis à la DRAC, qui, pour des raisons budgétaires, a dû réduire le financement à 20 %. Si le propriétaire refusait cette diminution de 60 000 euros dans son budget, toute l’opération était perdue... La sous-consommation des crédits du patrimoine depuis 1998 témoigne de la pesanteur du système actuel, qui entraîne bien souvent un mauvais suivi du calendrier des opérations. « Pour les travaux qu’il finance, l’État est généralement en charge de la maîtrise d’ouvrage, et travaille bien souvent avec une équipe réduite, un manque d’effectifs qui rend difficile la gestion de nombreuses opérations », commente Jean de Lambertye. Pour y remédier, La Demeure historique travaille actuellement à la mise en place d’une cellule d’assistance à la maîtrise d’ouvrage pour ses adhérents. « Même si l’équilibre financier est difficile à atteindre, même si nous disposons de petits moyens, globalement nous sommes soutenus par le système en place », relativise cependant la duchesse de Rohan.

Autre problème auquel se heurtent les propriétaires de monuments historiques classés : la dispersion du patrimoine, sujet d’inquiètude pour La Demeure historique. L’association réfléchit actuellement à une réadaptation du droit civil et travaille à l’élaboration d’une fondation attachée au monument, sorte d’ »association des amis » avec des compétences élargies. « Nous voulons que ce nouvel outil juridique puisse gérer des fonds au profit du monument – provenant notamment du mécénat de proximité –, et préserver les ensembles, éviter la dispersion du patrimoine, explique Jean de Lambertye. Ces fondations attachées pourraient également acquérir des abords de monuments, afin de préserver des périmètres de protection, permettant, entre autres, d’éviter l’aliénation partielle de la propriété. » Pour l’heure, les propriétaires se préparent à célébrer les Journées du patrimoine, qui se dérouleront les 21 et 22 septembre sur le thème suivant : « Patrimoine et territoires ».

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°154 du 13 septembre 2002, avec le titre suivant : La vie de château dans l’intimité des propriétaires de monuments historiques

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